Le Doubs Agricole 44 - Novembre 2024

Hors série de la Presse Pontissalienne

LA NOUVELLE MINISTRE DE L’AGRICULTURE

Annie Genevard sur tous les fronts

HORS-SÉRIE DE LA PRESSE PONTISSALIENNE N°44

NOVEMBRE 2024

p. 4

Évolution des A.O.P. fromagères : de la prospérité à la stabilité

Le dossier en p. 10 à 19

(Photo Image et Associés)

Ensemble, cultivons & concrétisons les projets qui feront l’agriculture de demain.

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SOMMAIRE

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P luviométrie incessante, épi zootie menaçante, préda tion du loup alarmante : l’an née qui s’achève est plutôt tristounette pour l’agriculture du Doubs qui n’est sans doute pas, malgré tout, la plus à plaindre. Alors quand un rayon de soleil éclaire ce ciel morose, il ne passe pas inaperçu. D’autant plus quand l’ini tiateur de cette éclaircie n’a rien à voir avec la profession agricole. Parisien venu s’installer dans le Haut-Doubs, Sylvain Bourgeois a choisi de s’intégrer en participant activement à la préparation du comice de l’ancien canton de Pon tarlier organisé le 5 octobre der nier par les communes de Saint Point-Lac et des Grangettes. Son idée : apporter une animation inédi te sur un comice avec une vente aux enchères d’objets insolites dont les bénéfices seront versés au budget de l’événement. Heu reux hasard, Sylvain Bourgeois connaît bien Jérôme Duvillard, com missaire-priseur et plus connu com me expert dans l’émission Affaire conclue, diffusée chaque jour en fin de journée sur France 2. Du coup, cette vente aux enchères avec ce personnage médiatique prend du relief. Les lots proposés sont attractifs : sculpture de vache, tableaux campagnards, cloche, veste olympique de Vincent Defras ne. Le soleil et le public étaient de é d i t o Adjugé !

ACTUALITÉ Annie Genevard, ministre de l’Agriculture

P. 4

La députée de la V ème circonscription du Doubs est désormais en charge de l’agriculture au sein du gouvernement Barnier. Un portefeuille de choix mais particulièrement sensible dans un climat agricole au bord de l’implosion. La visite d’Arnaud Rousseau président de la F.N.S.E.A. Le président de la F.N.S.E.A. est venu prendre le pouls des préoccupations agricoles au G.A.E.C. Verdot à Champlive, une ferme en lait standard. L’occasion de causer exportations, météo, prédation, loi d’orientation agricole, égalim… LE DOSSIER P. 10 à 18 Quel avenir pour les filières comté, morbier, mont d’or et bleu de Gex Haut-Jura ? Après une évolution exceptionnelle, les quatre A.O.P. fromagères du Massif jurassien marquent le pas pour diverses raisons : politique, pouvoir d’achat, sanitaire, transition climatique. Quelles sont les stratégies et marges de manœuvre des uns et des autres ? Dossier. PROJET La montbéliarde trace sa route P. 20 Les communes et agriculteurs du Val de Morteau en partenariat avec la Chambre d’agriculture du Doubs-Territoire de Belfort travaillent à la création d’une route thématique sur la race montbéliarde.. TECHNOLOGIES Le mal-être agricole : quelle écoute ? quel accompagnement ? P. 38-39 La M.S.A. Franche-Comté en partenariat avec la D.D.T. et la Chambre d’agriculture coordonne les actions de sensibilisation et l’accompagnement des agriculteurs en souffrance. P. 6 à 8

La vente flash s’est déroulée le 5 octobre dernier, animée par Maître Duvillard.

la partie pour l’événement où cha cun a tenu son rôle. Au total, la vente a rapporté 3 510 euros, la veste portée par le champion olym

pique quand il était porte-drapeaux aux J.O. de Vancouver a été acqui se 600 euros par un jeune admi rateur venu de Paris. n

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Le Doubs Agricole Hors-série de “La Presse Pontissalienne” Conception, rédaction, publicité et réalisation : S.A.S. Publipresse Médias Tél. : 03 81 67 90 80 E-mail : redaction@publipresse.fr - www.publipresse.fr Directeur de la publication : Éric Tournoux. Directeur de la rédaction : Jean-François Hauser. Rédaction : Frédéric Cartaud, Jean-François Hauser, Laurine Personeni. Crédits photos : Publipresse, Image et Associés, Ministère de l’Agriculture. Impression : Est Imprim. I.S.S.N. : 1623-7641 - Dépôt légal : Novembre 2024 Commission paritaire : 0227 D 79291 La reproduction partielle ou totale de textes ou photographies de ce numéro du “Doubs Agricole” est subordonnée à l’autorisation de l’éditeur.

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ACTUAL I TÉ

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LA nouVeLLe miniStRe

Annie Genevard

déjà sur tous les fronts

F ièvre catarrhale ovine, loups, intem péries, aides européennes… Les dossiers se sont rapidement empi lés sur le bureau parisien de l’ex députée du Haut-Doubs devenue ministre. Sa première sortie, c’est au Sommet de l’élevage de Cournon (Puy-de-Dome) qu’elle l’a faite, avec une première annon ce sur l’extension et la gratuité des vac cins contre la F.C.O. Son premier fait d’armes, c’est ensuite l’annonce du versement de l’avance des aides directes de la P.A.C. et de l’I.C.H.N. (Indemnité Compensatoire de Handicaps Naturels). “Conformément aux engagements pris, le paiement des avances des aides de la Politique agricole commune 2024 est arrivé sur les comptes des agriculteurs à compter du 16 octobre, soit dès le premier jour permis par la réglementation européenne” s’est félicitée la nouvelle ministre. Ainsi, plus de 4,32 milliards d’euros ont été versés entre le 16 et le 18 octobre par l’Agence de Services et de Paiement (A.S.P.) au titre des aides du premier pilier de la P.A.C. et de l’I.C.H.N.). Ces avances concernent les aides découplées (aide de base au revenu pour un développement durable, aide redistributive complémentaire au revenu pour un développement durable, éco-régime et aide complémentaire au revenu pour les jeunes agriculteurs), la plupart des aides couplées animales (aides ovines, caprine, bovine en Hexagone et aide aux petits ruminants en Corse) ainsi que l’I.C.H.N. Pour répondre aux difficultés de trésorerie de nombreux agriculteurs, la nouvelle ministre a par ailleurs décidé de porter le taux d’avance à 70 % pour les aides du premier pilier et à 85 % pour l’I.C.H.N. Plus de 253 000 agriculteurs, soit près de 93 % des demandeurs d’aides ont été concernés par ces premiers paiements. De nouveaux trains de paiements devaient suivre en novembre jusqu’au versement du solde en décembre. n La nouvelle ministre de l’Agriculture, de la Forêt et de la Souveraineté alimentaire avait accordé à notre rédaction sa toute première interview juste après son installation rue de Varenne à Paris.

