La Presse Pontissalienne 196 - Février 2016

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Pontissalienne n° 196 - Février 2016

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SOCIÉTÉ

Mosquée de Pontarlier “Il faut surmonter les ignorances et franchir les barrières”

Naceur Benyahia est le président de l’association cultuel- le de la mosquée de Pontarlier. Après les portes ouvertes organisées le 10 janvier dernier, il évoque sans tabous les attentats, l’insécurité, l’attitude de l’État français, les Pontissaliens radicalisés… Confidences.

L a Presse Pontissalienne : Le 10 janvier, vous organisiez des portes ouvertes. Une centaine de personnes sont venues découvrir la mosquée de Pontarlier. Pourquoi ce désir d’ouverture ? Naceur Benyahia : Nous voulions déjà fai- re ce genre demanifestation juste après les attentats de Charlie-Hebdo, l’idée étant de casser cette barrière pour aller vers l’autre car un des principes de l’islam, c’est l’accueil. Finalement, on ne l’avait pas fait car l’atmosphère était assez tendue après Charlie, notre mos- quée avait été taggée, on nous avait envoyé des courriers d’insulte… On a donc attendu que ce soit plus apaisé. Puis sont survenus les attentats du 13 novembre. Suite à ce nouveau dra- me, nous avons reçu un appel du C.F.C.M. (Conseil français du culte musulman) pour organiser des portes ouvertes. Et nous nous sommes déci- dés à organiser ces portes ouvertes le 10 janvier, avec des ateliers théma- tiques pour expliquer ce qu’est vrai- ment l’islam. Les visiteurs ont pu éga- lement assister à deux prières. L.P.P. : À quoi a servi cette journée ? N.B. : Nous avons répondu à toutes les interpellations de nos concitoyens, à toutes les questions qu’ils se posaient sur la laïcité, les femmes dans l’islam, les imams, les croisements multiples entre les religions. Une chose que j’ai l’habitude de dire, c’est que “si on ne croit pas à Jésus, on n’est pas unmusul- man.” Tout ça pour dire que toutes les religions monothéistes ont la même base. Je dis souvent à des musulmans qu’on est cousins avec les juifs. Je rap- pelle aussi que dans les heures les plus sombres de l’Histoire de France, des musulmans ont aidé des juifs à se cacher des nazis à l’intérieur de la grande mos- quée de Paris. Cette opération portes ouvertes, qui a rassemblé des gens de tous les âges, a permis de surmonter des ignorances et de franchir cette bar- rière que certains imaginent. C’est une opération que nous devrions renouve- ler plus souvent en suivant par exemple

un autre.

