La Presse Pontissalienne 210 - Avril 2017
ÉCONOMIE 40
La Presse Pontissalienne n° 210 - Avril 2017
EMPLOI : TRAVAILLER DE CE CÔTÉ-CI DE LA FRONTIÈRE… ANALYSE Maçons, chauffeurs… Le Haut Doubs,
PARCOURS Une Pontissalienne à la recherche d’un emploi Quelque peu désabusée… Se retrouver sans emploi est une expérience souvent douloureuse et mal vécue, quel que soit son parcours. De doutes en désillusions, le chemin parcouru pour décrocher un nouveau job peut être éprouvant.
un bassin de l’emploi pas comme les autres Théophile Thivet, chargé de recrutement chez Côté Job, une agence d’intérim pontissalienne, raccroche son téléphone avec une mine décontenancée. “C’est le troisième appel depuis ce matin pour le même poste : maçon. Mais des maçons, il n’y en a plus !”, confie-t-il avec dépit.
E t c’est bien là tout le pro- blème du Haut-Doubs : il y a beaucoup de postes, tous demandant une cer- taine qualification, qui restent vacants. Les vitrines des agences d’emploi temporaire sont gar- nies de demandes de main- d’œuvre qualifiée, dans bien des domaines. C’est surtout le cas dans le bâti- ment et les travaux publics. “Je reçois chaque jour des demandes de personnel tels que maçons coffreurs, chauffeur de poids lourd avec C.A.C.E.S. grue, élec- tricien, plombier, chauffagiste… mais je n’ai aucun profil dis- ponible répondant à ces critères. Les gars sont déjà en poste et même si je pose des annonces, je n’ai aucune réponse. C’est frus- trant !” Ce disant, Théophile Thivet désigne une haute pile de papiers. Sur chacun d’entre eux se trouve une demande de personnel. “Je dois en avoir une bonne vingtaine en attente. La plupart d’entre elles finiront dans mon classeur “commandes non fournies”. Quand on pense au nombre de personnes qui recherchent un emploi, on peut se dire qu’il y a un problème quelque part.” Le logiciel de Côté
Job regorge de demandeurs d’emploi, comme dans toutes les autres agences de travail temporaire. Mais beaucoup d’entre eux ne présentent pas le profil adéquat. “La grande majorité de nos can- didats est non qualifiée. Ce n’est pas péjoratif, c’est juste un état de fait. Soit ce sont des jeunes fraîchement sortis de l’école et, sans diplôme réellement quali- fiant, cherchent à faire leur pla- ce, soit ce sont des personnes ayant un peu touché à tout sans jamais se poser quelque part, soit encore ce sont de très bons manœuvres ou ouvriers d’usi- ne mais dont les postes sont déjà pourvus.” L’usine justement, parlons-en ! À Pontarlier et ses environs, les industries ne sont pas légion. Les plus connues sont Arm- strong, Gurtner, Nestlé et Schra- der. Les places y sont très pri- sées. “Quand un candidat issu de l’industrie pousse la porte de l’agence, il me demande quasi- ment systématiquement si nous avons des postes chez Nestlé ou Armstrong. Malheureusement, les postes en industrie sont plu- tôt rares dans le coin et c’est pourquoi je me retrouve avec de
nombreux C.V. d’opérateurs de production ou de caristes indus- triels sur les bras” , ajoute Théo- phile Thivet. Il en va de même pour les postes en tertiaire : les plus pointus restent longtemps à pourvoir tandis que les C.V. d’assistant administratif viennent grossir les rangs des demandeurs d’em- ploi. Il existe toutefois des for- mations permettant à tout un chacun de se former à unmétier précis. Les C.I.F. (Congés Indi- viduels de Formation) par exemple peuvent être une solu- tion à quiconque souhaiterait ajouter une corde à son arc. “Oui, ça existe et c’est très bien pour les personnes déjà en poste.Mais aujourd’hui, les dirigeants, pour la plupart, veulent des personnes qualifiées et expérimentées. Rares sont les candidats reçus alors qu’ils viennent tout juste de ter- miner leur formation, ajoute Théophile Thivet. C’est le ser- pent qui se mord la queue ! Et puis, il ne faut pas se leurrer, lorsqu'il y a possibilité de gagner deux voire trois fois plus par heure à 30 kilomètres d'ici, les gens n’hésitent pas et passent la frontière.” n M.R.