Annie Genevard lors de sa pre mière sortie au Sommet de l’élevage à Cournon d’Auvergne en octobre (photo ministère de l’Agriculture).

R é Ac t i on

“Ce portefeuille de l’Agriculture, c’est une responsabilité de cœur pour moi” La nouvelle ministre de l’Agriculture, de la Forêt et de la Souveraineté alimentaire nous a accordé sa toute première interview depuis sa prise de fonction. Son installation, les dossiers prioritaires qu’elle devra gérer, elle livre ses premiers sentiments. L e Doubs Agricole : Où sont allées vos pensées au moment d’être nommée ministre ?

résultat de l’engagement que j’ai auprès du monde agricole depuis douze ans. Je dirais plutôt que c’est une continuité. J’ai énormément appris à leurs côtés, sur le plan professionnel, humain. Ce portefeuille de l’Agriculture, c’est une responsabilité de cœur pour moi. C’est un grand ministère qui concerne tous les Français, sans exception, car il touche aussi bien à des activités ancestrales qu’à l’avenir de ce pays, sa souveraineté alimentaire, l’identité de ses terroirs, etc. AG : Il y a en ce moment en France des territoires qui souffrent beaucoup. Toute l’agriculture française n’est pas forcément à l’image de la filière comté, loin de là. Ma priorité immédiate est donc de répondre aux territoires touchés par la fièvre catarrhale ovine et par la fièvre hémorragique. Je me LDA : Quels sont vos dossiers prioritaires ?

devrai d’apporter des premières réponses à ces filières à l’équilibre économique très fragile, j’ai prévu de le faire à l’occasion de ma venue au Sommet de l’élevage à Cournon en ce début du mois d’octobre. L’autre actualité compliquée, c’est celle des récoltes de blé et des récoltes maraîchères qui ont subi des déficits en eau dans le Sud pour les secondes, et un trop-plein d’eau dans le Nord pour les premières, avec des rendements en chute libre. Il faudra là aussi apporter des réponses rapides. Je n’oublie évidemment pas la colère du monde agricole qui s’est manifestée en début d’année et qui n’a pas obtenu toutes les réponses à ses inquiétudes. Il y a encore beaucoup d’attentes d’autant que cette parenthèse de trois mois depuis la dissolution avait congelé l’action du gouvernement. n Propos recueillis par J.-F.H.

Annie Genevard : Il y a eu plusieurs temps. Le premier moment vraiment émouvant a été vécu le samedi soir au comice de Mouthe. Michel Barnier m’avait appelé quelque temps avant mais j’ai tenu à rester le soir auprès des agriculteurs pour l’annonce officielle de ma nomination. Cela avait à mes yeux beaucoup de sens d’être là au milieu des éleveurs du canton et des élus locaux. L’explosion de joie à l’annonce de cette nomination a été évidemment très touchante. J’ai évidemment eu aussi une pensée pour ma famille, ma maman bien sûr avec qui j’ai partagé l’engagement dans la vie publique. LDA : Ce poste de ministre est un aboutissement pour vous ? AG : Oui, dans le sens où c’est le

ACTUAL I TÉ

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S y n d i c At

Arnaud Rousseau à la rencontre des agriculteurs du Doubs Le président de la F.n.S.e.A. était en visite au G.A.e.c. Verdot à champlive le 10 octobre dernier. L’occasion de prendre la température

des préoccupations agricoles locales et d’évoquer les grands chantiers à venir.

U ne fois n’est pas coutume dans le Doubs, ce déplace ment syndical a été organi sé sur une ferme en lait stan dard exploitée par Paul et son cousin Charles Verdot, avec le jeune Robin

Clément en apprentissage. Le G.A.E.C. Verdot soigne un troupeau de 190 animaux dont 85 vaches lai tières pour une référence de 720 000 litres de lait standard livré à L’Ermi tage à Clerval. “Il y a quelques années,

Arnaud Rousseau a découvert le G.A.E.C. Verdot exploité par les cousins Paul et Charles Verdot.

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évoque aussi la question de l’export des montbéliardes qui bat de l’aile depuis la fermeture du marché algérien. “C’est peut-être un mal pour un bien car cela nous obligera à trouver d’autres marchés” , estime Philippe Monnet, le président de la chambre d’agriculture Doubs-Territoire de Belfort. Florent Dornier, le président de la F.D.S.E.A. du Doubs s’inquiète des conséquences de la forte pluviométrie qui remplit les fosses et risque de poser des soucis d’épandage hors des périodes autorisées. “L’objectif n’est pas d’aller à l’encontre de l’environnement mais s’adapter aux circonstances. Les exploitations peuvent stocker 4 à 6 mois de lisier mais quand il pleut pratiquement toute l’année, cela devient complexe.” Et Arnaud Rousseau de répondre : “C’est un sujet préoccupant au niveau national et pour lequel on demande des dérogations.” Sujet de conversation incontournable : le loup. “Dans le Doubs, on essaie de travailler de façon constructive.

Le président de la F.N.S.E.A. était en déplacement le 10 octobre à Champlive sur une exploitation en lait stan dard.

de F.C.O. détecté sur le troupeau. Par précaution, toutes les génisses ont été vaccinées sans savoir si cela sera suffisant. “On ne sait plus trop quoi faire quand on voit l’ampleur de cette épidémie.” Le jeune agriculteur

on avait étudié la question de passer en lait A.O.P. Le diagnostic qui avait été établi montrait qu’on avait une structure plus adaptée pour faire du lait standard. On fait suffisamment de volume et avec un lait payé à

490 euros les 1000 litres, on s’en sort bien en évitant aussi les inves tissements nécessaires pour adap ter l’outil de travail aux normes A.O.P.” , explique Charles Verdot en ajoutant qu’il n’y avait pour l’instant aucun cas

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ACTUALITÉ 8

On a fait l’effort de tester certains dispositifs comme les colliers anti-loup mais ces expérimentations ne sont pas très concluantes. On voit aussi que les attaques ne se limitent plus au Haut-Doubs mais touchent aussi les premiers plateaux.” Un sujet qui préoccupe aussi le président de la F.N.S.E.A. “82 départements sont désormais colonisés par le loup et son expansion n’est plus sous contrôle. On attend avec impatience le grand rendez-vous de début décembre à Bruxelles quand l’Union Européenne va se prononcer sur la question du déclassement de l’espèce de strictement protégée à seulement protégée. Rien n’est gagné car si la présidente de la commission est favorable, on sait qu’il y a aussi des adversaires à ce déclassement.” n

“On veut retrouver une liberté d’entreprendre, une liberté de produire et pour cela on a besoin d’être aidé”, explique Arnaud Rousseau.

