La Presse Pontissalienne 274 - Novembre 2022

22 Le dossier

La Presse Pontissalienne n°274 - Novembre 2022

l Interview

Le Professeur Régis Aubry “Il ne peut pas y avoir une commercialisation de la mort”

Membre du conseil national consultatif d’éthique, le Professeur bisontin Régis Aubry estime que la loi peut évoluer, mais estime indispensable que les débats soient éclairés, dépassionnés et ne se résument pas à une position pour ou contre le suicide assisté.

Le Professeur Régis Aubry, médecin chef du département douleurs soins palliatifs du C.H.U. de Besançon, est membre du comité consultatif national d’éthique.

l Association R.A. : Cet échantillon de 150 citoyens représentatifs sera nécessaire, mais pas suffisant. Notre rôle au conseil national L a Presse Bisontine : Était-il nécessaire de relancer le débat autour de la fin de vie ? P r Régis Aubry : Je pense qu’il y a une utilité à relancer le débat si ce débat est bien organisé. Si on réduit ce débat à la question pour ou contre l’euthanasie ou le sui cide assisté, alors non. Depuis quelques années dans notre société, et même si c’est discu table, on investit beaucoup la question de l’autonomie de la personne, les citoyens semblent ne plus avoir envie qu’on décide pour eux, dans toutes les sphères de la vie. Parallèlement, le corol laire des progrès de lamédecine, c’est qu’on fabrique des situations de longue fin de vie et qu’on confronte la personne à sa propre finitude pendant de longs mois. Tout cela crée donc de nouvelles questions qu’on ne peut pas nier et en cela, le débat qui va s’ouvrir est utile. L.P.B. : Que pensez-vous de laméthode avec une convention citoyenne com posée de 150 citoyens, qui doit semettre en place en décembre ?

gent d’opinion. C’est la raison pour laquelle il ne faut surtout pas se baser uniquement sur une opinion des bien portants. L.P.B. : Pour vous, la législation suisse à laquelle on se réfère parfois est-elle un exemple à suivre ? R.A. : Cette législation se base sur un défaut du droit, et pas sur le droit positif. Ensuite, ces pratiques reposent sur des asso ciations, et ce droit est payant et souvent très cher. Pour moi, ce n’est pas admissible d’un point de vue éthique. Il ne peut pas y avoir une commercialisation de lamort, ce n’est pas envisageable. Il est plus intéressant de s’inté resser à ce qui s’est passé dans l’État de l’Oregon aux États Unis qui a ouvert la porte au suicide assisté. On s’aperçoit qu’une partie des patients ne sont pas venus chercher le pro duit létal, même après l’autori sation, et qu’une partie des patients qui l’ont acheté ne l’ac tivent pas. Les citoyens de cet État se satisfont de la possibilité d’y avoir accès. L.P.B. : L’actuelle loi Claeys-Léonetti ne se suffit plus à elle-même ? R.A. : Les dispositions actuelles de cette loi sont suffisantes pour

consultatif d’éthique sera juste ment d’éclairer les débats afin que le plus grand nombre se sai sisse des enjeux et de la com plexité de cette question. Des débats doivent donc avoir lieu dans les régions, via les Espaces de réflexion éthique sur la base de l’avis que nous avons rendu récemment. Il est également capital que les parlementaires, ceux qui voteront une éventuelle nouvelle loi, soient eux-mêmes éclairés sur cette question. Et dans le contexte actuel d’hysté risation des débats, j’avoue que c’est un peu ma crainte. L.P.B. : Dans les enquêtes d’opinion, il apparaît de plus en plus que les per sonnes interrogées sont favorables pour choisir leur fin de vie. Lesmentalités ont donc bien évolué ? R.A. : C’est un fait. Pour autant, il faut analyser cela de plus près et se rappeler d’abord que les sondages ne s’adressent pas aux personnes concernéesmais à des bien portants. Des travaux de recherche ont étémenés qui mon trent que quand on s’intéresse aux patients, leur avis varie beau coup et ils changent de position beaucoup plus que les bien por tants. Plus on s’approche de leur fin de vie, et plus les gens chan

de respect.

côté pour l’instant.

la plupart des cas, en tout cas pour toutes les situations de fin de vie à court terme (c’est-à-dire de quelques heures à quelques jours). Mais l’analyse de l’évo lution des situations de fin de vie fait qu’on voit émerger des demandes d’aide active àmourir qui appellent dans un premier temps les soins palliatifs et de fait, quand on écarte la douleur, on s’aperçoit que la grandemajo rité de ces demandes disparais sent.Un certain nombre perdure, qui font appel à une question existentielle du patient et pour qui la sédation profonde et conti nue ne fonctionnera pas. Ces cas sont exceptionnels mais on se doit de les penser avec beaucoup

