La Presse Pontissalienne 251 - Novembre 2020
22 DOSSIER
La Presse Pontissalienne n°251 - Novembre 2020
l Médecine
Professeur Régis Aubry “Il faut privilégier la qualité de vie à l’espérance de vie” Chef du pôle “autonomie-handicap” au C.H.U.
Jean-Minjoz à Besançon et membre du comité consultatif national d’éthique, le Professeur Régis Aubry est un des grands spécialistes de la fin de vie. Une question aux confins de la médecine et de la philosophie.
rables en leur restituant un peu de dignité. Une personne faible, fatiguée par une maladie chro- nique, n’est pas inutile. Elle nous pousse justement à réfléchir sur l’utilité de la vie. La fin de vie, c’est le corollaire douloureux du progrès, l’autre versant du pro- grès étant que lamédecine guérit plus et sauve plus de vies. L.P.P. : Quelle est la position du comité national d’éthique dont vous êtesmem-
La Presse Pontissalienne : Plus laméde- cine progresse et moins on semble appréhender avec aisance ces questions de la fin de vie. Comment l’expliquez- vous ? Professeur Régis Aubry : C’est jus- tement le paradoxe d’une méde- cine qui sait de plus en plus maintenir en vie et par consé- quent tend à fabriquer des vul- nérabilités plus importantes avec des gens qui restent en vie mais qui sont très malades ou très faibles. Notre système de santé n’accompagne pas correc- tement ceux qui qu’il contribue à générer. Nous sommes dans une société qui valorise la per- formance, qui contribue donc à rendre possible notre maintien en vie mais qui en face n’est pas capable de rendre la fin de vie acceptable. Je rencontre de plus en plus de personnes qui souf- frent d’un sentiment d’indignité, se sentant un poids pour leur famille,mais c’est juste le regard de la société qui considère les gens faibles et en fin de vie comme indignes. Mon souci est de veiller à ce que notre société protège les gens les plus vulné- C es 5 grands principes sont : l’interdiction de l’obstination thé- rapeutique déraison- nable, les droits pour le patient à l’abstention ou à l’arrêt de tout traitement, le soulage- ment de la souffrance, le déve- loppement des soins palliatifs et la possibilité pour toute per- sonne d’exprimer par avance ses souhaits pour organiser ses derniers moments. Par rapport à la loi initiale de 2005, la loi du 2 février 2016 est censée permettre de mieux répondre à la demande àmou- rir dans la dignité par une meilleure prise en charge de la souffrance, et en clarifiant notamment l’usage de la séda- tion profonde et continue, jusqu’au décès, en phase ter- minale.Alors que l’interdiction de l’obstination déraisonnable de soins était une possibilité ouverte par la loi de 2005, celle
Le Professeur Régis Aubry, en tant que membre du comité consul- tatif national d’éthique a été chargé de l’organisation des états généraux de la bioéthique.
bre concernant la nécessaire évolu- tion, ou pas, de l’ac- tuelle loi Léonetti- Claeys sur la fin de vie ? R.A. : Nous avons rendu un avis sur cette question à l’oc- casion des der- niers états généraux de la bioéthique lan- cés par le gou- vernement en 2018 et qui doit aboutir au vote d’une nouvelle
“Les soins palliatifs sont nécessaires, mais jamais suffisants.”
non.Mais si la loi devait évoluer, elle ne serait sans doute pas suf- fisante non plus car il y aura toujours une interprétation pos- sible de la loi. La vraie question àmon sens est la suivante : faut- il modifier la loi ou ne vaut-il pas mieux modifier la pratique de la médecine qui produit par- fois des situations épouvantables de personnes maintenues en vie mais dans un état végétatif ? Des personnes dans cet état, il y en a 1 500 en France. L.P.P. : Que faudrait-il faire alors ? R.A. : Il faut commencer par for- mer les soignants à la réflexion éthique, ce qui n’est pas suffi- samment fait. Les soignants ont tendance à faire des actes tech- niques au seul motif qu’ils savent les faire. Il nous paraît donc important déjà que la réflexion éthique soit considérée comme un acte technique, et donc qu’il soit valorisé à travers la tarifi- cation à l’activité. On contribue- rait sans doute à éviter des situa- tions épouvantables comme on en connaît trop. Le deuxième aspect de notre avis, c’est la manière de traiter les cas excep- tionnels qui feraient qu’on ne prolonge pas la vie, l’idée étant d’introduire des exceptions à la loi, mais dans des situations au cas par cas, qui nécessiteraient évidemment une large discus- sion, y compris avec des magis- trats. L.P.P. : Vous n’êtes donc ni pour l’eu- thanasie ou le suicide assisté, ni pour laisser la loi en l’état. Cette troisième voie que vous prônez résoudrait-elle