“Ce qui compte aujourd’hui, ce n’est pas les paroles, mais les actes” Le président de la F.n.S.e.A. a passé en revue les grands chantiers nationaux.

l Loi égalim “On ne peut pas descendre plus bas sur les prix laissés aux agriculteurs fran çais.” l La colère des agriculteurs “Je me déplace beaucoup comme aujourd’hui pour prendre la tempéra ture et faire remonter les réalités du ter rain à Paris. On veut retrouver une liber té d’entreprendre, une liberté de produire et pour cela on a besoin d’être aidé. L’agriculture française est globalement dans une passe difficile. Certains dépar tements sont déjà entrés en action.” l épizootie “Quand la problématique sanitaire sera gérée à l‘échelle européenne? Qui va payer les vaccins ? Une aide de 75 mil lions d’euros, c’est insuffisant. Dans l’immédiat, il faut gérer l’urgence avant de se donner les moyens de mener une vraie politique vaccinale. Important aus si de rappeler que le sanitaire n’a aucu ne incidence sur la qualité de la viande bovine ou ovine. Il faut continuer à man ger des produits français.” l Loi d’orientation agricole “Cette loi a été votée en première lec ture en juin puis mise en suspens jus qu’à l’installation du nouveau gouver nement. On la trouve incomplète. Certains points ne sont pas traités com me celui concernant l’utilisation des produits phytosanitaires.” n

l Simplification administrative “63 mesures ont été débattues avec le gouvernement. Quelques-unes ont été appliquées avec succès comme avec le G.N.R., mais c’est insuffisant.” l Mesures fiscales et sociales “On a grandement besoin d’avancer sur ces questions. Il y a encore beaucoup trop d’incertitudes et c’est cela qui plom be le moral des agriculteurs. On attend aussi des mesures structurelles qui puis sent au final favoriser la production agri cole française en limitant les importa tions. Ce qui compte aujourd’hui, ce ne sont pas les paroles mais les actes. On peut citer quelques exemples : les déro gations sur l’épandage, autoriser la créa tion de bassins de stockage d’eau pour faire face aux aléas climatiques, accor der une diminution de 20 à 30 % de la taxe sur le foncier bâti…” Florent Dornier, président de la F.D.S.E.A. du Doubs, a évoqué les conséquences de la forte pluviométrie avec des fosses déjà pleines et qu’il faudra sans doute vider hors des périodes légales d’épandage. La F.N.S.E.A. s’est emparée du sujet en demandant des dérogations au gouvernement.

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10 RETOUR SUR LE PLANCHER D POUR LES A.O.P. FROMAGÈRES

A.o.P. comté

“La production de comté arrive

L e Doubs Agricole: Comment expliquer le doublement des volumes en 30 ans et le dou blement des prix en 10 ans? Alain Mathieu : La croissance a été de l’ordre de 2 % par an grâce à l’engoue ment des consommateurs. Le comté est un fromage qui plaît beaucoup à tou te la famille. Il y en a pour tous les goûts et pour tous les instants du quotidien: au petit-déjeuner, à la pause, au déjeu ner, à l’apéritif… La filière comté a aus si conduit une politique volontariste d’ou verture et d’accueil en particulier vers de nouveaux producteurs en reconversion venant du lait conventionnel ou du lait historiquement transformé en emmen tal dans notre zone. Ces producteurs ont rejoint la filière au fil des ans. On peut aussi citer la création de la toute nou velle fruitière du Valromey dans le dépar tement de l’Ain avec 15 nouveaux pro ducteurs. Le prix du comté a évidemment suivi l’inflation. En outre, l’accroissement permanent de la qualité ainsi que l’âge moyen de vente expliquent une autre part de l’évolution du prix. Pour le res te, le prix de vente aux consommateurs est libre et soumis à la politique tarifaire de la distribution.

Après des années de croissance ininterrompues, la filière comté marque le pas, au point de devoir ajuster le plan de campagne qui passe désormais à un rythme annuel. comment la filière s’adapte à cette évolution ? éléments de réponse avec Alain mathieu, le président du c.i.c.G.

LDA : Combien la filière comté génè re-t-elle d’emplois? AM : La filière comté est composée de 2 400 fermes réparties sur tout le terri toire de l’A.O.P., 140 fruitières et une quinzaine de maisons d’affinage. D’après une étude menée par l’Université de Bourgogne-Franche Comté, la filière génère 14000 emplois directs et indi rects. LDA: Comment se traduit la vitalité du comté chez les acteurs de la filiè re? AM : La filière comté est particulière ment dynamique en termes d’installa tion. Le taux de renouvellement des générations est proche d’une installa tion pour un départ. Si bien que l’âge moyen des producteurs de lait du Doubs est inférieur à celui de la moyenne natio nale. Dans le même temps, les ateliers de transformation ont investi dans de nouveaux locaux ou de nouveaux équi pements, notamment pour limiter la pénibilité du travail et permettre ainsi la féminisation du métier de fromager. Enfin, les affineurs ont construit de nou velles caves en y apportant beaucoup de soins, créant ainsi de la valeur autour

“Nous sommes

revenus à des ventes

équivalentes à la période avant Covid”, précise le président du C.I.G.C. (photo C.I.G.C.).

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Depuis une quinzaine d’années, les filières comté, morbier, mont d’or et bleu de Gex-Haut-Jura connaissent une croissance qui n’a sans doute jamais été aussi forte que ce soit en volume comme en prix. Pour certains spécialistes, l’exemple du comté relève presque d’une anomalie. Mais la croissance n’est malheureusement pas éternelle tout comme la stabilité du contexte économique, climatique, politique. La conjonction de ces paramètres modifie l’écosystème des filières à chaque maillon, de la production aux habitudes de consommation. Comment chacun s’est adapté et se projette dans l’avenir ? Analyse, éléments de réponse.

