Journal C'est à dire 250 - janvier 2019
L A P A G E D U F R O N T A L I E R
Politiques
Analyse “C’est un système garant de la paix sociale” Achat d’avions de combat, salaire minimum, accueil des étrangers, déterminer si les vaches doivent porter des cornes, sont autant de sujets sur les lesquels le citoyen suisse est appelé à se pronon- cer. Présenté comme un modèle, ce système l’est-il vraiment ?
Les Français réclament le R.I.C., les Suisses ont les votations À l’heure où le référendum d’initiative populaire est au cœur du débat en France, les Suisses ont l’habitude de voter presque “pour un oui ou pour un non”.
E n Suisse, les citoyens sont appelés à se prononcer sur le plan fédéral générale- ment quatre fois par année. Ils sont convoqués pour voter sur des initiatives populaires, des référendums facultatifs ou des référendums obligatoires. Auteur des “Institutions politiques suis- se” paru aux éditions L.E.P., Vin- cent Kucholl explique le fonc- tionnement du système suisse, ses réussites, ses limites. C’est à dire : Les votations en Suisse sont perçues com- me un exercice ultra-démo- cratique. Mais parfois n’ont- elles pas l’effet inverse ? Vincent Kucholl : Non. Je pen- se que les votations participent pleinement de la démocratie, plus directe. En Suisse, elles sont fréquentes et suscitent un débat politique régulier, qui conduit à des prises de décisions concrètes pour les citoyens, lesquels vivent l’expression de leurs droits démo- cratiques plusieurs fois par an. Par ailleurs, le système suisse de démocratie directe encoura- ge ce que nous appelons la concordance : le gouvernement lorsqu’il propose de nouvelles législations doit tenir compte de leur acceptabilité, au risque de se voir opposer un référendum (50 000 citoyens peuvent le demander dans un délai de 90 jours). La recherche du com- promis en amont fait donc plei- nement partie de la pratique légis- lative suisse. L’autre outil de démocratie directe, l’initiative populaire (100 000 citoyens peu- vent proposer un nouvel article constitutionnel dans un délai de 18 mois), peut conduire à cer- taines dérives, comme l’inter- diction des minarets acceptée en 2009, ou le renvoi des cri- minels étrangers en 2010. Càd : N’est-ce pas la porte ouverte à des questions far- felues ? V.K. : Des propositions com- me deux semaines de vacances supplémentaires, un salaire mini- mum à 3 400 francs ou un reve- nu de base inconditionnel, ont été balayées en votation popu- laire. Certains commentateurs parlent du bon sens des citoyens suisses, qui seraient responsa- bilisés par leur pratique couran- te de la démocratie. D’autres évoquent les investissements massifs des opposants à ces mesures pour convaincre les citoyens. Je considère que le système suisse est le moins mau- vais qui soit, malgré quelques dérives inévitables et malgré la
Le Locle
“La population n’a pas toujours raison,
mais elle a toujours le dernier mot”
P roposer deux semaines de congé supplémen- taires et un salaire minimum à 3 400 francs, il n’y a vraiment que les Suisses pour refuser. La population, sur proposition du Parlement du Locle, a récem- ment refusé que les élus puis- sent consacrer 80 % de leur temps à leur mandat au lieu de 50 % comme c’est le cas actuel- lement. Motif avancé : il ne faut pas mettre dans le rouge les finances de la Mère-commu- ne. Qu’en sera-t-il du référen- dum proposé par le conseil com- munal du Locle d’augmenter de 2 points l’impôt ? Conseiller communal en charge de l’ur- banisme et député au Grand conseil neuchâtelois, Cédric Dupraz ne se lance pas dans le jeu des pronostics. “On peut rap- peler que les impôts sont bas… Le système démocratique suis- se est relativement intéressant car il a gardé la conception rous- seauiste, c’est-à-dire en trouvant une forme de société où l’hom- me puisse se reconnaître lui- même, obéir à la loi et, en même temps, être libre” indique-t-il. En Suisse, l’exécutif se plie aux décisions du peuple à condition que celui-ci ait récolté assez de signatures. Un bémol : la len- teur des prises de décision et des risques de manipulation par des groupes de pression. “On s’aperçoit que le débat d’idées est de plus en plus restreint” admet Cédric Dupraz. Les dernières grandes élections qui ont - ou qui auraient - pu Les Loclois vont être question- nés sur l’augmentation des impôts dans leur commune. Cédric Dupraz, conseiller com- munal, évoque le système. Prochaine vota- tion : pour ou contre le mitage Le 10 février, une initiative demandera aux électeurs s’il est pour ou contre une den- sification de l’habitat à l’inté- rieur des villes et des agglo- mérations, ce que les Suisses appellent le mitage. Pour les partisans du texte, le mita- ge défigure le paysage suis- se et porte préjudice aux générations futures. Pour les petites communes, cela vou- drait dire qu’elles n’auront plus le droit de se développer. n
L’auteur Vincent Kucholl (photo D. Malloth).