L.P.P. : Comment avez-vous pris les actes stu- pides commis à plusieurs reprises devant la mosquée de Pontarlier (dépôt d’un porcelet, de lardons…) ? N.B. : Ce sont évidemment des actes imbéciles que nous déplorons. ais il faut toujours prendre ce genre de choses au sérieux. ’est pour cela aussi qu’on s’est dit qu’il fallait qu’on essaie de changer notre façon de faire. n ne dis- cute plus devant la mosquée comme on le faisait avant, on ferme les locaux entre les prières. ous sommes respon- sables de nos fidèles, il faut donc prendre ce genre de précautions. C’est un peu notre Vigipirate à nous ! Mais dans tout cela, on retient plus les choses positives que les choses négatives, com- me ce message touchant qui avait été laissé par une Pontissalienne devant la porte de la mosquée et qui appelait à rester tous unis. Même si on ne sent pas ici une islamophobie régulière et agressive, de toute façon, on sait qu’à chaque événement dramatique en Fran- ce, on doit s’attendre à une réaction. L.P.P. :Il y a aussi eu des questions sur l’attitude des musulmans par rapport aux femmes. Quel- le est vraiment votre position par rapport à cela ? N.B. : L’homme ne peut rien faire sans la femme et sur le plan de notre reli- gion, elle a une place plus élevée que le père au niveau familial. Comme on dit, “la femme est une école et si vous la préparez, vous préparez toute une génération.” C’est bien la femme qui va éduquer les enfants. La femme a donc toute sa place dans l’islam. L.P.P. : Mais pas à la mosquée… N.B. : Si, elle a aussi sa place à la mos- quée, mais on ne prie pas ensemble. C’est une question de pudeur, pour évi- ter lesmauvaises pensées. C’est la natu- re humaine qui fait qu’il existe des ten- tations. Éviter la mixité à la mosquée, c’est juste une histoire de respect et de pudeur. D’ailleurs une femme qui a la foi ne souhaite pas être à côté d’un hom- me dans une mosquée. L.P.P. : La femme musulmane est tout de même un peu… soumise dirons-nous ? N.B. : Sans aucun esprit polémique, il faut avoir parfois un peu de mémoire. Il y a quelques décennies en France, les femmes n’avaient pas le droit de vote. Plus récemment encore, jusque dans les années soixante, elles n’avaient pas non plus le droit d’avoir un comp- te en banque ou un chéquier sans l’autorisation de son mari. Il a fallu combien de temps à la cinquième puis- sance du monde pour accorder à ses femmes ce genre de libertés ?…La fem- me musulmane a tous ces droits, elle a même le droit de mettre la valise de son mari devant la porte ! L.P.P. : Alors d’où viennent toutes ces inter- prétations et ces dérives ?

Naceur Benyahia (à droite), président de l’association cultuelle de la mosquée Philippe-Grenier, aux côtés d’Amar Remini, le trésorier de l’association.

contrôle et on fait beaucoup de pré- vention. Dès qu’un nouveau fidèle arri- ve, on va vers lui, on se rassure. Avec tout ce qui se passe, il faut être très prudent. L.P.P. : Comment sentez-vous les choses évo- luer ? N.B. : Il faut aller plus loin que ce qu’on entend à longueur de journée sur le “vivre ensemble”. La solution n’est pas là ! Il faut commencer par le bas, avec encore une fois la formation des imams, l’encadrement des mosquées, des asso- ciations cultuelles. Il ne faut pas non plus que la laïcité devienne une autre forme de racisme anti-religieux. Les problèmes qui se posent dans le mon- de où la religion pèse, c’est dans les pays où ils ont commencé par la démo- cratie avant d’instaurer la laïcité. En Égypte par exemple, ils ont voulu la démocratie avec le Printemps arabe, puis les frères musulmans sont arri- vés et ça s’est soldé par un échec parque qu’on n’avait pas instauré la laïcité. L.P.P. : Vous êtes optimiste ? N.B. : Il faut savoir aujourd’hui ce que la France compte faire avec les mil- lions de musulmans qu’elle compte sur son territoire. C’est à la France de trou- ver une solution qui marche. C’est un problème de société, de communauta- risme. On a laissé se créer des zones où les communautés vivent entre elles et après on se demande pourquoi ça devient des zones de non-droit. Il n’y a pas que la religion derrière tous ces problèmes, il y a d’abord des gens en situation précaire, des gens qui pau- més, qui ensuite se tournent vers la religion. C’est d’abord un problème de société avant d’être un problème reli- gieux. Il faut réaffirmer les vrais mes- sages. Pour terminer sur une note posi- tive, c’est Gandhi que je citerai : “Il y a beaucoup de choses pour lesquelles je suis prêt à mourir, mais aucune cause au nom de laquelle on peut tuer.” Propos recueillis par J.-F.H.