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probablement à un plateau”

des fromages. De plus, ces investisse ments créateurs d’emplois sur notre ter ritoire, permettent le développement de production d’électricité grâce à de nom breuses installations de panneaux pho tovoltaïques en toiture. LDA: Dans quel contexte et depuis quand le comté connaît un ralentis sement de ses ventes? AM : Depuis la sortie du Covid en 2021, force est de constater que le contexte économique, social et politique est très compliqué. Inflation généralisée, guerre en Ukraine, au Moyen Orient, crises poli tiques sont autant de facteurs qui ont pesé sur le moral des consommateurs. Ce dernier a fait des arbitrages dans ses dépenses et notamment alimentaires. Le comté n’a pas échappé à la baisse des ventes que les produits prémium ont subi. Ainsi, nous sommes revenus à des ventes équivalentes à la période avant Covid. LDA : Quelles sont les mesures ou les leviers d’adaptation? AM : Le comté a la possibilité, grâce à la politique agricole commune, d’adap ter son offre à la demande. Cette dis

position existe depuis plus de dix ans sous forme de règles de régulation. Ces règles ont pour vocation première de permettre à la filière d’offrir aux consom mateurs des produits de qualité en évi tant des sur stocks. Nos règles sont basées sur des références comté, allouées aux ateliers de transformation. Au cours de la campagne actuelle, nous avons réduit les droits à produire de 8,58 %, ce qui revient à neutraliser les droits que nous avions octroyés au cours des trois dernières années alors que les ventes stagnaient. Malgré la crise, les consom mateurs restent attachés au comté. Depuis le début de l’année, les ventes affichent un certain dynamisme, même si la vigilance demeure, compte tenu du contexte économique et social fragile qui persiste. AM : Le cahier des charges du comté limite la production de lait de chaque exploitation pour conserver une agricul ture extensive, en adéquation avec les ressources de son territoire. De ce fait, la production de comté est aussi limitée. Le taux de transformation du lait collec LDA: Est-on arrivé aux limites de la production ?

té par les ateliers comté en comté avoi sine les 80 %. Le reste du lait est trans formé en morbier, mont d’or et bleu de Gex. Aussi, la production de comté arri ve probablement à un plateau, toutes choses égales par ailleurs. LDA : Pourquoi avoir adopté un plan de campagne annuel plutôt que triennal ? AM : Le contexte économique, politique et social actuel et la volatilité des mar chés associés ne permettent plus de se projeter sur trois ans. Il faut avoir de la réactivité et pouvoir s’adapter en per manence. C’est pourquoi la filière s’est dotée de règles de régulation annuelles.

LDA: Quels sont les objectifs de la révision du cahier des charges? AM : La filière souhaite à travers son cahier des charges conserver son iden tité: une filière durable dans toute l’ac ception du terme. Les mesures qui sont en cours d’instruction ont pour vocation notamment de préserver plus encore nos ressources naturelles, limiter la taille des fermes pour conserver une agriculture familiale transmissible et encadrer le nombre de vaches laitières par unité de travail agricole afin de préserver les savoir faire. n Propos recueillis par F.C.

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A F F i n e u R S Encore un peu de stocks sur un marché qui retrouve des couleurs Pour la première fois depuis très

P etit retour historique pour mieux comprendre : en février 2020, lors de la crise Covid, des premiers signaux d’alerte de changements d’habitudes de consommation avaient néces sité de s’adapter. “Quand les magasins ont déci dé de fermer leurs rayons de produits vendus à la coupe, ceci avait fait craindre un recul des ventes de comté. Mais grâce une réorganisation rapide des affineurs qui ont su mettre en service des moyens de productions supplémentaires de décou pe et d’emballage, ceci avait permis d’alimenter les marchés libre-service en forte croissance” explique Bertrand Henriot, administrateur au C.I.G.C., élu dans le collège des Affineurs. La crainte d’un recul des ventes s’était transfor mée en une progression pour dépasser 60000 tonnes par an, entraînant même un manque de fromages dans certains segments de marchés comme les comtés de plus de 18 mois. C’est durant cette période que la filière devait préparer son nou veau plan de campagne triennal. Celui-ci fut assez ambitieux compte tenu des hausses de ventes longtemps, la filière comté a traver sé, de février 2022 à octobre 2023, une période de récession au niveau des ventes qui l’a contrainte à réduire ses objectifs de production pour préserver sa rentabilité. ce coup de semonce n’a semble-t-il pas remis en cause la confiance des consommateurs car depuis un an on note une reprise des ventes assez significative.

“On revient gentiment à la normale avec néanmoins quelques réserves de stocks à écouler”, explique Bertrand Henriot, membre du collège des affineurs au C.I.G.C. (photo archive LDA).

établi pour trois années, même si la filière a immé diatement réagi en diminuant les droits à produire au cours de la deuxième année du plan de cam pagne. Dans ces circonstances, la filière a consta té une augmentation du niveau de stock. Mais depuis quinze mois consécutifs, la courbe des

la différence entre les deux est liée à la perte de poids du comté entre le début et la fin d’affinage.” En termes de résultats, cette décision d’adapter les volumes produits par rapport aux ventes est largement compensée par une évolution positive des prix de lait. Entre 2012 et 2024, le prix du lait est passé de 380 euros les 1 000 litres à 760 euros les 1000 litres. Dans le secteur des produits ali mentaires, le comté s’en sort nettement mieux que les autres fromages. “L’évolution positive et constan te des volumes vendus nous montre tout l’atta chement des consommateurs au comté complè te Bertrand Henriot. Il faut rester concentré sur des hauts niveaux de qualité pour envisager la suite de façon optimiste pour les années à venir. En effet, tous ces ajustements se font dans cette filière ou la disponibilité en lait supplémentaire semble avoir atteint ses limites car les quatre A.O.P. du Massif jurassien fonctionnent avec cette même ressour ce laitière. La validation qui est en cours pour un cahier des charges renforcé, nous montre que la filière se préoccupe aussi du changement clima tique et du bien-être animal, et des valeurs envi ronnementales: ces changements sont incon tournables pour tendre vers une économie durable.” n

récentes. La filière décida d’augmen ter de 1500 tonnes par an sur trois ans les droits à produire. Rien d’anor mal au vu des précédents plans de campagne qui intégraient une pro gression des ventes de 2 % chaque année.

