La Presse Pontissalienne 195 - Janvier 2016

LE DOSSIER

La Presse Pontissalienne n° 195 - Janvier 2016

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L’ÉCONOMIE FRONTALIÈRE EN PROIE AUX DOUTES

Un an après l’envolée du franc suisse par rapport à l’euro, comment se porte l’économie sur la bande frontalière ? Côté suisse, l’appareil industriel accuse le coup en subissant d’autres facteurs conjoncturels. Ce qui ne va pas sans faire peser des menaces sur l’emploi. Inversement, c’est tout bénéfice pour les commerçants du Haut-Doubs.

“On s’évertue à fragiliser les secteurs exportateurs et productifs” Économie Analyse conjoncturelle Olivier Crevoisier, professeur à l’Université de Neuchâtel, spécialisé en

très grosse réserve de tra- vailleurs milanais. On n’en est pas encore à ce niveau à Neu- châtel mais cela arrive. L.P.P. : Ce qui explique donc pourquoi les effectifs frontaliers sur l’Arc juras- sien se maintiennent voire progres- sent légèrement en 2015 ? O.C. : La hausse est moins forte qu’avant et actuellement ils se maintiennent alors que dans les conditions précédentes on aurait eu une baisse plus forte. L.P.P. :La hausse du franc suisse induit- elle des pressions sur les salaires ? O.C. : Dans le contexte actuel, c’est clair, il y a un effet d’appel sur la main-d’œuvre frontaliè- re et l’immigration en général. Il y aura forcément une pres- sion sur les salaires. C’est la première crise importante depuis la mise en place des bilatérales. On se retrouve dans une situa- tion inconnue.Avec les mesures d’accompagnement sur le mar- ché du travail, il ne devrait pas y avoir de dumping social mais cela est très mal contrôlé. Il y a là un manque de volonté des autorités suisses. Ici, le chôma- ge est sous-estimé. Les Suisses ne sont pas habitués à vire avec des taux élevés de demandeurs d’emploi. L.P.P. :Les perspectives dans l’industrie semblent assez moroses pour 2016 tant au niveau des entrées de com-

économie territoriale et institutionnelle décrypte l’évolution de l’activité écono- mique en 2015 sur le canton de Neuchâtel et plus généralement en Suisse.

L a Presse Pontissalienne : Après l’envolée du franc suis- se, certains prédisaient une catastrophe en Suisse. On semble avoir sous-estimé la capaci- té d’adaptation de l’économie suisse. Qu’en pensez-vous ? Olivier Crevoisier : On note une pression forte sur l’industrie d’exportation et le tourisme. Mais, de manière générale, on constate aussi une force de résis- tance supérieure à ce que l’on pouvait attendre. Ce n’est pas la première fois qu’on vit une telle crise. Les entreprises ont pris des dispositions. Elles ont anticipé et se sont mises dans l’état d’esprit d’un franc suisse fort. Cela ne veut pas dire, pour autant, qu’il n’y a pas de diffi- cultés. L.P.P. : Quand on observe les indica- teurs de l’économie neuchâteloise, on constate un ralentissement global plus marqué que dans les autres cantons. Pourquoi ? O.C. : Car l’économie neuchâte- loise est plus spécialisée que les autres dans l’industrie d’exportation. Neuchâtel réagit donc plus fort à chaque secous- se. Au début des années 2000, avec un taux de change beau- coup moins favorable au franc

suisse, les conditions étaient beaucoup plus favorables à l’industrie suisse qui a connu une expansion sans précédent. Le canton de Neuchâtel est plus exposé que les autres à la conjoncture internationale. Face aux fluctuations du franc suis- se, il réagit toujours beaucoup plus fort à la hausse comme à la baisse. L.P.P. : En un an, les exportations ont reculé de 35 % sur Neuchâtel contre 5 % au niveau national. Quels sont les secteurs les plus fragilisés ? O.C. : L’horlogerie reste un bien de luxe avec des clients peu regardant sur les prix. Le boom de l’horlogerie coïncide avec le miracle économique chinois qui a absorbé le développement de la filière. Les machines repré- sentent un secteur assez parti- culier. Il s’agit de biens d’investissement sensibles à la conjoncture. Avec un effet accé- lérateur quand tout va bien et vice-versa. Je pense qu’on va avoir des tensions plus fortes sur les machines et l’horlogerie sauf si la Chine se réveille, ce qui n’a pas l’air d’être le cas. L.P.P. : Sur le canton de Neuchâtel, le taux de chômage est de 5,4 % contre

4,9 % dans l’Arc jurassien et 3,4 % au niveau de la Confédération. Doit-on s’en inquiéter ? O.C. : Bien sûr. Pourquoi se situe- t-il à un tel niveau ? Avant les accords sur la libre circulation des personnes mise en place en 2004, la main-d’œuvre indigè- ne était prioritaire sur les fron- taliers. Cela permettait de main- tenir un taux de chômage en Suisse assez bas. Les travailleurs frontaliers servaient en quelque sorte de soupape. La donne a changé depuis l’entrée en vigueur des accords. On vit actuellement un test des nou- velles dispositions.Avec un recul

“On se retrouve dans une situation inconnue”, indique Olivier Crevoisier, professeur d’économie à l’Université de Neuchâtel.

conjoncturel, que va-t-il se passer ? On constate que le chômage pro- gresse plus vite en Suisse. On a un effet de substitu- tion de la main- d’œuvre indigène par la main- d’œuvre fronta- lière. Ce qui va poser des pro- blèmes politiques. Le phénomène est déjà très marqué dans le Tessin qui s’appuie sur une

politiques publiques soucieuses de réaliser des économies bud- gétaires, ce qui ne fera que ren- forcer le franc suisse. On s’évertue à fragiliser les sec- teurs exportateurs et produc- tifs. Il faut quand même savoir que la plupart des collectivités publiques sont excédentaires en Suisse. Mais la Confédération cherche encore à réaliser des économies. Cette vision très conservatrice de la gestion des finances publiques constitue à mes yeux une aberration éco- nomique. Propos recueillis par F.C.

mandes, de l’emploi et de la produc- tion. O.C. : Sans parler de licencie- ments, on subira une érosion de l’emploi dans l’horlogerie mais surtout dans la machine. Ce sec- teur est très important sur le canton de Neuchâtel. La machi- ne-outil représente la premiè- re branche industrielle en Suis- se. On en parle relativement peu car elle est très éclatée en de multiples petites entreprises. Tous ces éléments ont été condi- tionnés par l’évolution du franc suisse. On va vers un certain nombre de problèmes avec des

“On va vers un certain nombre de problèmes.”

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