La Presse Pontissalienne 267 - Avril 2022
Le dossier 23
La Presse Pontissalienne n°267 - Avril 2022
l Récit
Une autre famille à Villers-le-Lac Fuir l’Ukraine pour rester en vie
D epuis qu’elle est arrivée à Villers-le-Lac, Oksana ne quitte pas son téléphone. C’est désormais son seul lien avec l’Ukraine où elle a laissé son mari Dimitro et Vladislav son fils de 26 ans. Eux ont fait le choix de rester à Kharkiv, à l’est du pays, une ville bombardée par l’armée russe dès le 24 février, début de l’offensive militaire. Tous les jours, Oksana attend de leurs nouvelles les yeux rivés sur son écran, avec angoisse et impatience. Heure par heure, elle suit l’évolution de cette guerre sur les chaînes d’info et les réseaux sociaux. “Kharkiv est une belle ville, russophone. Les militaires russes pensaient arriver en terrain conquis. Ils ne s'attendaient pas à une telle résis tance. Alors ils ont décidé de tout détruire” raconte cette femme de 50 ans dont la vie a basculé du jour au lendemain. Comme beaucoup de ses concitoyens, elle ne peut plus entendre parler le russe, au point de modifier l’orthographe des prénoms, pour les écrire à la manière ukrainienne. À Kharkiv, Oksana est professeure à l’université. Elle n’avait pas imaginé qu’un jour la guerre la pousserait à l’exil. Sidérée par les premières bombes qui se sont abattues sur les bases mili taires cematin-là dès 5 heures, choquée par les frappes qui ont suivi, détruisant des quartiers résidentiels, elle a pris la décision de quitter l’Ukraine début mars. Fuir pour rester en vie, accom pagnée d’Artem, son fils de 16 ans (il Oksana a quitté l’Ukraine sous les bombes avec une partie de sa famille pour gagner la France. Hébergée désormais chez sa sœur à Vil lers-le-Lac, elle raconte son exil forcé et son envie de retourner dans son pays au plus vite pour le reconstruire.
Oksana (premier plan), entourée de sa sœur Natasha, de sa nièce Anya et de son père Olexis.
fière de ma ville. C’est difficile à croire. Nous sommes au XXI ème siècle ! On ne pouvait pas imaginer qu’une guerre était encore possible en Europe. Je suis en contact avec des amis sportifs russes qui dépriment totalement. Mais ils ne peuvent pas s’opposer à cette guerre sans risquer d’être emprisonnés” confie Natasha qui abrite désormais sous son toit son père, sa grande sœur et son neveu. Un regroupement familial forcé, “aumoins, c’est une chose positive” sou rit-elle en regardant son aînée Oksana à qui elle sert d’interprète. Personne ne sait combien de temps va durer ce conflit ni quelle en sera l’issue. Mais Oksana nourrit l’espoir qu’elle pourra regagner son pays “dès cet été. Quand les bombardements auront cessé, je repartirai. Nous voulons rentrer pour le reconstruire pierre après pierre. Il
depuis plus de 20 ans. À l’époque, ce n’est pas la guerre, ni les conséquences de l’effondrement de l’U.R.S.S., mais le sport qui a conduit le couple ukrainien à quitter son pays pour s’installer durablement dans le Haut-Doubs. Joueurs de badminton de classe internationale, ils sont venus pour renforcer le club Badminton Val de Morteau qui commençait à évoluer en nationale. Depuis, ils sont très impli qués dans l’animation de ce sport loca lement. En septembre dernier,Natasha a encore fait le déplacement à Kharkiv pour un tournoi international. À ce moment là, malgré les manœuvres militaires d’intimidation des Russes à la frontière, personne n’osait croire à une guerre. “Quand je vois le centre-ville de Kharkiv détruit, j’ai envie de pleurer. J’étais très
est scolarisé actuellement au lycée de Morteau), de sa mère Tetiana et de son père Olexis. Après 25 heures éprou vantes passées dans un train bondé dans lequel ils avaient pu enfin embar quer destination Lviv, ils ont rejoint la frontière polonaise qu’ils ont traversée à pied. C’est là que les attendait sa jeune sœur Olga, venue les chercher pour les rame ner en France, à Villers-le-Lac, avec
est hors de question que laRussie prenne l’Ukraine” dit-elle. Cette universitaire suppose queVladimir Poutine ne pourra pas tenir. La détermination du peuple ukrainien et les pressions qu’exerce l’Europe sur la Russie portent leurs fruits. Le rôle que jouent l’O.T.A.N. et l’Europe actuellement est essentiel aux yeux d’Oksana qui rêve qu’un jour son pays rejoindra l’Union. En attendant, la professeure tente de maintenir un lien avec ses étudiants dont certains sont en exil, alors que d’autres se cachent dans des caves de Kharkiv. Elle espère pouvoir animer prochainement des cours en visiocon férence depuis Villers-le-Lac. C’est sa manière à elle de résister et de croire en l’avenir d’une Ukraine forte, sou veraine et européenne. n T.C.
l’aide de la M.J.C. qui a prêté son minibus et de la municipalité qui a par ticipé aux frais d’essence. Olga a elle-même quitté l’Ukraine il y a quatre ans, se rapprochant de son autre sœur Natasha Tatranova et de son mari Konstantin qui vivent ici
“Kharkiv détruit, j’ai
envie de pleurer.”
Made with FlippingBook Online newsletter creator