ventes a repris des couleurs avec un volume en progression de plus de 2 800 tonnes. “On revient gentiment à la nor male avec néanmoins quelques réserves de stocks à écouler. Dans notre filière c’est impératif de préserver la valeur

“On revient gentiment à la normale.”

du produit, c’est pour cela qu’il faut à tout prix évi ter une surproduction qui risquerait de faire bais ser les prix de vente, donc les prix de lait.” Le seul levier d’action possible consiste alors à agir sur les droits à produire avec un autre changement stratégique notable, la décision de fonctionner désormais sur des plans de campagne qui seront révisés chaque année et non plus pour trois ans. La diminution de 4 % sur le plan de campagne actuel 2024-2025 permettra de produire environ 69 000 tonnes et ce chiffre pourra ou non si néces saire être reconduit pour la campagne laitière pro chaine. “Cet objectif de production est en adé quation avec environ 60000 tonnes de vente, car

C’était sans prendre en compte différents événe ments qui allaient chambouler l’ordre mondial avec pour commencer le début du conflit entre la Rus sie et l’Ukraine et ses répercussions sur le coup de l’énergie. L’inflation et la hausse des prix consé cutives à cette guerre vont conduire les Français à changer leurs habitudes de consommation. Com me tout le secteur alimentaire de février 2022 à octobre 2023, la filière enregistre une baisse des ventes. “Sur une année, cela a représenté environ 2 500 tonnes en moins pour arriver à 57 500 tonnes” , précise Bertrand Henriot. Difficile pour autant d’inverser un plan de campagne

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bLeu de Gex Le petit conforter Avec 500 tonnes de bleu de Gex commercialisées, on est loin, très loin des volumes de la filière comté. Pour autant, cette filière de niche aux pratiques très extensives continue à tirer son épingle du jeu et s’est vue attribuer le label “Valeur Parc”. une première en France pour un fromage. de mais compréhensible car elle aboutira au final à la rédaction d’un document qui ne sera pas opposable. Cette révision devrait être validée par l’I.N.A.O. le 23 novembre prochain avant la signature des ministres concer nés. Il y aura ensuite l’étape de la Procédure Nationale d’op position, l’équivalent d’une enquête publique, avant la vali dation par un décret attendu au printemps 2025.” Une belle façon de célébrer les 25 ans de l’A.O.P. morbier. Suite à l’épisode sanitaire de l’automne dernier, Joël Alpy a dû répondre à de multiples sol licitations. “On a joué la carte de la transparence totale en ouvrant nos fermes, nos ateliers à tous ceux qui voulaient en savoir davantage sur nos pratiques. Aujourd’hui, je pense que cet te transparence a été la bonne formule. On a aussi tiré des enseignements en renforçant encore les protocoles et la fré quence des analyses. La soli darité de la filière a aussi été une force. Quand on peut travailler ensemble pour ouvrir nos fro mageries, nos exploitations, c’est comme cela que l’on avance. On a tous été marqués par cet te contamination et on est les premiers à relayer les messages de prudence pour que les enfants ne mangent pas de fro mage au lait cru avant 5 ans. La mesure s’applique aussi aux femmes enceintes.” n

A.o.P. moRbieR Le choix de la transparence pour retrouver la dynamique de croissance La filière morbier se remet gentiment mais sûrement dans le schéma de développement qui était le sien avant les cas de contamination e. coli observés chez plusieurs enfants en début d’année. une filière en convalescence mais bien vivante.

térêt de passer sur un système de Règles de Régulation de l’Offre et finalement, on s’est rendu compte que cela n’était pas nécessaire car le morbier est un fromage qui se vend vite. Aujourd’hui, c’est le marché qui pilote la fabrication. On est pas une filière à part entière et ne plus être considérée comme la variable d’ajustement du comté”, estime Joël Alpy. conjoncture plus compliquée.” Au fil du temps, le morbier a pris du galon, de la maturité, pour devenir une filière à part entiè re et ne plus être considérée comme la variable d’ajustement du comté. “On rencontre des crémiers qui différencient dans leurs gammes des morbiers à 70 jours, 100 jours d’affinage. La démarche est très intéres sante. Au niveau de la produc tion, on a encore un peu de mar ge mais on tient à rester un produit d’exception et abor dable.” Comme pour le comté et le mont d’or, le morbier est engagé dans une révision de son cahier des charges. Toujours un vrai chal lenge de défendre des fromages au lait cru dans un monde très libéral qui tolère difficilement les exceptions. “On travaille sur le cahier des charges depuis 2018. Cela prend du temps mais glo balement cela se passe bien. L’instruction du dossier est lour “Le morbier a pris du galon, de la maturité pour devenir sé au stade de la contractualisation, ce qui permet de réguler la production quand on se retrou ve dans une

A u 30 juin dernier, les ventes de morbier étaient encore en recul de 9 % par rapport à l’année précédente. Un chiffre à relativiser comme l’explique Joël Alpy, le président du syn dicat de l’A.O.P. morbier. “Il faut prendre en compte la part de l’entreprise concernée par l’ar rêt provisoire de fabrication qui représente 7 % des ventes. Si bien qu’au final, on est à - 2 % des ventes.” Au niveau de la production, les chiffres sont en repli de 5 %, soit 2 % avec l’atelier mis en pau se. Les prix de lait ont fait l’ob jet d’une valorisation de 4,2 % sur un an. “La grosse période de vente est plutôt en fin d’an née. Cela permettra de voir si la crise est surmontée. Globale ment, les entreprises expliquent que l’activité est plutôt soute nue en production comme en

vente.” Le périmètre de l’A.O.P. mor bier s’étend sur les départe ments du Doubs et du Jura. Cet te filière englobe 47 ateliers, 1800 producteurs de lait avec 13 600 tonnes de mortier fabri quées en 2023, soit 11700

tonnes vendues. “La différence de volu me s’explique par la perte de poids du fromage en cours d’affinage et les

“Aujourd’hui, c’est le marché qui pilote la fabrication.”

pertes sanitaires.” L’A.O.P. mor bier n’a pas perdu de son attrac tivité. Elle a enregistré cette année deux nouvelles candidatures, une nouvelle coop et un pro ducteur fermier après avoir déjà accueilli deux nouveaux ateliers en 2023. “On progresse tou jours. Quand le comté a pris la décision de diminuer de 8 % ses droits à produire, on a étudié avec les acteurs de la filière l’in

Évolution de la production de morbier (source Syndicat de l’A.O.P. morbier).

