La Presse Pontissalienne 302 - Mars 2025
32 Le dossier
Mars 2025
l Interview
Les confidences d’un trafiquant “On peut vendre jusqu’à 500 kg de cocaïne par an” Un trafiquant de drogue du secteur a accepté de se confier sur ses pratiques et l’évolution du phénomène. Nous l’appellerons David, il fait partie d’un groupe local composé d’une dizaine d’intervenants.
C omment est structuré votre groupe, combien de personnes sont impliquées et quelles fonctions occupent-elles ? David : Notre groupe est constitué d’une dizaine de personnes environ. Il y a deux responsables et environ 7 ou 8 petites mains qui s’occupent des livrai sons, du stockage des produits, du maté riel et de la récupération de l’argent… Nous ne travaillons qu’avec des reven deurs et ne gérons pas la vente directe au consommateur. Combien de groupes comme le vôtre existe t-il selon vous dans la région ? D. : Je pense qu'il y a environ une dizaine de groupes comme le mien dans la région. À quelle autre organisation êtes-vous connecté ? D. : Nous sommes en lien essentielle ment avec des organisations espagnoles ou du Benelux. Quelle quantité votre groupe vend-il par an sur la région ? D. : Cela peut varier selon les années. On peut vendre jusqu’à 1 ou 2 tonnes
par an en résine de cannabis et herbe de cannabis, et jusqu’à 400 ou 500 kg de cocaïne par an sur toute la France. Ce sont des approximations car chaque année ne se ressemble pas. Il peut y avoir des pénuries ou au contraire de gros arrivages qui varient selon la pro
duction. Par exemple, depuis le début d’année 2025, il n’y a aucun arri vage de résine de canna bis sur l’ensemble du ter ritoire français. À votre échelle, quels sont les bénéfices d’un trafic comme le vôtre ? D. : En réalité, nos marges de bénéfice sont minimes car nous ne sommes qu’un maillon d’une pyra mide où chaque étage prend sa marge. Le nom bre d’intermédiaires ne cessant de croître, nos bénéfices n’en sont que diminués. Exemple sur 1 kg de cocaïne, le gros
La consommation de cocaïne s’est banalisée également dans notre département.
“La répression à outrance touche ses limites.”
siste va prendre entre 500 et 2 000 au maximum. On est très loin des chiffres fantasmés par la presse ou les autori tés. Est-ce qu’à votre échelle vous êtes concerné par le blanchiment d’argent? Est-ce que le mythe urbain des barber-shops ou des kebabs a un fondement ?
trafic de stupéfiant que ce mythe a attiré énormément de jeunes. Ceux ci, confrontés à la réalité des chiffres, sont rapidement frustrés par le peu de marge et utilisent la violence comme exutoire. Par exemple dans l’affaire des tirs de kalachnikov au centre-ville de Besançon, les personnes incriminées n’étaient absolument pas en lien avec le trafic de stupéfiants. C’était de la violence gratuite qui devient un busi ness model : home-jacking, séquestra tion, intimidation, etc. Que pensez-vous des récentes propositions du gouvernement concernant les prisons de haute sécurité pour les plus gros trafiquants de drogue, les opérations “place nette” et autres ? D. : Je pense qu’il y a énormément d’ef fets d’annonce dans tout ça. En ce qui concerne l’idée d’une prison de haute sécurité, c’est une gabegie financière pour le contribuable qui risque, en concentrant les plus gros trafiquants, de générer des guerres de clans ou pire encore, des regroupements de réseaux. Cet argent serait certainement plus utile à optimiser l’espace carcéral totalement saturé en France. Par ail leurs, ce type d’établissement va créer une “labellisation” des trafiquants et une sorte de podium des plus gros… D’autre part, les budgets alloués à la prévention sont beaucoup trop faibles. À noter également que peu d’efforts sont faits à destination du consomma teur. Il faut comprendre, qu’encore une fois, c’est la société qui est de plus en plus violente. Un travailleur pour assu mer les cadences demandées ou pour faire face aux besoins financiers tou jours croissants, va rentrer chez lui et se fumer un joint. Pour détention de stupéfiant, il se fera retirer son permis, ce qui risque d'entraîner la perte de son emploi. Il s’ensuivra une amende, un stage de récupération de points et peut-être l’intervention d'un avocat, sans compter les prises de sang, le stage de sensibilisation, le médecin de la préfecture… tout ça coûte très cher! C’est un engrenage qui va le pousser vers encore plus de pression et l’attirer vers des produits encore plus forts… C’est là que la répression à outrance touche ses limites. n
D. : À notre échelle, on n’est pas du tout concerné par le blanchiment d’ar gent. Ceci ne concerne vraiment que le haut de la pyramide et en ce qui concerne les blanchiment via des bar ber-shops ou des kebabs, ceci n’est aujourd’hui absolument plus d’actua lité. Cette pratique avait cours au début des années 2000 jusqu'en 2010 je pense, mais cela ne se fait plus du tout car ça représente plus d'ennuis que de bénéfices. Quelles sont les charges pour un groupe comme le vôtre ? D. : On ne peut jamais faire un chiffre d’affaires global annuel car chaque transaction est différente mais les charges représentent au minimum 60 % du chiffre d’affaires. Est-ce qu’il existe, à l’échelle de votre réseau, de la corruption vis-à-vis des forces de l’ordre, douanier, etc. ? D. : Non, car cela reviendrait à faire une alliance avec les autorités, ce qui serait dommageable à mon réseau. La corruption n’est plus du tout celle qu’elle était il y a 15 ans. Aujourd’hui les principaux indics des forces de l’or dre sont des trafiquants sur le terrain, ou plus haut, des chefs de réseau qui, par le biais d’informations données aux forces de l’ordre, souhaitent éli miner la concurrence. À notre échelle, la discrétion est de mise et c’est par là que passe notre salut. Le trafic de stupéfiants est réputé comme étant dangereux comment le percevez-vous ? D. : En réalité, c’est un business certes illégal, mais qui n’est pas plus dange reux qu’un autre. C’est la société qui est de plus en plus dangereuse globa lement. Au contraire, c’est un micro cosme où tout le monde se connaît plus ou moins et où chacun évite de marcher sur le territoire de l’autre. Il y a même une sorte de solidarité. La plupart des problèmes se résolvent en interne par textos. Alors qu’est ce qui justifie l’explosion de vio lence que l’on observe partout sur le territoire et notamment à Besançon ? D. : Pour moi, il y a un tel fantasme de l’argent facile à la “Scarface” via le
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