lenteur qu’il implique. Il me paraît être l’un des meilleurs garants de la paix sociale dans notre pays, qui connaît très peu de grèves et de manifestations. Càd : Pensez-vous que les Suisses sont plus disciplinés ? V.K. : Il me semble que l’exer- cice régulier des droits démo- cratiques engendre en effet une certaine discipline. Même s’il ne faut pas tomber dans l’angélis- me : le taux de participation est d’environ 40 % depuis plus de 20 ans. Les citoyens ne sont donc pas tous pleinement investis dans la gestion de leur cité. Quant aux sujets de votation, il arrive que nous votions sur “n’importe quoi” comme récemment sur les cornes des vaches, fallait-il inter- dire de les couper ?, mais cela fait partie des charmes du sys- tème. Et cela n’a jamais engen- dré de crise majeure. Le risque que j’entrevois pour l’avenir est la crise que connaissent les médias, dont plusieurs ont dis- paru ces dernières années. Le citoyen, moins bien informé, pour- rait être amené à voter “n’im- porte comment”. Càd : Que pensez-vous du R.I.C. proposé par les gilets jaunes en France ? V.K. : Je vous avoue ne pas connaître les détails institution- nels de ce qui est proposé en France. Mais le système tel qu’il fonctionne en Suisse me paraît positif. Il fonctionne bien parce qu’il est couplé à l’architecture fédérale très décentralisée de notre État (chacun des 26 can- tons connaît également les mêmes mécanismes de démo- cratie directe) et à la taille rédui- te de notre pays (8 millions d’ha- bitants). Fédéralisme, subsidia- rité, proximité entre peuple et élites politiques, démocratie direc- te : voilà, selon moi, les com- posantes du miracle politique suisse. n Propos recueillis par E.Ch.
Élus loclois et chaux-de-fonniers s’étaient mobilisés pour que la population dise oui au maintien de l’hôpital.
changer la face des montagnes neuchâteloises, c’est le refus du peuple suisse de l’augmenta- tion de la vignette autoroutiè- re. Son abandon a bien failli
à La Chaux-de-Fonds, validé par la population. D’autres questions semblent plus futiles : “L’interdiction d’éri- ger des minarets a été votée alors
démantèlement de l’assurance- vieillesse. Cette réforme insi- dieuse allait de fait ouvrir la porte à une retraite à 67 ans (contre 65 aujourd’hui), pour- suit le conseiller loclois. En Suis- se, la population n’a pas tou- jours raison, mais elle a tou- jours le dernier mot.” Rappelons que les Suissesses ont dû attendre 1971 pour obtenir le droit de vote au niveau fédéral, 27 ans après les Françaises ! n E.Ch.
repousser aux calendes grecques le projet de contournement routier du Locle. “Tout est un jeu d’équilibre” admet
que le droit d’urbanis- me interdit partout en Suisse d’en créer” dit-il. D’autres ont montré leur importance à l’ins-
L’exécutif se plie au peuple.
tar de la réforme de l’assuran- ce-maladie : “Le peuple suisse a montré sa maturité et, com- me par le passé, a refusé le
Cédric Dupraz. Lui et d’autres membres politiques du Locle et de La Chaux-de-Fonds ont mili- té pour le maintien de l’hôpital
Mobilisation avant votation pour la survie de l’hôpital de La Chaux-de-Fonds.
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