HAut-JuRA Poucet veut son authenticité

nale qui demande beaucoup de main d’œuvre, avec une durée de vie très courte.” La filière a connu des sueurs froides au début de la crise du Covid lors de l’in terdiction des ventes de fromages à la coupe. “On avait même dû stopper la fabrication. On trouve très peu de bleu de Gex Haut-Jura en pré-emballé.” La filière bleu de Gex a subi elle aussi l’im pact du coût de l’énergie, de l’inflation. “On s’aperçoit que les consommateurs ont conservé le même budget alimen taire en réduisant les quantités. On a limité la hausse car on veut que notre bleu reste abordable.” Un fromage acces sible mais produit sur un terroir parti culièrement authentique au cœur du Parc naturel Régional du Haut-Jura. Lequel a choisi de valoriser ses res sources en lançant la marque “Valeur parc”. “L’adhésion à ce label nous a ouvert les yeux et fait comprendre qu’on a des pratiques à mettre en avant.” La filière s’est aussi engagée dans une révision de son cahier des charges qui vise à étendre la zone de production. L’objectif n’étant pas d’aller chercher des volumes du lait mais d’avoir la pos sibilité de récolter davantage de four rage quand les conditions climatiques l’imposent, en cas de sécheresse par exemple. “Les fondamentaux du cahier

P our faire 500 tonnes de bleu de Gex Haut-Jura, il faut 4 millions de litres de lait produits sur une cinquantaine d’exploitations réparties entre les départements du Jura et de l’Ain. “Cela représente environ 80 familles de producteurs qui font aussi du comté et/ou du morbier” , indique Nicolas Cannelle, le président du syn dicat du bleu de Gex Haut-Jura depuis 2019. Cette filière de niche comprend quatre ateliers de fabrication à Lajoux, aux

Moussières, à Montbrillant et à Chéze ry-Forens dans l’Ain. “Le bleu de Gex Haut-Jura est un fromage à cycle court, commercialisable au bout de 21 jours et consommable jusqu’à 50 jours. On produit aussi un bleu de Gex très typé, affiné à plus de 90 jours et baptisé Péras su ou Pérachu. L’essentiel des ventes se fait en circuit court notamment par le biais des magasins de coop. Géné ralement, on met en production un bleu qu’on a déjà vendu. C’est important car on est sur une fabrication très artisa

des charges du bleu de Gex Haut-Jura ne diffèrent pas des autres A.O.P. régio nales à quelques nuances près. Cette révision tout comme la démarche “Valeur parc” visent à caractériser la spécifici té de notre agriculture extensive de mon tagne, le but étant aussi d’aller cher cher de la valeur ajoutée” ajoute Nicolas Cannelle. n “L’adhésion à ce label nous a ouvert les yeux et fait comprendre qu’on a des pratiques à mettre en avant”, observe Nicolas Cannelle.

La filière bleu de Gex Haut Jura fait vivre 80 familles de producteurs.

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A.o.P. mont d’oR La force de la polyvalence et l’attachement au fromage plaisir

en croissance continue depuis 30 ans, le mont d’or connaît depuis deux ans une baisse de production mais rien d’alarmant car cette évolution s’avère plus en adéquation avec ses potentialités. Le point avec éric Feuvrier, le président du syndicat de défense de l’A.o.P. mont d’or.

S i le mauvais temps automnal arrange plutôt les affaires des producteurs de mont d’or, sans doute l’A.O.P. jurassienne la plus cli mato-dépendante. “On est sur une cam pagne qui démarre bien. On mange davantage de monts d’or quand il fait froid d’autant plus que 50 % de la consommation s’effectue en version boîte chaude. Un peu comme pour la raclette, le mont d’or est un fromage plaisir” , explique Éric Février. Le mont d’or a sensiblement suivi l’évolution de son grand frère le comté dont il partage les mêmes sources d’approvisionnement. En croissance conti

le mont d’or plus qu’ailleurs les ventes perdues ne se rattrapent pas. On est sur une production qui doit coller à l’estimation des ventes, du fait aussi de la date limite de consommation assez courte du mont d’or.” D’autres paramètres expliquent la baisse de pro duction : réduction du cheptel lait à cause de la transition climatique, et volonté de privilégier la pro duction de lait au printemps plutôt qu’à l’automne. “Le lait coûte naturellement moins cher à produire au printemps. Tout cela mis bout à bout, on arrive aux résultats évoqués.” Quid des prix ? Le mont d’or a longtemps été plus rémunérateur que le comté avec un écart de prix variant entre 100 et 150 euros les 1 000 litres en faveur du mont d’or. D’abord une question de ren dement, il faut 7 litres de lait pour 1 kg de mont d’or contre 10 litres de lait pour 1 kg de comté. “La dif férence tend à s’atténuer avec la très forte hausse du prix du lait à comté.” De quoi s’interroger quand on sait les contraintes supplémentaires imposées par la fabrication du mont d’or. Cela vaut-il encore le coup de faire du mont d’or ? “Oui, répond sans hésiter Éric Février. Les ateliers à mont d’or, à l’exception du producteur fermier, sont obligatoirement des ateliers polyvalents. Ils ont ainsi plus de souplesse pour orienter la transfor

nue depuis trente ans, la production a atteint un pic au cours de la saison 2021-2022 en frôlant la barre des 6 000 tonnes. “Ce n’était nullement un objectif mais la conjonc tion de différents facteurs :

Cela vaut-il encore le coup de faire du mont d’or ?

mation du lait en fonction des perspectives de ven te. Quand le comté baisse, à nous de nous retrous ser les manches pour trouver de nouveaux débou chés en mont d’or. Ce qui suppose aussi que les autres marchés soient porteurs. Inversement, l’ate lier polyvalent peut limiter sa fabrication de mont d’or s’il fait trop chaud ou s’il le risque pathogène est trop élevé. Il ne faut pas se limiter à l’aspect financier mais raisonner aussi en fonction des volumes disponibles. Un facteur important à ce ne pas négli ger, c'est l'attachement des producteurs à ce fro mage saisonnier, riche de valeurs.” L’actualité de la filière A.O.P. mont d’or, c’est aus si la révision du cahier des charges qui intègre notam ment une demande d’extension de l’aire d’appel lation en y ajoutant 45 communes du côté d’Avoudrey, Longemaison et Maîche-Charquemont. “Ce n’est pas une course au volume mais une réponse à la demande de différents acteurs de la filière. Ces com munes doivent répondre à différents critères : alti tude, présence d’épicéas…” Sur la sempiternelle question des sangliers, Éric Février estime que les choses iraient plutôt mieux même si certains se retrouvent avec des excédents de sangles car ils n’avaient pas pris en compte la baisse de la pro duction. Et demain ? “On va rester dans un volume de pro duction autour de 5 400 à 5 600 tonnes. Il faudra continuer à bien se coordonner avec les autres A.O.P. pour ne pas se marcher dessus.” n “On va rester dans un volume de production autour de 5 400 à 5 600 tonnes”, annonce Éric Février le président du mont d’or.

