Journal C'est à Dire 248 - Novembre 2018

É C O N O M I E

“Le comté, c’est un lien au vivant, avec les hommes, les animaux” Producteur de lait dans le Jura, Alain Mathieu, 51 ans, a pris la succession de Claude Vermot-Desroches à la tête du C.I.G.C. (Comité interprofessionnel de gestion du comté). Un passage de témoin dans la continuité avec la volonté de défendre les valeurs collectives d’une filière d’excellence. Entretien. Filière comté

C’ est à dire : Quel sentiment vous inspire cette arri- vée à la tête d’une filière particulièrement médiatisée ? Alain Mathieu : Le comté est exposé au bon sens du terme. D’un point de vue personnel, c’est plutôt un honneur que d’avoir été porté à cette res- ponsabilité. J’occupais déjà la deuxième vice-présidence du C.I.G.C. depuis 2015. Ce qui rend cette fonction passion- nante, c’est d’être dans une filiè- re de passionnés, qui a la cul- ture du faire ensemble en conju- guant les talents de chacun. Cette dynamique s’inscrit dans les origines du comté où il s’avé- rait nécessaire de grouper le lait pour fabriquer les premiers fromages de garde. La magie du collectif perdure.

Càd : Une filière souvent pri- se en exemple ? A.M. : Ce modèle de filière répond au besoin des gens d’être ensemble. Le comté, c’est un lien au vivant, avec les hommes, les animaux. On défend de vraies valeurs : le rapport à la nature, à l’alimentation, à la gastro- nomie. Càd : Comment le comté s’adapte au changement cli- matique ? A.M. : Le fait d’avoir un modè- le agricole plus extensif permet de mieux amortir les change- ments climatiques. Même si cer- tains secteurs géographiques souffrent plus que d’autres. Il faut raisonner sur le cycle de vie d’une exploitation, soit quatre saisons. Pour l’instant, c’est un peu tôt pour dresser un bilan. L’adaptation de la filière à l’été 2018 sera une expérience qui

Producteur à Bief-les- Maisons, ancien président de la F.D.C.L. du Jura, Alain Mathieu est désormais à la tête de l’interprofession du comté.

donnera des comtés reflétant les conditions particulières de la sécheresse. Càd : La filière a-t-elle enco- re des marges de progres- sion ? A.M. : On est aujourd’hui à 65 000 tonnes de comté avec une croissance de 1 à 2 % par an. Le développement en termes de volume passe par l’accueil de nouvelles surfaces, donc de nou- veaux producteurs. Il reste enco- re des terres à comté non valo- risées. On a toujours procédé ainsi. Exemple avec la création d’une nouvelle fruitière dans le Valromey. Cette coop est déjà constituée juridiquement. Elle réunira 14 exploitations et tra- vaillera avec le seul affineur ins- tallé dans l’Ain où il y a déjà six ateliers à comté. Càd : Vous restez dans une logique de développement maîtrisé ? A.M. : Tout à fait, et cette poli- tique se traduit par les nouvelles mesures en cours d’élaboration au niveau du cahier des charges. On souhaite limiter la taille des exploitations à 1,2 million de litres de lait en plafonnant aus- si le nombre de vaches par éle- veur. De cette manière, l’hom- me reste au cœur des décisions. Le modèle de la ferme à comté

faces boisées qu’un recul. Pour revenir au casse-cailloux, je pen- se que l’enfrichement n’est pas forcément une bonne nouvelle pour la biodiversité. C’est impor- tant à mon sens d’entretenir les paysages, les haies, sans pour autant tout détruire. Le casse- cailloux suscite des débats com- pliqués. Dans le futur cahier des charges, on a prévu de mettre en place une commission inno- vation qui travaillera sur l’amé- lioration des conditions de tra- vail dans le respect des pro- ducteurs et des savoir-faire. Càd : Le comté, c’est combien d’emplois ? A.M. : On estime que la filière mobilise 14 000 salariés. Il s’agit d’emplois non délocalisables, rémunérateurs et qui créent aus- si de la fierté. Càd : À l’approche de l’hiver, les partenariats engagés entre le C.I.G.C. et les fédé- rations de ski nordique sont- ils toujours d’actualité ? A.M. : Oui, on continue à sou- tenir les athlètes engagés au plus haut niveau en biathlon, combiné nordique, fond spécial. Les valeurs du ski, un sport nature par excellence, sont en cohérence avec le territoire com- me les valeurs du comté. n Propos recueillis par F.C.

ment des acteurs et notamment des producteurs. Ne doit pas tomber dans le piège de la faci- lité et se croire à l’abri. La vigi- lance s’impose en permanen- ce. Les nouveaux arrivants doi- vent rester prudents et raison- nables dans leurs investisse- ments. On doit toujours être capable d’exaucer la promesse comté. 250 000 visiteurs décou- vrent chaque année les routes du comté. Cette réussite tou-

passe par le maintien des vaches aux champs. Elles devront ain- si disposer de plus de 50 ares de pâturages accessibles autour du point de traite. La réflexion s’ap- plique aux ateliers sachant que la taille moyenne d’une coop avoisine 4 millions de litres de lait. En agissant ainsi, on par- ticipe au maintien de la diver- sité des terroirs, des savoir-fai- re. Le comté n’a jamais répon- du à une logique de rationali- C’est l’une des particularités de la filière qui réussit à faire coha- biter des structures de tailles très variables. Càd : L’interdiction du robot de traite dans le comté est une bonne décision ? A.M. : On n’est pas contre l’au- tomatisation qui permet de trai- re un plus grand nombre de vaches mais on veut des fermes à taille humaine où l’éleveur participe et reste en capacité de maîtriser son cheptel. Càd : Ce modèle économique a de l’avenir ? A.M. : La pérennité de la filiè- re tient d’abord par l’engage- sation de son outil de production, ni de stan- dardisation. On trouve encore des petites et des grosses exploitations. Idem pour les ateliers.

ristique est assez extra- ordinaire. Elle contri- bue à renforcer chez les producteurs le senti- ment d’appartenance à une filière.

“La magie du collectif perdure.”

Càd : Le casse-cailloux est-il compatible avec l’image du comté ? A.M. : On s’est engagé dans la démarche “bio-div” qui rassemble des acteurs de la filière et diverses associations de pro- tection de la nature pour échan- ger sur ces questions d’occu- pation de l’espace et d’évolution des pratiques agricoles. L’agri- culture occupe aujourd’hui 40 % de l’espace franc-comtois et sur ces 40 %, la part des productions A.O.P. atteint 70 %. N’oublions pas la place occupée par la forêt, l’urbanisation, les infrastruc- tures…Globalement, on consta- te plutôt une avancée des sur-

La filière comté mobilise 14 000 salariés, autant

d’emplois non délocalisables.

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