C’ est le cas pour Nata- cha G., 31 ans, et sans emploi stable depuis décembre 2015. Elle a pourtant tout pour réussir : jeune femme dynamique au caractère bien affirmé, elle pré- sente un C.V. plutôt avantageux. Titulaire d’un C.A.P. et d’un bre-
vet professionnel en coiffure, elle bifurque sitôt ses diplômes obte- nus dans un univers radicale- ment différent : l’automobile. Elle commence en tant que ven- deuse-hôtesse de caisse au sein d’une grande enseigne nationa- le. Passionnée de sports auto- mobiles, elle s’épanouit pleine- ment dans ce métier, au point
EN ROUTE POUR LA SUISSE
42 heures, les impôts…
La Suisse, un eldorado, mais pas pour tout le monde
“J e vois beaucoup de nouveaux arrivants qui me disent venir ici pour des raisons familiales ou pour la beauté des paysages, raconteThéophileThi- vet de l'agence Côté Job à Pon- tarlier. Mais quand je creuse un peu, c'est bien souvent pour venir travailler en Suisse. Mais bizar- rement, très peu l’avouent, pré- férant évoquer des raisons plus sentimentales.” Il faut dire que le pays helvète a de quoi faire rêver : à moins d’une demi-heure de Pontarlier, les travailleurs peuvent multi- plier leurs salaires par trois en moyenne, par rapport à un reve- nu français. Sophie (le prénom de la per- sonne citée a été modifié à sa demande) a 33 ans et occupe un emploi en Suisse depuis deux ans.Aide-soignante depuis tou- jours, elle a longtemps travaillé dans un E.H.P.A.D. français avant de passer la douane. “J’adore mon métier, confie-t- elle. Mais en France, les condi- tions de travail dans ce domai- ne sont déplorables. Je n’avais beaucoup continue tou- jours à être sa voisine : la Suisse. Avec ses nuances. Le Haut-Doubs a beau- coup d’attraits naturels, mais ce qui fait son charme aux yeux de
pas de temps à accorder à mes patients, c’était à la chaîne ! Bien sûr, je ne vais pas mentir, le salai- re m’a aidée à franchir le pas. Mais c’est la politique de soins accordés aux patients qui m’a réellement séduite. Alors qu’au- paravant je n’avais que 20 minutes pour effectuer une toi- lette, désormais, je peux y pas- ser jusqu’à une heure et demie. Et ce n’est qu’un exemple par- mi tant d’autres. Alors oui, il y a la route, les bouchons, les semaines à rallonge…mais pour rien au monde je ne reviendrais en France !” Il est vrai que rejoindre son lieu de travail dans le canton de Vaud peut être un véritable cal- vaire. Les files de voitures s’al- longent dès l’aube et le soir, elles s’étendent de l’entrée de Pon- tarlier jusqu’à la Gauffre, située dix kilomètres plus loin. À cela, ajoutez des semaines de 42 heures à temps plein, 4 semaines de vacances au lieu
suadée que financièrement, ce soit finalement supérieur à la France” , précise Sophie. Charlène confirme les propos de Sophie : elle a perdu beau- coup en allant travailler en Suis- se. Ouvrière dans une société horlogère à Ballaigues pendant 8 mois (elle a été licenciée sans préavis), elle a effectué des semaines complètes, travaillant même le samedi matin. “Je tou- chais 2 000 euros par mois et j’en reversais près de la moitié uniquement pour faire garder mon fils. Ce qu’on ne sait pas, c’est que lorsqu’on est fronta- liers, on doit payer sa nounou mais aussi verser 80 % de ce salaire à l’U.R.S.S.A.F. Ma paye était minable, j’ai été clairement exploitée. Il n’y a aucune sécu- rité de l’emploi. Je ne remettrai jamais les pieds en Suisse ! Ceri- se sur le gâteau : j’ai dû payer mes impôts l’année suivant mon licenciement. N’ayant que des revenus modestes, j’ai deman- dé à être mensualisée. Ce à quoi on m'a répondu que mon mari étant frontalier, il pouvait bien me les payer, mes impôts !” Des situations courantes mal- heureusement. Le monde hor- loger suisse a connu une grave crise ces derniers mois et nom- breux ont été les ouvriers priés de rentrer chez eux, sans pré- avis. Une situation souvent dif- ficile à vivre par ces personnes n’ayant souvent connu que le monde industriel et qui en vien- nent à rechercher de l’emploi du côté de Pontarlier, dans un secteur plus que bouché. n M.R.
de 5 en France, des impôts spéci- fiques, la C.M.U. obligatoire, et vous obtenez un résultat final bien différent que celui annoncé sur la fiche de paie. “Honnêtement, en ayant payé les impôts, la sécuri- té sociale, l’essen- ce tout en effec- tuant des semaines ultra- chargées, je ne suis pas si per-
“Il n’y a aucune sécurité de l’emploi.”
Théophile Thivet, chargé de recrute- ment chez Côté Job, une agence intérimaire de Pontarlier.
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