loi de bioéthique dans quelques semaines, même si la question de la fin de vie ne sera sans doute pas modifiée dans cette pro- chaine loi. La loi actuelle est- elle suffisante ? Je réponds que
comme une discipline à part mais qu’ils soient intégrés à toutes les autres disciplines médicales, notamment la géron- tologie, la cancérologie, la neu- rologie. D’une manière générale, je pense qu’il faut souvent pri- vilégier la qualité de vie à l’es- pérance de vie. Les soins pallia- tifs ont été pensés pour cela. D’ailleurs, le gouvernement s’ap- prête à présenter un nouveau plan de développement des soins palliatifs et j’y suis évidemment favorable. Un des leviers impor- tants à ce développement, c’est la formation et la recherche qu’il est nécessaire d’encourager. L.P.P. : Ces questions de fin de vie et de mort semblent toujours susciter la peur dans nos sociétés. C’est ce qui explique ces débats incessants ? R.A. : Les affaires Humbert, Lam- bert, et plus récemment Alain Cocq obligent les citoyens à regarder en face ces questions et apportent un éclairage sur cette réalité complexe.C’est aussi grâce à ces cas complexes que la réflexion et les connaissances avancent et que les citoyens peu- vent s’emparer de ces questions qui touchent à l’éthique. Notre système de santé va de toute façon continuer à générer des questions sur la fin de vie qui poseront problème. C’est une façon d’appréhender aussi la place du droit et de la médecine de façon différente. Une société qui réfléchit et qui doute est une société qui a de l’avenir. Et au contraire, une société où le droit réglerait tout court à sa perte. n Propos recueillis par J.-F.H.
tous les cas compliqués ? R.A. : Si un homme comme Vin- cent Lambert est resté en vie, c’est parce qu’il y avait un héli- coptère pour aller le secourir, unmédecin qui a réalisé un acte pour le sauver, sans quoi il serait mort et le débat n’existerait pas. Les progrès de la médecine maintiennent des centaines de personnes en vie, mais dans un état végétatif chronique. Il faut donc qu’on se laisse le droit d’étu- dier ces situations exception- nelles en apportant sans doute de nouvelles exceptions à cette loi, sans forcément la dénaturer. Sans modifier la loi, il faut sans doute modifier l’usage qu’on en fait. Pour ne pas susciter des situations inextricables comme celle du cas Vincent Lambert, il faut sans doute prévoir ces mesures exceptionnelles, très en amont, qui consisteraient à faire en sorte d’envisager plutôt le décès qu’un maintien en vie. Dans ces situations exception- nelles, le cas par cas est une manière d’éviter une approche trop normative de la loi. L.P.P. : Le développement des soins palliatifs constitue-t-il une partie de la réponse ? R.A. : Les soins palliatifs, que j’ai contribué à développer ici, c’est une réponse nécessaire mais qui ne sera jamais suffisante. Il faut qu’ils continuent à se développer, y compris en milieu rural grâce aux équipesmobiles territoriales de soins palliatifs qui existent d’ailleurs dans le Doubs, mais il est nécessaire que ces soins palliatifs ne soient pas considérés
Fin de vie : que dit la loi ? La loi Léonetti de 2005, complétée et devenue loi Claeys-Léonetti en 2015 pose 5 grands principes pour les personnes en fin de vie. l Législation La sédation profonde
bles ou modifiables à tout moment pour les personnes qui les ont rédigées. Ces direc- tives anticipées qui doivent être écrites permettent le moment venu aux médecins de prendre leurs décisions médicales en tenant compte des souhaits du patient. L’autre avancée de la loi concerne ce qu’on appelle le droit à la “sédation profonde et continue” pour les malades en fin de vie. En cas d’accord collégial avec la famille, le médecin peut mettre en place l’ensemble des traitements analgésiques et sédatifs pour répondre à la souffrance réfractaire du malade en phase avancée ou terminale, même s’ils peuvent avoir pour effet d’abréger la vie. Ce qui n’est ni un acte d’euthanasie active (donner la mort) ni un suicide assisté. C’est toute la nuance de la loi française. n
de 2016 rend obligatoire cette interdiction de continuer à prodiguer des soins, sous réserve bien sûr de la prise en compte de la volonté du patient. C’est toute l’ambiguïté de cette notion de volonté qui bien souvent, n’est pas expri- mée par le patient quand il est encore lucide. D’où l’im- portance fondamentale des directives anticipées. Sans elle, les médecins s’en remet-
tent aux per- sonnes de confiance, à la famille ou aux proches. Ces directives anticipées priment sur l’avis de la personne de confiance, de la famille ou des proches et sont révoca-
Le droit à la “sédation profonde et continue”.
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