La Presse Bisontine 53 - Mars 2005

11 LE DOSSIER

A NALYSE

80 % d’enseignes nationales Annie Courbet : “Les indépendants ne peuvent plus lutter” L’agence bisontine Courbet a fait de l’immobilier com- mercial une de ses spécialités. C’est par elle que passe la grande majorité des enseignes souhaitant s’installer sur le centre-ville de Besançon.

L a Presse Bisontine : Vous confirmez que l’ins- tallation d’enseignes nationales sur le centre- ville de Besançon ne fait que s’amplifier ? Annie Courbet : Elles représentent aujourd’hui plus de 80 % des nouvelles installations. Ce phénomène ne fait que s’accentuer. L.P.B. : Le paysage commercial du centre-ville bison- tin a été bouleversé. Qu’est-ce qui explique cette évo- lution ? A.C. : Le système de la franchise s’est beaucoup développé car le droit de la franchise a été net- tement clarifié ces dernières années, tout est mis noir sur blanc, ce qui n’était pas le cas il y a 10 ans. Le principe est le suivant : un indé- pendant s’installe avec une enseigne qui est propriétaire du fonds de commerce. Le pro- priétaire versera des royalties à la franchise et en contrepartie, la franchise lui concède une image, une structure intégrée, une marque, des produits attachés à ces marques, une ges- tion des stocks facilitée, de la communication, etc. Cela explique l’émergence d’un nouveau type de commerce qui permet à des gens, qui ne sont pas forcément commerçants dans l’âme, d’accéder au commerce. On assiste au développement d’une nouvelle généra- tion de commerçants, souvent d’anciens cadres, qui se mettent au commerce. C’est aujourd’hui l’essentiel de notre clientèle, à 80 % environ. L.P.B. : Quand un espace commercial se libè- re en ville, les indépendants ne peuvent pas lutter contre les enseignes nationales ? A.C. : Lorsqu’une surface se libère, on la propose à tous nos clients potentiels. Mais il n’y a pas de mystère, le bailleur pré- férera avoir affaire à Mc Donald’s ou à Gene- viève Lethu plutôt qu’à M. X qui ouvre son pre- mier magasin. L.P.B. : Les indépendants ne peuvent vraiment plus lut- ter ? A.C. : Non. Par exemple, pour remplacer la pâtis- serie-salon de thé Caraux-Estève, on avait eu une candidature d’un pâtissier. Mais au final, c’est le propriétaire du fonds qui décide. Il a choisi de céder le droit au bail à l’enseigne nationaleMise au green (vêtements). À 60 000 ou 80 000 euros de plus, le vendeur dit “tant pis

pour l’affectif.” La situation est telle que les belles surfaces ne sont plus accessibles aux indépendants. Ils ne peuvent plus lutter contre des structures plus puissantes et mieux orga- nisées. La concurrence est terrible. Hélas, cet- te tendance ne fera que s’accentuer. L.P.B. : Le constat est terrible ! A.C. : Il ne faut pas pour autant noircir le tableau. Des gens qui sont sur un créneau original, qui sont dynamiques, à la pointe de l’innovation, ceux-là s’en sortent encore très bien. Il faut savoir par exemple que l’année qui suit une rénovation de magasin, les magasins aug- mentent leur chiffre de 30 %. L.P.B. : Comment se porte le marché de l’immobilier commercial au centre-ville ? A.C. : En ce moment, on est confronté à un gros problème d’inadaptation de l’offre et de la demande. Les concepts des enseignes natio- nales évoluent de plus en plus sur des surfaces importantes pour être compétitifs. Le problè- me, c’est que sur Besançon, nous avons des magasins de 30 à 50 m 2 alors que les enseignes

Annie Courbet a créé son agence en 1981. En 24 ans, elle a suivi de près l’évolution du commerce au centre-ville.

attachée à faire évoluer le haut de la Grande rue qui était assez pauvre, en attirant Anto- nelle, Méphisto, Afflelou, Old River ou encore Jean-Louis David. Pour faire le paysage com- mercial, il faut connaître les bons concepts. Quand on fait descendre une enseigne natio- nale de Paris ou de Lille, on n’a pas droit à l’er- reur. L.P.B. : Certains souhaiteraient que des magasins d’équipement de la maison ou de sport arrivent au centre-ville. C’est envisageable ? A.C. : Vouloir ramener par exemple un maga- sin de meubles au centre, c’est de l’utopie. Le centre-ville n’a pas la même vocation que les zones et pas la même clientèle non plus. Il faut bien se résoudre à dire qu’on n’amè- nera pas les mêmes activités sur le centre que sur les zones. L.P.B. : Certaines enseignes refusent de venir au centre- ville à cause d’une accessibilité médiocre ? A.C. : Bien sûr. Un récent exemple : C etA (vête- ments) a refusé de venir place du Marché. Ils m’ont dit : “comment voulez-vous que je gère mes livraisons ?” ! Propos recueillis par J.-F.H.