bien avancé. Le vrai problème, c’est qu’avec des imams venant d’Algérie et ne parlant pas français, les jeunes musulmans français ne trouvent pas la compréhension au sein desmosquées, ils se tournent donc ailleurs : soit dans une mosquée où l’imam tient la route, soit, hélas, sur Internet. L.P.P. : Et la barbe, et le foulard ? N.B. : Les imams et les musulmans se sont toujours baladés avec la barbe, les femmes qui le veulent avec le foulard, et tout se passait bien, et tout le mon- de se respectait. Le problème, c’est que l’époque a changé. Quand les immigrés sont arrivés en France, leur objectif était de gagner des sous, d’en envoyer au pays avant de pouvoir y repartir et ouvrir un petit commerce ou une bou- tique. Puis il y a eu le regroupement familial et des enfants sont nés en Fran- ce, donc Français. La France ne s’attendait pas à une telle vague de musulmans en France. C’est une ques- tion de démographie, les générations ont changé et l’islam s’est développé. L.P.P. : Revenons à Pontarlier. C’est cette mos- quée qu’a fréquenté le fameux Yassin Salhi, l’homme qui a décapité son patron en Isère. Ici aussi que venait prier celui qui se fait appe- ler le Grand Ali. Comment avez-vous réagi à cette actualité dramatique l’an dernier qui met- tait en cause ces Pontissaliens ? N.B. : Yassin Salhi serait resté à Pon- tarlier qu’il n’aurait jamais fait ce qu’il a fait. Ce sont des gens qui sont venus ici un moment et qui sont repartis. Ces événements nous ont beaucoup cho- qués. Amar Remini, notre trésorier, a été le professeur de langue arabe de Yassin Salhi. On n’a jamais rien eu à lui reprocher. Pourquoi c’est tombé sur lui ? On ne sait pas. Mais ces choses- là peuvent hélas tomber sur n’importe qui. On a même entendu parler d’une petite Saugette, française et bien blanche, qui était prête à partir en Syrie. Ici, on est très vigilant, il n’y a jamais de réunion organisée sans notre

N.B. : Le problème, c’est que l’interprétation de l’islam est souvent faite par des non savants, des ignorants. L’organisation Daech a été condamnée par les grands savants de l’islampour qui on ne doit jamais tuer un enfant de Dieu. La nuan- ce, c’est que celui qui tue actuellement est un igno- rant, mais pas celui qui incite à tuer. L’objectif de Daech n’est d’ailleurs pas du tout religieux, il est purement politique.

“Yassin Salhi serait resté ici, il n’aurait jamais fait ça.”

Le but politique, de conquête, est mas- qué par des pseudo-discours religieux et pour arriver à leurs fins ils utilisent des gens disposés à ça, des illettrés, des petits délinquants.Tous ceux qui com- mettent ces actes sont des gens à la marge de la société, qu’on a utilisés, qui sont tombés dans le piège. L.P.P. : À qui la faute ? N.B. : Évidemment aux dérives de la propagande sur Internet, également aux imams qui prêchent comme ça et qu’on a laissé faire et sur ce point, la France a sa part de responsabilité. Il faut prendre le problème à la racine en commençant par former des imams francophones. L.P.P. : Ce n’est pas à l’État laïc français de le faire ! N.B. : Non, mais il faut commencer par créer une institution qui gère toutes les mosquées en France. Le président Sarkozy l’avait promis, il ne l’a jamais fait. Il faut également impérativement éviter le communautarisme identitai- re des mosquées. Ici, on s’appelle la mosquée Philippe-Grenier de Pontar- lier, on n’affiche pas une quelconque nationalité. Dumoment où on aura des imams formés, dans le cadre d’une ins- titution qui gère les mosquées sous le regard de la République laïque, on aura

le calendrier reli- gieux musulman (rama- dan, Aïd-el-Kébir…) pour tenter de couper enfin cette non-compréhension de l’islam. L.P.P. :Actuellement, c’est un imam bénévole parlant très peu le français qui prêche à la mosquée de Pontarlier. ette situation est-elle normale ? N.B. : Les imams sont en général des fonction- naires payés par l’État algérien, en ce qui concer- ne nos mosquées, et qui viennent prêcher dans les mosquées françaises. Ils sont formés et envoyés, par vagues, et en ce moment il y en a peu. Nous en attendons

“L’inter- prétation de l’islam est souvent faite par des ignorants.”

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