Le Doubs Agricole 44 - Novembre 2024

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b Anqu e “On assiste à un changement de paradigme pour la filière Après une décennie 2010-2020 marquée par un “alignement des planètes” favo rable aux filières fromagères, les nouvelles “mégatendances” issues

doit être repensé au-delà des déci sions de 2024 pour donner de nou velles perspectives? PM : Nous ne sommes pas en capa cité de connaître en lieu et place des acteurs les adaptations ou décisions opportunes pour l’avenir. Pour autant, la mission d’un banquier est d’analy ser les “mégatendances” dans les quelles exercent les acteurs de la filiè re et de proposer un accompagnement adapté aux conditions du moment. Dans un environnement moins por teur, tous les acteurs doivent revisiter “leur logiciel” et repenser leur busi ness model précédemment fondé sur un accroissement de richesse “qua si-automatique” année après année, d’autant que le niveau des charges est devenu sensiblement plus volatil. LDA: Pouvez-vous prendre quelques exemples concrets, notamment sur l’installation des jeunes agriculteurs? PM : Un jeune qui s’installait au cours des 15 dernières années voyait dès les premières années post-installation ses prévisions de chiffre d’affaires constamment revues à la hausse grâ ce à la progression de la M.P.N. et plus marginalement du droit à pro duire. Cette installation assise sur une dette de reprise au coût faible (1 %) largement inférieur à l’évolution de la rentabilité de son exploitation lui pro curait un enrichissement progressif qui permettait d’assurer le rembour sement des crédits d’installation, la modernisation de ses équipements mais aussi son projet de résidence principale. Le nouvel environnement de hausse généralisée du coût des reprises, des charges financières, des matériels et bâtiments, des charges générales d’exploitation, conjugué à l’absence de perspectives de déve loppement rend l’exercice d’installa tion plus contraint et n’offre plus les mêmes marges de sécurité sachant que 40% des installations se font hors cadre familial. Afin d’amortir cet écart, Le Crédit Agricole a produit une offre de prêt à 0 % pour soutenir et main tenir la dynamique d’installation et le renouvellement des générations.

d’un environnement économique moins accommodant invitent les acteurs de la filière à revisiter leurs business models. entretien avec Philippe marmier, directeur engagements et agriculture au crédit Agricole Franche-comté.

L e Doubs Agricole : D’un point de vue bancaire, quelle vision macro-économique posez vous sur l’évolution de la filiè re comté? Philippe Marmier : La filière comté a connu pendant 15 ans de 2009 à 2023 une croissance continue et régulière de son développement grâce au dyna misme de l’ensemble de ses acteurs et leurs efforts d’investissements sou tenus dans la durée. C’est à ma connaissance une performance sans précédent ni équivalent dans le mon de de l’agro-alimentaire, dont le méri te en revient à tous les acteurs de la filière qui ont su créer les conditions de ce succès. Dans la même période, cette stratégie filière gagnante a été soutenue par un contexte que les éco nomistes décrivent “d’alignement des planètes” qui a disparu depuis. Tous les maillons de la filière (producteurs, outils de transformation et entreprises de l’aval) sortent considérablement renforcés de cette longue période avec une consolidation de leur solidité finan cière, des outils modernisés et une position de leader parmi toutes les A.O.P. fromagères françaises. LDA : Vous évoquez un changement de contexte, pourriez-vous préci ser ce qui a changé concrètement d’un point de vue financier? PM : Nous sommes sortis d’une décennie 2010-2020 où la croissan ce était modérée, mais au final, favo rable aux acteurs économiques : infla tion contenue, y compris salariale, matières premières et énergies abon dantes et peu onéreuses, absence de tension géopolitique ou de choc exté rieur majeur, taux d’intérêt bas, acci dents climatiques peu fréquents, impacts encore limités des normes liées à la R.S.E. (Responsabilité socia le des entreprises). Depuis 2020, sur l’ensemble de ces critères nous avons

“changé de monde”, changé de para digme. Ce nouveau contexte écono mique général a mis fin, de façon anti cipée, au cycle haussier des prix du comté depuis 15 ans. LDA : Vous n’avez pas encore par lé des conditions financières, alors que l’on a connu une remontée signi ficative des taux d’intérêt? PM : La période de taux très bas que nous avons connu a considérable ment soutenu le développement des filières comté, morbier, mont d’or et bleu de Gex Haut-Jura par nature très capitalistique. Tous les échelons en ont bénéficié: de l’installation des jeunes agriculteurs à la modernisation des exploitations agricoles et des frui tières, mais également au travers des investissements capacitaires et logis tiques des affineurs. Le Crédit Agri cole, principal financeur, et les banques en général, ont largement répercuté les baisses de taux contribuant ainsi à la solvabilisation de l’ensemble des acteurs. L’économie de frais financiers relative aux crédits d’investissements et de stock pour l’ensemble des acteurs de la filière entre 2010 et 2020 repré sentait 20 millions d’euros par an.. Concernant les taux d’intérêt actuels, nous sommes rentrés dans une pério de de normalisation à des niveaux cohérents et acceptables sur longue période. Nous ne reviendrons pas aux conditions passées malgré la déten te observée ces derniers mois. LDA: Quels principaux défis rele vez-vous pour la filière à partir des indicateurs actuels? PM : Le sujet, à court terme, est d’as surer un “atterrissage en douceur” ou soft landing comme disent les Anglo Saxons pour retrouver un niveau “cohé rent des stocks”. L’enjeu porte selon la profession sur l’écoulement d’un excé dent des vieux comtés avec les attentes

du marché. Dans cet ajustement, il est important d’éviter de “détruire de la valeur” et d’envoyer un signal baissier au marché qui influerait négativement sur la M.P.N. (moyenne nationale pon dérée), et in fine sur les prix de lait des producteurs. L’interprofession a acté ce déséquilibre des stocks et s’est don né des moyens d’action : l’ajustement des volumes de production conjugués aux mesures d’écoulement de certains stocks de “vieux fromages” devrait pro duire leurs effets dans les trimestres à venir. Il est encore trop tôt pour en mesu rer les résultats. LDA : Quelles conséquences poten tielles voyez-vous dans cette pha se d’ajustement? PM : Il y a les conséquences immé diates et des impacts différés dans le temps qui se traduiront progressive ment dans le compte d’exploitation des acteurs économiques de la filière. Pour les entreprises de l’aval et dans le contexte haussier qui prévalait, les stocks généraient des gains liés à une meilleure valorisation des fromages plus affinés grâce à des coûts finan ciers faibles en raison des taux d’in térêt bas. Aujourd’hui, la situation est différente avec un risque potentiel de valeur en cas de vieillissement et un coût financier accentué pour les entre prises de l’aval. En complément, le plan de régulation de la production va produire ses effets progressivement sur les ateliers de transformation avec des performances amoindries : la bais se des volumes par exemple, réduit la dilution des charges fixes. Quant aux producteurs, ils sont plus ou moins impactés par la réduction des droits de production ainsi que par une évo lution moins favorable de la M.P.N., déterminante dans le calcul du prix de lait payé aux agriculteurs.

LDA : Pensez-vous que le système

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