La Presse Pontissalienne 304 - Mai 2025
28 Politique
Mai 2025
POLITIQUE
Il donne quelques clés pour “débloquer la France”
“Une démocratie qui ne réfléchit plus à ses institutions court un grave danger”
Bras droit de Christine Bouquin en tant que directeur général des services au Département du Doubs, Emmanuel Faivre vient de sortir un essai intitulé “Débloquer la France”. Pour tenter d’en finir avec la lourdeur du centralisme français. Interview.
E n préambule de votre ouvrage, vous estimez que le sentiment de blocage de la France interpelle et inquiète les Français. Vous êtes vous-même inquiet? Emmanuel Faivre : Oui je le suis et je suis d’autant plus à l’aise de le dire que je suis au cœur de la “machine” depuis plus de quinze ans et plus ça va, plus ce senti ment de blocage est grand. Je dirais que ça s’est franchement aggravé depuis une dizaine d’an nées et plus encore depuis cinq ans. Le premier problème, qui ne date pas d’hier, c’est le cen tralisme de notre pays. C’est de pire en pire, et non seulement ça ne s’arrange pas, mais on assiste à un vrai phénomène de recentralisation des décisions. Chaque dispositif est assorti d’injonctions venues de Paris. La loi est devenue beaucoup trop bavarde. Elle voudrait tout dire et au final, elle devient inappli cable. Avez-vous un exemple concret ? E.F. : Une illustration très simple et récente au sein du Départe ment: les 15 heures d’activité obligatoire pour les bénéficiaires du R.S.A. C’est une loi qui a été promulguée l’an dernier et nous n’avions au printemps toujours pas les décrets d’application. De notre côté, nous n’avions pas attendu la loi pour proposer aux personnes au R.S.A. des heures d’activité pour les aider à repren dre pied le plus rapidement pos sible. Le législateur fait une loi pour ça, comme si les acteurs de terrain n’étaient pas capables de le faire eux-mêmes sur les territoires. Sur le principe, les lois devraient juste donner l’ob jectif, aux collectivités ensuite de trouver les méthodes pour les appliquer. Vous parlez de recentralisation. Qu’en tendez-vous par là ? E.F. : Ce phénomène a sans doute commencé avec la loi N.O.T.R.E. Et ça n’a pas cessé depuis. Encore un exemple récent et qui a fait l’actualité des Départe
ments: les enfants placés de l’A.S.E. (N.D.L.R. : Aide sociale à l’enfance). À Paris, le législa teur est en train de repenser les normes d’encadrement des enfants et au final, il y aura tel lement de mesures restrictives que nous serons obligés de fer mer des places A.S.E. alors qu’il y aurait besoin d’en avoir plus. La bureaucratisation et l’aug mentation incessante du nombre de normes qui s’empilent, sans d’ailleurs en remplacer d’autres, est devenue insupportable. Et pire: cette bureaucratisation finit par déresponsabiliser le local. Autre exemple avec la loi 3DS de 2022 qui portait diverses mesures de simplification de l’action publique locale et grâce à laquelle les collectivités étaient censées pouvoir déroger à cer taines règles nationales. Fin 2024, au Département du Doubs, on a demandé à déroger à une règle afin de pouvoir verser une prime à certains éducateurs. Nous n’avions jamais reçu de réponse de l’État. Du coup, on l’a quand même mise en œuvre cette prime, mais sans autori sation… La réforme de la fiscalité locale n’a t-elle pas renforcé ce sentiment de centralisme ? E.F. : Bien sûr. Le manque d’au tonomie, notamment financière, avec la suppression de la taxe
Emmanuel Faivre, directeur
général des services du Département du Doubs, publie “Débloquer la France, appel à fédéraliser les territoires” (édition Atlande).
