La Presse Pontissalienne 114 - Avril 2009

L’ÉVÉNEMENT

La Presse Pontissalienne n° 114 - Avril 2009

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Ils sont souvent pauvres mais ne mendient pas. Ces spécialistes de la “débrouille” cherchent de quoi manger au jour le jour. Il y a ceux qui se tournent vers des associations comme les Restos du cœur pour demander l’aide alimentaire à laquelle ils peuvent prétendre. Et puis il y en a d’autres qui préfèrent le “système D” pour remplir leur réfrigérateur. Ce sont les glaneurs. On les croise sur les marchés où ils ramassent des fruits et légumes juste abîmés qui finiront à la poubelle. Ils sont aussi au petit matin à proximité des supermarchés ou ils fouillent les poubelles pleines de marchandises pas toujours périmées, en partance pour la déchetterie. Ces glaneurs-là agissent par nécessité mais aussi par dégoût d’une société de consommation dont les excès se mesurent dans les ordures. Qu’elles soient discutables ou non, la crise actuelle exacerbe ces pratiques qui se développent, y compris dans nos campagnes. POUR MANGER, TOUS LES MOYENS SONT BONS !

Rencontre Pierre glane d’abord par principe I ls ne sont que quelques-uns à faire régulièrement le tour des marchés pour récupérer des manger. Ma manière de faire me donne la possibilité de réaliser des économies. Jemange pour pas cher” sourit-il.

DÉBROUILLE Une pratique en augmentation “Mission frigo” dans

fruits et légumes. À 24 ans, les cheveux en bataille et couvert d’une veste de velours clair, Pier- re est aux abonnés glaneurs.Mais cet ouvrier saisonnier agricole glo- be-trotter , le fait moins par néces- sité que par principe. “J’ai gran- di dans une famille qui n’était pas très aisée et où on m’a appris à ne pas jeter la nourriture. Par ailleurs, mon regard sur la nature s’est déve- loppé avec le temps. Dans cette société occidentale, il y a tellement

les poubelles des supermarchés Des glaneurs se lèvent très tôt pour aller fouiller les poubelles des grandes surfaces au moment où celles-ci renouvellent leur stock de marchandises. Ceux qui livrent à ces pratiques de consommation le font souvent par nécessité. Le phénomène, né en ville, s’étend peu à peu dans nos campagnes. Rencontre avec des habitués qui écument les grandes surfaces du département.

ont besoin” estime-t-il, qualifiant cette situation de dérive de la société de consommation. Pour des raisons d’hygiène, Phil ne prend que des pro- duits qui sont sous vide. “Beaucoup de mes amis ont des réticences à l’idée que les denrées viennent des poubelles. Moi j’ai dépassé ce stade.” Justine n’est pas devenue glaneuse par plaisir. “C’est la nécessité qui nous pous- se à passer la barrière de principe. La personne qui a les moyens de faire ses courses ne se lève pas à 5 heures du matin pour fouiller les poubelles.” Pierre ne fait sonmarché que lors- qu’il n’a plus rien en réserve et ne récupère qu’en fonction de ses besoins. Son régime alimentaire est dicté par ce qu’il parviendra à glaner. Qu’importe le résultat, il s’en accommode toujours. “Par- fois, je récupère trente courgettes. Depuis quatre ans, je fais de la confiture avec les produits dumar- ché même au kiwi et à l’orange. J’en ai d’ailleurs donné un pot au maraîcher. Au minimum, il y a toujours de quoi faire une soupe.” T.C. Tomates,navets,poivrons,pommes, carottes, et d’autres choses enco- re, la collecte du vendredi 13 mars lui fut finalement assez profitable. “Les cinq fruits et légumes qu’il faudrait manger par jour, il y est” plaisante une maraîchère. Fraî- chement retirés des étals, les pro- duits qu’il glisse dans son filet ont encore un bel aspect. Mais il ne devra pas attendre pour les consommer.

de gâchis et une telle surproduc- tion alimentaire, que je récupère par conviction écologique. Tant mieux qu’il y ait cette crise si elle peut permettre aux gens d’apprécier la vraie valeur des choses et mesurer la chance qu’ils ont de pouvoir

I l est six heures du matin. Justine attend à l’arrière d’un supermarché que les poubelles soient sorties.Une fois dehors, elle pourra commencer à les fouiller juste avant le passage des éboueurs. La “mission frigo” peut débu- ter pour cette jeune femme qui vient là une fois par semaine, le lundi matin. C’est le jour des livraisons, le moment où le magasin rentre de nouvelles mar- chandises débarquées par camion. Les denrées périssables sont donc débar- rassées des rayons et jetées à la pou- belle. Il y a de tout : des légumes, des viandes, des poissons, des boissons, des

Cematin-là,Justine remplit deux grands sacs.Il n’y a pas de légumes.Un employé du magasin a déversé de l’eau de javel dans la poubelle qui les contenait. Cet- te pratique courante est censée décou- rager les glaneurs. “Souvent, les grandes surfaces procèdent ainsi quand elles nous voient arriver, ou alors elles cade- nassent les containers pour qu’on ne puisse pas se servir. Comme ça elles sont certaines que tout partira aux ordures” déplore Pierre. Parmi ses amis glaneurs, il y en a qui effectuent des “missions frigo” dans des supermarchés du Haut-Doubs. Il refu- se toutefois de communiquer l’adresse “où l’on trouve vraiment de tout, même des viennoiseries” , de peur de donner des idées à d’autres glaneurs, redou- tant aussi que cette publicité pousse le magasin à prendre des mesures res- trictives. “En tout cas, ils ne viennent pas chez nous” note le responsable d’une grande surface pontissalienne. “Tous les produits sont systématiquement broyés sur place.D’ailleurs, on peut assi- miler les pratiques des glaneurs à de la violation de propriété privée et à du vol de marchandise.” Même constat dans ce supermarché deValdahon où les den- rées périssables qui partent à la déchet- terie sont inaccessibles. Parfois, des gérants de supermarché tolèrent que les poubelles soient visi-

yaourts. La plupart du temps, la date de fraîcheur de ces produits arrive à échéance. Pour Justine, ils sont consom- mables tout de suite. “Je remplis le fri- go gratuitement. Franchement, quand je fais mes courses, mon budget ne me permet d’acheter que du premier prix. Là, je trouve des barquettes de viande à 6,70 euros. Jamais, en temps normal, je ne pourrais m’acheter unmorceau de viande à ce prix, pour une seule assiet- te en plus. Là, je fais à manger en fonc- tion de ce que je trouve.J’ai même ramas- sé des œufs de caille. Je ne suis pas certaine d’en avoir déjàmangé” dit-elle.

“Toujours de quoi faire une soupe.”

tées. Les glaneurs qui le savent gar- dent jalousement leurs “bons plans.” Phil a découvert une adresse par hasard, en rentrant chez lui au petit matin il y a tout juste un mois. “J’ai vu en pas- sant près du magasin ce qui se jetait. J’ai halluciné.” Ce garçon pourrait sub- venir à ses besoins en faisant ses courses dans les supermarchés comme tout le monde.Mais pourquoi acheter des mar- chandises, alors qu’en attendant un peu elles finiront à la poubelle chaque début de semaine ? “C’est inadmissible que l’on jette de la nourriture dans de telles quantités. On trouve des morceaux de viande de premier choix. Franchement, on pourrait nourrir tous les gens qui en

Les glaneurs fouillent les poubelles des supermarchés juste avant le passage des éboueurs.

T.C.

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