La Presse Pontissalienne 300 - Janvier 2025
L’interview du mois 7
Janvier 2025
nococcose alvéolaire. Notre approche plu ridisciplinaire a été reconnue et exportée dans un autre système. De plus, on a formé des gens qui ont ouvert un master d’écologie des maladies infectieuses à Kinshasa (République démocratique du Congo, N.D.L.R.) qui met en œuvre ce type d’approche. Avec l’approche One health (une seule santé), qui est un Nexus, il y a déjà des réalisations ponctuelles pour montrer qu’on peut le faire. Peut-on imaginer un Careli pour le loup, dont la présence cristallise de nombreuses tensions ? P.G. : On peut, oui ! Vous êtes également l’un des fondateurs du labo ratoire Chrono-environnement, qui occupe une place unique dans le paysage de la recherche française et internationale. La pluridisciplinarité en est son A.D.N. Là aussi, vous avez appliqué une approche Nexus ? P.G. : Avant, il y avait plein de petits labo ratoires qui étaient voués à disparaître car dispersés. Ces labos étaient, de fait, menacés, et les postes auraient été redis tribués vers d’autres disciplines, alors que les besoins en recherche en écologie et environnement étaient croissants. En 2008, on a fusionné tous ces laboratoires. Mon gros boulot a été de restructurer les enseignements et les labos de recherche. Mais on ne fait pas ça tout seul. Ce fut un travail d’équipe piloté avec mes collègues Pierre-Marie Badot, Didier Marquer, Jean-François Viel, Hervé Richard, et suivi par le per sonnel de toutes les unités de recherche impliquées. n Propos recueillis par L.P.
bougent. Dernièrement, en 2018, le programme Careli (Campagnol, renard, lièvre) a été lancé, il s’étale sur dix ans (le cycle démo graphique du campagnol terrestre). Le conflit était ouvert entre ceux qui vou laient protéger le renard et ceux qui vou laient lui donner le statut d’espèce sus ceptible d’occasionner des dégâts (donc destructible hors saison de chasse), E.S.O.D. Ce programme réunit toutes les parties prenantes : agriculteurs, chas seurs, naturalistes, chercheurs et admi nistrations. Chacun a sa vérité. On se met autour de la table et on arrive à de la nuance, à accepter un point de vue. Il ne faut pas attendre que les politiques changent de logiciel, on le constate hélas, mais les citoyens peuvent le faire loca lement. Ce programme permettra à terme de guider les décisions préfectorales quant au statut du renard sur des bases objectives et partagées. Pour que ce système fonctionne, on a besoin d’une référence impartiale, les scientifiques garantissent l’impartialité par rapport à toutes les parties prenantes. Comme l’écrit Gaston Bachelard, les scientifiques sont des “travailleurs de la preuve”, on est formé à faire le tri entre ce qui est prouvé et ce qui ne l’est pas. La connaissance scientifique peut évoluer mais c’est toujours sur une base rationnelle. Avec le programme Careli, on a créé un modèle d’approche socio écologique qui pourrait être repris pour d’autres espèces, ou dans d’autres espaces. Ce qu’on a appris à faire dans le massif jurassien, on l’a exporté en Chine qui est confrontée aussi au problème de l’échi
velés. Dedans, tous ont un volet Une seule santé. En Bourgogne Franche Comté, deux personnes à l’Agence régio nale de santé assurent la transversalité. Donc les choses bougent. Mais les struc tures administratives restent en silo : ministère de l’Agriculture, de l’Environ nement, les A.R.S., la D.R.E.A.L., etc. Votre métier est écologue, quelle différence avec les écologistes ? P.G. : Un écologue est un scientifique qui étudie les écosystèmes dans leur globalité de façon systémique, en mettant l’accent sur les relations entre les êtres vivants qui les composent et leur milieu. L’éco logiste est un militant de l’écologisme, un courant politique. On est écologue, pas nécessairement écologiste, ce sont deux domaines différents. Les scienti fiques ont changé de nom pour se démar quer de l’écologisme, et éviter la confusion entre science et militantisme politique. Parlez-nous de vos recherches qui portent sur la relation entre écologie et santé ainsi qu’aux conflits entre l’humanité et la faune sauvage, recherches qui vous ont notamment mené du massif jurassien à la Chine… P.G. : Dans les années 1990, on a donc mis au point une méthode pour contrôler les pullulations des campagnols et pour éviter la transmission de l’échinococcose alvéolaire. On n’entend plus parler de ce problème qui est maintenant maîtrisé par les éleveurs qui le souhaitent. On a vu mettre en œuvre au début des années 2000 les résultats obtenus dix ans plus tôt. Il faut au moins une dizaine d’années et hélas ici une crise pour que les choses
(Photo Véronique Giraudoux).
Patrick Giraudoux, naturaliste dans l’âme, scientifique dans la peau.
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