L.P.B. : Les soins palliatifs sont-ils assez développés et connus en France ? R.A. : Il y a encore une mauvaise connaissance de cette question alors que lemouvement des soins palliatifs est justement à l’origine des lois qui interdisent l’achar nement thérapeutique. Les soins palliatifs surviennent toujours quand les traitements conven tionnels sont finis. Selonmoi, on ne peut donc réfléchir à une évo lution éventuelle du droit que si on investit en même temps le champ des soins palliatifs et la question de l’autonomie des per sonnes âgées. Or, je crains que la loi autonomie ait été mise de

L.P.B. : ça en dit long sur l’évolution de notre société ? R.A. : C’est un symptôme inquié tant en effet. Je pense qu’on est désormais dans une société qui n’a pas compris qu’il était néces saire de protéger les personnes vulnérables.Cette petitemusique qu’on entend selon laquelle les plus vulnérables ne sont pas importants est dangereuse. Si l’espèce humaine a perduré à travers les millénaires, c’est jus tement parce qu’elle s’est toujours occupée des plus vulnérables de sesmembres. Si l’espèce humaine oublie cela, elle va dans lemur... n Propos recueillis par J.-F.H.

Accompagner la vie

Les bénévoles accompagnants, trop souvent oubliés dans le parcours de la fin de vie

Depuis plusieurs années, l’association laïque et apolitique “Accompagner la vie” intervient auprès de personnes en fin de vie. Ces bénévoles accompagnants aimeraient que les soignants fassent plus souvent appel à eux pour adoucir la fin de vie.

U ne présence, un soutien, une écoute. Le temps d’un ren dez-vous ou de plusieurs au fil des mois. “On accompagne le malade avec ses droits, ses besoins, ses désirs, illustre Christiane Dodane, présidente de l’association Accompa gner la vie et bénévole accompagnant depuis plus de 20 ans. Le bénévole n’a pas à faire, il n’a qu’à être.” Les bénévoles accompagnants ne comp tent pas leur temps lorsqu’ils sont au chevet d’une personne en fin de vie. “On donne du temps. Contrairement aux soignants pour qui le temps est compté, nous n’avons pas de montre dans notre poche quand on visite une personne” , souligne Éliane Gintz, tré sorière de l’association. Des discussions sur tous les sujets, souvent sur la mort pour les personnes du grand âge, beau coup d’histoires de vie, souvent des très belles, parfois des terribles… Éliane, Christiane et les autres béné voles viennent à la rencontre de per sonnes gravement malades, en fin de vie, ou du grand âge. “Nous intervenons toujours avec le consentement du malade, on le redemande à chaque visite” précise Éliane. Ce sont les soi

énorme turn-over des soignants, il faut à chaque fois recommencer” , soupire la présidente. Pourtant, Éliane et Chris tiane estiment avoir une place aussi importante que le kiné ou toutes les autres professions paramédicales entourant la fin de vie. “L’idéal, ce sont les maisons de soins palliatifs qui regroupent tous les acteurs autour de la fin de vie” , remarque Christiane. Afin d’accentuer sa présence et sa visi bilité, l’association recherche des béné voles. Elle pourrait ainsi assurer des permanences, renforçant ainsi leur assise sur le terrain. Nul besoin de venir du milieu soignant pour devenir bénévole accompagnant, une formation est assurée. Une fois par mois, ils se retrouvent tous pour échanger, et tous les deux mois, une psychologue inter vient. “Il y a parfois des accompagne ments difficiles. Quand on accompagne sur le long terme, c’est parfois dur de garder ses distances” , confie Éliane. Pour tous ceux souhaitant faire appel à l’association ou la rejoindre, Éliane, Christiane et tous les bénévoles accom pagnants sont prêts à les accompa gner. n L.P.

gnants, la famille ou le malade lui même qui sollicite les bénévoles accom pagnants. Les visites se font à domicile ou dans les établissements médicaux. “J’accompagne une personne très âgée, la famille est très présente mais la psy chologue a fait appel à nous car elle sentait que cette personne avait besoin de parler. Elle apprécie mes visites car en tant “qu’étrangère”, il n’y a pas d’af fect” , témoigne Éliane. Si l’association apolitique et laïque adhérant à la S.F.A.P. (société française d’accompagnement et de soins pallia tifs) existe depuis 2014 et regroupe des bénévoles à la longue expérience, la crise sanitaire est passée par là. “Depuis le Covid, les soignants ne pen sent plus forcément à faire appel à nous” , regrette Christiane Dodane. La structure qui compte 8 bénévoles formés et deux en formation ne ménage pas pour autant ses efforts pour se rendre visible auprès des institutions médi cales du C.H.I.H.C. (Centre hospitalier intercommunal de Haute Comté) et de la clinique Saint-Pierre avec qui elle a signé une convention. “Nous sommes trop peu visibles, on refait le tour des établissements mais il y a un

Éliane et Christiane lancent un appel aux bénévoles et aux soignants afin qu’ils leur confient plus d’accompagnements.

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