météo, production de lait, contexte sanitaire…” La production est ensuite redescendue à 5 400 tonnes au cours des deux campagnes suivantes. L’été 2022 a été très sec, ce qui a réduit les quantités d’herbe et donc de lait. L’automne 2023 a lui aus si été très chaud n’incitant pas à la consommation. “On avait fait - 20 % de vente en septembre et dans

Évolution de la production de ce fromage météo-dépendant par excellence. Le mont d’or concerne environ 400 producteurs, avec 10 ateliers de transformation dont un fermier.

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b Anqu e “On assiste à un changement de paradigme pour la filière Après une décennie 2010-2020 marquée par un “alignement des planètes” favo rable aux filières fromagères, les nouvelles “mégatendances” issues

doit être repensé au-delà des déci sions de 2024 pour donner de nou velles perspectives? PM : Nous ne sommes pas en capa cité de connaître en lieu et place des acteurs les adaptations ou décisions opportunes pour l’avenir. Pour autant, la mission d’un banquier est d’analy ser les “mégatendances” dans les quelles exercent les acteurs de la filiè re et de proposer un accompagnement adapté aux conditions du moment. Dans un environnement moins por teur, tous les acteurs doivent revisiter “leur logiciel” et repenser leur busi ness model précédemment fondé sur un accroissement de richesse “qua si-automatique” année après année, d’autant que le niveau des charges est devenu sensiblement plus volatil. LDA: Pouvez-vous prendre quelques exemples concrets, notamment sur l’installation des jeunes agriculteurs? PM : Un jeune qui s’installait au cours des 15 dernières années voyait dès les premières années post-installation ses prévisions de chiffre d’affaires constamment revues à la hausse grâ ce à la progression de la M.P.N. et plus marginalement du droit à pro duire. Cette installation assise sur une dette de reprise au coût faible (1 %) largement inférieur à l’évolution de la rentabilité de son exploitation lui pro curait un enrichissement progressif qui permettait d’assurer le rembour sement des crédits d’installation, la modernisation de ses équipements mais aussi son projet de résidence principale. Le nouvel environnement de hausse généralisée du coût des reprises, des charges financières, des matériels et bâtiments, des charges générales d’exploitation, conjugué à l’absence de perspectives de déve loppement rend l’exercice d’installa tion plus contraint et n’offre plus les mêmes marges de sécurité sachant que 40% des installations se font hors cadre familial. Afin d’amortir cet écart, Le Crédit Agricole a produit une offre de prêt à 0 % pour soutenir et main tenir la dynamique d’installation et le renouvellement des générations.

d’un environnement économique moins accommodant invitent les acteurs de la filière à revisiter leurs business models. entretien avec Philippe marmier, directeur engagements et agriculture au crédit Agricole Franche-comté.

L e Doubs Agricole : D’un point de vue bancaire, quelle vision macro-économique posez vous sur l’évolution de la filiè re comté? Philippe Marmier : La filière comté a connu pendant 15 ans de 2009 à 2023 une croissance continue et régulière de son développement grâce au dyna misme de l’ensemble de ses acteurs et leurs efforts d’investissements sou tenus dans la durée. C’est à ma connaissance une performance sans précédent ni équivalent dans le mon de de l’agro-alimentaire, dont le méri te en revient à tous les acteurs de la filière qui ont su créer les conditions de ce succès. Dans la même période, cette stratégie filière gagnante a été soutenue par un contexte que les éco nomistes décrivent “d’alignement des planètes” qui a disparu depuis. Tous les maillons de la filière (producteurs, outils de transformation et entreprises de l’aval) sortent considérablement renforcés de cette longue période avec une consolidation de leur solidité finan cière, des outils modernisés et une position de leader parmi toutes les A.O.P. fromagères françaises. LDA : Vous évoquez un changement de contexte, pourriez-vous préci ser ce qui a changé concrètement d’un point de vue financier? PM : Nous sommes sortis d’une décennie 2010-2020 où la croissan ce était modérée, mais au final, favo rable aux acteurs économiques : infla tion contenue, y compris salariale, matières premières et énergies abon dantes et peu onéreuses, absence de tension géopolitique ou de choc exté rieur majeur, taux d’intérêt bas, acci dents climatiques peu fréquents, impacts encore limités des normes liées à la R.S.E. (Responsabilité socia le des entreprises). Depuis 2020, sur l’ensemble de ces critères nous avons

“changé de monde”, changé de para digme. Ce nouveau contexte écono mique général a mis fin, de façon anti cipée, au cycle haussier des prix du comté depuis 15 ans. LDA : Vous n’avez pas encore par lé des conditions financières, alors que l’on a connu une remontée signi ficative des taux d’intérêt? PM : La période de taux très bas que nous avons connu a considérable ment soutenu le développement des filières comté, morbier, mont d’or et bleu de Gex Haut-Jura par nature très capitalistique. Tous les échelons en ont bénéficié: de l’installation des jeunes agriculteurs à la modernisation des exploitations agricoles et des frui tières, mais également au travers des investissements capacitaires et logis tiques des affineurs. Le Crédit Agri cole, principal financeur, et les banques en général, ont largement répercuté les baisses de taux contribuant ainsi à la solvabilisation de l’ensemble des acteurs. L’économie de frais financiers relative aux crédits d’investissements et de stock pour l’ensemble des acteurs de la filière entre 2010 et 2020 repré sentait 20 millions d’euros par an.. Concernant les taux d’intérêt actuels, nous sommes rentrés dans une pério de de normalisation à des niveaux cohérents et acceptables sur longue période. Nous ne reviendrons pas aux conditions passées malgré la déten te observée ces derniers mois. LDA: Quels principaux défis rele vez-vous pour la filière à partir des indicateurs actuels? PM : Le sujet, à court terme, est d’as surer un “atterrissage en douceur” ou soft landing comme disent les Anglo Saxons pour retrouver un niveau “cohé rent des stocks”. L’enjeu porte selon la profession sur l’écoulement d’un excé dent des vieux comtés avec les attentes