L.P.B. : Vous confirmez le phénomène de sectorisation du centre-ville selon le type de commerce ? A.C. : On assiste à une clarification des zones à Besançon. Les enseignes nationales tra- vaillent selon des plans très précis, sorte de plans cadastraux où figure le nom de tous les magasins rue par rue. Une enseigne de vête- ments plutôt bas de gamme ne voudra être que dans le bas de la Grande rue par exemple. En haut de la rue des Granges, je ne vais pas pro- poser des surfaces aux enseignes nationales. C’est plutôt un créneau réservé aux indépen- dants moyen et haut de gamme comme la Marche du Temps, Fausti ou Madison. Ensui- te, les grands groupes raisonnent selon leurs différentes marques. Exemple avec le groupe Éram qui possède plusieurs marques présentes à Besançon : Éram, Rigoletto, Bocage et Tanéo. Ils ont choisi des endroits adaptés à chaque fois. Un concept comme Brioche Dorée n’ac- cepte de s’installer que dans une rue piéton- ne. La rue Moncey ne comporte quasiment aucune enseigne nationale. Pour des raisons stratégiques, elles choisiront la partie centra- le de la Grande rue et de la rue des Granges. L.P.B. : C’est un peu vous qui modelez le visage com- mercial du centre-ville à Besançon ? A.C. : En quelque sorte. Je me suis par exemple

nous réclament des 150m 2 avec 10m de façade. Ce genre de produits n’existe plus. L.P.B. : Quelles sont les enseignes qui dis- paraissent au centre ? A.C. : Il n’y a pas que des indépen- dants. Le turn over concerne tout le monde, y compris les enseignes natio- nales. Des magasins nationaux com- me Témérit (vêtements) ou Saint- Karl (coiffure) n’ont pas été jugés

“On assiste à une clarification des zones à Besançon.”

suffisamment rentables, ils ont été fermés. Tout comme Étam lingerie par exemple. D’autres ferment puis rouvrent ailleurs. Exemple : Anto- nelle (sous-vêtements) avait une surface de 30 m 2 . Ils ont fermé en attendant que je leur retrouve une surface de 80 m 2 , au-dessus de la Grande rue. L.P.B. : D’autres ont disparu puis reviennent ? A.C. : C’est le cas notamment des magasins de téléphonie qui sont se sont installés il y a quelques années. Ils ont fermé lorsque le boom de la téléphonie est retombé. Ils reviennent en force aujourd’hui.

I MMOBILIER COMMERCIAL Endroits stratégiques S’installer au centre-ville, combien ça coûte ? C ontrairement au mar- ché de l’immobilier clas- sique, qui suit une évo- centre-ville (endroit straté- gique style bas de la Grande rue) se négocie entre 300 000 et tion du loyer demandé. En général, plus le loyer sera haut, plus le droit au bail diminuera.

Granges est en train de mon- ter car de nouvelles enseignes s’y sont installées. La flambée des prix existe réellement sur les surfaces importantes. Un élément apparaît fonda- mental dans la négociation, c’est la vitrine. Une petite surface de 50 m 2 avec vitrine modeste de 3 mètres dans un emplace- ment stratégique (par exemple

liste. Dans d’autres endroits du centre-ville, il n’y aura même pas de droit au bail, juste un loyer pur. Ce peut être par exemple le cas sur les secteurs de Saint-Maurice ou Granvel- le. Quant aux endroits les plus chers de la ville, ils sont dans la partie de laGrande rue située entre le Quick et la Brioche Dorée. La cote de la rue des

à côté des Galeries Lafayette) vaudra entre 150 000 et 200 000 euros. La même surface mais avec une vitrine de 5 ou 6mètres pourra largement doubler son prix ! “Des enseignes qui ont habituellement un concept de 150 m 2 sont capables de revoir leur concept à la baisse, seule- ment grâce à une belle vitrine.” ! J.-F.H.

lution régulière, l’immobilier commercial évolue au gré des cycles économiques. D’une année sur l’autre, les tarifs peuvent fluctuer de plus ou moins 30%. Actuellement, le prix de cession d’une surface de 150 à 200 m 2 au cœur du

Un élément fondamental : la vitrine.

En revanche, les petites surfaces (50 m 2 ) ont dumal à trouver preneur, même bradées. “À

450 000 euros, aux- quels il convient d’ajouter le loyer (au moins 3 000 euros par mois pour ce

genre de surface). Le prix de cession variera aussi en fonc-

70 000 euros, c’est encore diffi- cile à caser” confie ce spécia-

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