La Presse Pontissalienne 156 - Octobre 2012

L’ÉVÉNEMENT

La Presse Pontissalienne n° 156 - Octobre 2012

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FRANCE - SUISSE VERS UNE GUERRE DE L’ABSINTHE ? Avec cette Indication Géographique Protégée (I.G.P.) absinthe revendiquée par les producteurs du Val de Travers, la Fée verte se fait Carabosse et se met à dos les distillateurs du monde entier, y compris dans son propre pays. Nos “amis” suisses estiment qu’il s’agit d’une revendication légitime enga- gée en toute transparence. En France, on voit plutôt cela comme un hold- up, une confiscation sur un terme générique. Pontarlier qui fut en son temps capitale mondiale de l’absinthe se sent véritablement blessée dans une his- toire qu’elle croyait partagée en commun avec le Val de Travers. Du coup, la Route de l’absinthe dont on se plaisait à rêver qu’elle soit inscrite patrimoine mondial de l’Unesco se retrouve à faire du vol stationnaire en attendant qu’on déguste l’absinthe de la paix. Enquête.

APPELLATION

La bataille juridique fait rage

I.G.P. absinthe : hold-up ou protection légitime ?

La confirmation en août dernier par l’office fédéral de l’agriculture de l’I.G.P. Absinthe au bénéfice des seuls producteurs du Val de Travers a soulevé une vague de protestations sans précédent. Les recours et les critiques se multiplient à l’encontre des “grands méchants” suisses.

D’ un côté, on crie au scandale et de l’autre on estime que cette I.G.P. Absinthe est la seule manière de protéger une production historique et artisanale. François Guy, le distillateur pontissalien, ne com- prend pas que l’on puisse ainsi s’approprier ce qu’il considère comme un générique au même titre que le whisky : “Il s’agit d’une I.G.P. usur- patoire et confiscatoire. Le Val de Tra- vers n’a pas plus de prérogatives que nous de se prévaloir de ce breuvage. Pour moi, c’est une aberration de pro- téger le nom d’une plante. Je suis sur- pris que les Suisses puissent se per- mettre un tel coup, même si cela peut se comprendre.” Le Val de Travers a réussi là où Pon- tarlier a échoué en 2003 faute de soli- darité. Les trois distillateurs encore en activité à l’époque dans la capita- le du Haut-Doubs avaient déposé ensemble une demande d’Appellation d’Origine Réglementée. La démarche imposait aux moins deux producteurs. La tentative a échoué quand François Guy s’est retrouvé seul, faute de s’entendre avec le repreneur des deux autres distilleries. “Le dossier serait réglé” , en convient François Guy qui n’est pas resté les bras croisés. Il a créé l’association de défense de l’absinthe de Pontarlier qui réunit aussi des pro- ducteurs de plantes d’absinthe de la plaine de l’Arlier. Cette association a déposé en 2008 le dossier I.G.“Absinthe de Pontarlier” dont le cahier des charges a été approuvé en février 2012 par l’I.N.A.O. “Le projet devrait aboutir avant la fin de l’année et à défaut d’opposition, il pourrait être ensuite présenté à l’Union Européenne. Moi, je ne vole personne.”

Pendant ce temps, les producteurs du Val deTravers constitués aussi en asso- ciation ont déposé le 31 mars 2010 à l’O.F.A.G. (office fédéral de l’agriculture), équivalent suisse de l’I.N.A.O., leur propre I.G.P. sous trois dénominations : la Fée verte, La Bleue et l’Absinthe. L’opération a soulevé une première vague de protestation avec 42 recours venus du monde entier. Le 16 août der- nier, l’O.F.A.G. a rendu son verdict en confirmant l’I.G.P. dans son intégra- lité. Ce jugement a déclenché un vrai tsu- nami d’indignation et 16 recours au tribunal administratif fédéral. S’ils sont retoqués, les recourants auront encore la possibilité de porter l’affaire au tribunal fédéral. Tous protestent bien entendu sur le hold-up des pro- ducteurs duVal de Travers sur le géné- rique absinthe. Tous craignent aussi une extension de cette fameuse I.G.P. à

Le distillateur pontissalien François Guy estime que l’I.G.P. Absinthe portée par les producteurs du Val de Travers est usurpatoire et confiscatoire.

“Moi, je ne vole personne.”

l’échelle européenne qui interdirait aux pro- ducteurs hors duVal de Travers d’apposer le mot absinthe sur leurs étiquettes. Les réponses des por- teurs de l’I.G.P. sont très ambiguës. Thierry Béguin, le président de l’interprofession duVal de Travers, précise que ce n’est pas d’actualité même s’il vise la pro- tectionmaximale. Dans l’émission “On en par- le” diffusée le 11 sep- tembre sur la chaîne suisse R.T.S., Paolo Digiorgi, le responsable

comme on a pu le lire dans certains médias, sont exportés chaque année sur le marché suisse. Pour les producteurs pontissaliens, cela représente tout au plus quelques centaines de litres dont ils devraient modifier l’étiquette.” Le trouble persiste comme souvent avec ce mythique breuvage. T.C.

du registre fédéral des A.O.P.-I.G.P. n’écarte pas cette éventualité. “Pour avoir une protection en France, on devra aussi le mettre dans l’annexe huit de l’accord bilatéral. Si l’Union européenne accepte que cette dénomination soit lis- tée, alors les producteurs français devront se soumettre. Ils ne pourront plus appeler absinthe tout court mais

ajouter en localisant.” Pour Jean-Nat Karakash, élu du Val de Travers, cette I.G.P. s’inscrit d’abord dans une démarche nationale et regret- te qu’elle ne puisse pas s’étendre au Pays de l’Absinthe donc à Pontarlier. Il tient aussi à relativiser l’impact éco- nomique de cette protection. “4 500 litres d’absinthe, et non 45 000 litres

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