du marché. Dans cet ajustement, il est important d’éviter de “détruire de la valeur” et d’envoyer un signal baissier au marché qui influerait négativement sur la M.P.N. (moyenne nationale pon dérée), et in fine sur les prix de lait des producteurs. L’interprofession a acté ce déséquilibre des stocks et s’est don né des moyens d’action : l’ajustement des volumes de production conjugués aux mesures d’écoulement de certains stocks de “vieux fromages” devrait pro duire leurs effets dans les trimestres à venir. Il est encore trop tôt pour en mesu rer les résultats. LDA : Quelles conséquences poten tielles voyez-vous dans cette pha se d’ajustement? PM : Il y a les conséquences immé diates et des impacts différés dans le temps qui se traduiront progressive ment dans le compte d’exploitation des acteurs économiques de la filière. Pour les entreprises de l’aval et dans le contexte haussier qui prévalait, les stocks généraient des gains liés à une meilleure valorisation des fromages plus affinés grâce à des coûts finan ciers faibles en raison des taux d’in térêt bas. Aujourd’hui, la situation est différente avec un risque potentiel de valeur en cas de vieillissement et un coût financier accentué pour les entre prises de l’aval. En complément, le plan de régulation de la production va produire ses effets progressivement sur les ateliers de transformation avec des performances amoindries : la bais se des volumes par exemple, réduit la dilution des charges fixes. Quant aux producteurs, ils sont plus ou moins impactés par la réduction des droits de production ainsi que par une évo lution moins favorable de la M.P.N., déterminante dans le calcul du prix de lait payé aux agriculteurs.

LDA : Pensez-vous que le système

“La filière connaît une inflexion à ce stade qui ne remet pas en cause ses fondamentaux solides construits sur un modèle économique résilient”, analyse Philippe Marmier, directeur engagements et agriculture au Crédit Agricole Franche-Comté (photo D.R.).

LDA: Diriez-vous que les prix de cession doivent être revus à la bais se? PM : Ce n’est pas la banque qui fixe le prix des reprises. Si globalement les transmissions se passent bien, on commence à voir des installations qui ne vont pas au bout, non pas du fait de la banque, mais des jeunes agri culteurs eux-mêmes qui renoncent pour des conditions de reprise qui ne remplissent pas les critères de reve nus disponibles. Nous sommes atten tifs à ce que les hypothèses du busi ness plan d’installation soient raisonnables et dotées de marges minimales de sécurité dans un envi ronnement volatile. Il faut regarder les exploitations comme des entreprises. L’exploitant doit avoir la posture d’un chef d’entreprise et pour cela intégrer dans son business plan des accidents de parcours, notamment climatiques et sanitaires. Nos règles n’ont pas changé et nous n’avons pas de rai sons de changer les critères d’octroi. Si on voulait résumer ce qu’est le bon prix pour la banque, c’est celui qui permet au jeune agriculteur de rem bourser sa dette d’acquisition et ses investissements incontournables tout en dégageant un revenu décent de son travail. Si l’on s’écarte trop des règles de bon sens, les conséquences peuvent être pénalisantes non seule ment pour le jeune agriculteur mais pour tout l’écosystème comme sa coopérative qui subira une pression haussière sur le prix du lait. Les banques sont parfois accusées d’être timorées ou à l’inverse d’entretenir un système inflationniste en prix. LDA: Est-ce que cela signifie que cela remet en cause la dynamique de l’installation dans la filière com té? PM : La filière connaît une inflexion à ce stade qui ne remet pas en cause ses fondamentaux solides construits sur un modèle économique résilient. Elle apporte au contraire par son cahier des charges et sa maîtrise de l’offre, une véritable sécurité et une visibilité dans le temps aux jeunes qui s’ins tallent à la différence de beaucoup comté”

d’autres filières, comme les céréales cette année, qui connaissent des trous d’air beaucoup plus sévères et dan gereux pour la pérennité des exploi tations. Il en résulte donc pour le ban quier l’espoir d’une trajectoire économique stable compatible avec des crédits d’installation d’une durée

nable pour les femmes et hommes qui dirigent les exploitations et les fruitières afin qu’ils disposent d’une culture éco nomique et de gestion renforcée pour relever les nouveaux défis. Enfin, le sujet de la compétitivité des exploitations agricoles et de leurs outils de trans formation doit rester une priorité, y com pris dans des filières d’excellence com me celles de nos A.O.P. qui doivent conserver cet atout d’être en capaci té de dégager des marges. Pour conclu re, nous dirions que tous les acteurs ont un challenge d’adaptation à condui re mais, à date, les ventes restent dyna miques. Le socle solide sur lequel s’ap puie cette filière ne condamne pas à l’urgence dans l’action, ni à remettre en cause ses fondamentaux. L’histoi re a démontré que l’interprofession sait trouver des solutions par la puissance du collectif et la recherche de com promis, c’est la meilleure des garan ties pour la banque. n Propos recueillis par F.C.

LDA : Y a-t-il d’autres voies à votre sens pour continuer à consolider cette filière? PM : On a beaucoup parlé de la par tie chiffre d’affaires et des revenus qui vont connaître un palier. Afin de mieux traverser ces moments, il convient d’ac tionner d'autres leviers et de revisiter

longue. Enfin, rappelons que la filière comté ne connaît pas à date “un choc de la demande” avec une chute de ses ventes mais plutôt un excès d’offre “tempo raire” avec un mix pro

les modèles, d’optimiser les systèmes et les charges, de surseoir ou d’arbitrer certains inves tissements. L’autre enjeu consiste à renforcer les efforts autour des modèles d’exploitations

“Le sujet, à court terme, est d’assurer un atterrissage en douceur.”

duit (jeunes-vieux fromages) qui doit être rééquilibré ainsi que le mécanis me qui a produit ce décalage. L’en gouement et la passion des jeunes producteurs de comté, morbier, mont d’or n’ont jamais été démentis et n’ont pas de raison de s’inverser, tout com me l’accompagnement bancaire de leur installation.

plus autonomes comme avec les éner gies renouvelables, de maîtriser les sujets de gouvernance (G.A.E.C.), de renforcer la prise en compte des attentes sociétales et, plus largement, sur tous les facteurs qui peuvent conduire à la pérennité de l’entreprise. La résilience d’une filière doit pouvoir s’appuyer sur une dimension formation incontour

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