élu au suffrage universel, devien drait le conseiller départemental de son territoire et tout cela amè nerait une bien meilleure soli darité entre les E.P.C.I. Je sug gère aussi que les présidents des Départements soient auto matiquement sénateurs car selon moi, le Sénat doit redevenir le vrai représentant des terri toires, avec donc des sénateurs directement impliqués dans le fonctionnement de ces territoires. Je propose aussi qu’on garde les 25 grandes métropoles fran çaises, collectivités à part entière. Enfin, pour toutes les décisions qui concernent l’aménagement des territoires, le Sénat, et non plus l’Assemblée nationale, aurait le dernier mot. Dans ma vision, le maire qui garde un rôle central, serait un animateur de sa communauté villageoise, et aurait une autre attribution en tant que représentant de l’in tercommunalité dans sa com mune. Enfin, l’élection territo riale aurait lieu une fois tous les six ans, où seraient élus en même temps, les maires, les pré sidents de com’com au suffrage universel, ainsi que le Conseil départemental le même jour et, quelques jours plus tard, les sénateurs issus des Conseils départementaux. Tout cela redonnerait un vrai lien avec les citoyens. Ces propositions, aussi argumentées qu’elles soient, ne relèvent pas de l’utopie ? E.F. : Oui, bien sûr, il faudrait une révolution institutionnelle pour changer le système actuel. Mais si j’ai écrit ce livre, aussi en tant que docteur en géogra phie des territoires, c’est pour
que ces idées commencent à infu ser auprès des associations d’élus, montrer à tous et en haut lieu qu’il y a sans doute une autre approche possible. Ce que je reproche aussi, c’est que depuis 10 ans, jamais l’avis du citoyen a été sollicité avant de prendre toutes ces mesures de recentra lisation. Des mouvements érup tifs comme les Gilets jaunes, ou des exemples locaux comme la création de la communauté euro péenne d’Alsace sont sans doute des conséquences de ce manque de concertation. La décentralisation amorcée au début des années quatre-vingt se solde donc par un échec selon vous ? E.F. : Jusque dans les années 2000, la décentralisation a bien fait son travail. Mais dès lors qu’on a commencé à enlever des moyens d’agir aux collectivités, cette décentralisation a été sacri fiée. Il faudrait une vraie révo lution idéologique pour faire évoluer les choses. Sinon, j’ai bien peur que d’ici dix ans, la démocratie locale soit morte… Nous sommes je pense à la croi sée des chemins. Une démocratie qui ne réfléchit plus à ses ins titutions court un grave danger. Que le fonctionnement de la France soit géré comme ça, par une centaine d’énarques qui ne représentent aucunement les territoires, et qu’à côté de cela il y ait 1 million de fonctionnaires territoriaux qui n’ont quasiment aucune influence, ce n’est vrai ment pas la bonne direction. C’est comme si la France courait le 100 mètres avec un boulet au pied. n Propos recueillis par J.-F.H.
Après ces constats, vous dessinez des solutions. Pour vous, le fédéralisme pourrait être une des clés de la solu tion ? E.F. : Pour combattre tous ces maux, oui, je pense que les idées fédérales que l’on voit à l’œuvre chez nos voisins proches que sont les Suisses et les Allemands, permettent une meilleure effi cacité dans les rouages des col lectivités. Seulement, la France a toujours été hermétique à ces idées fédérales, sans doute parce que ce système est trop méconnu ici. Vous seriez donc un fédéraliste à l’image du régionaliste Jean-Philippe Allenbach qui prône la scission de la Bourgogne et de la Franche-Comté ? E.F. : Non, mon idée, ce n’est pas du tout la sécession et je n’ap pelle pas la France à devenir une fédération. Mais j’appelle à mieux fédérer les territoires, c’est beaucoup plus nuancé. Je pense qu’il faut un État fort sur toutes les questions régaliennes (sécurité, armée, Éducation nationale, justice…). Mais à l’échelle territoriale, je prône de vrais changements structurels. Lesquels ? E.F. : Je supprimerais les grandes Régions. Non pas pour le plaisir de les supprimer, mais à part les transports, elles gèrent essen tiellement les contrats avec l’État. Je propose que les com munes, les intercommunalités et les Départements soient réu nis en une même entité et que demain, la collectivité départe mentale soit une fédération des intercommunalités de son ter ritoire. Le président de commu nauté de communes, qui serait
EN BREF
Urssaf L’Urssaf Franche Comté recrute trois alternants dans les secteurs de la relation usagers, de la gestion des comptes et du management, sur ses sites d’École-Valentin et de Montbéliard. Plus d’informations au 03 81 48 87 41. Fraude La direction des Douanes de Besançon a procédé mi-avril à la destruction par incinération d’une tonne de marchandises saisies dont 900 kg de tabac et cigarettes, 3 000 articles de contrefaçons, et 171 kg de produits de santé dangereux pour le consommateur. Transport Grand Besançon Métropole a été récompensée par le 1 er Prix (sur 200 dossiers) pour son application “Ginko Guide” lors des Trophées de l’Accessibilité à Paris début avril. Une apppli qui facilite l’accès et le déplacement des personnes déficientes visuelles sur le réseau de transport Ginko. Ce dispositif numérique aide les déficients visuels, en leur fournissant en temps réel de nombreuses informations pratiques sur leurs parcours.
d’habitation pour les communes et de la taxe sur le foncier bâti au bénéfice des Département, a été dramatique. Les collectivités vivent désormais des subventions de l’État. Et si l’État gérait bien, ça se saurait… Je vois un quatrième problème, c’est le manque de solida rité entre les ter ritoires dans ce pays.
“Je suppri merais les grandes Régions.”
Zoom Jurassien d’origine, Emmanuel Faivre est directeur général des services (D.G.S.) du Département du Doubs depuis 2022 auprès de Christine Bouquin après avoir occupé ce poste au Département de la Haute-Saône une dizaine d’années auprès d’Yves Krattinger. Docteur en géographie et aménagement du territoire, il est également délégué général du “Labo rural: méthode et audace”. n
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