La Presse Bisontine 258 - Décembre 2023

20 Le dossier l Interview

La Presse Bisontine n°258 - Décembre 2023

Le préfet du Doubs Jean-François Colombet “C’est à nous, ensemble, de ne pas décevoir les habitants de Planoise”

À l’origine de ce pacte pour l’émancipation des jeunes de Planoise, ferme sur la question du trafic de stupéfiants, le préfet du Doubs a fait de Planoise et plus largement des quartiers sensibles une priorité.

police judiciaire et la B.A.C. ont fait un énorme travail d’élucidation des affaires et d’interpellation d’auteurs. Tous les éléments conjugués portent leurs fruits, avec en complément un gros investis sement des autorités judiciaires sous la responsabilité du procureur de la République. Cette façon de travailler ensemble sur tous les sujets a des résul tats, c’est indéniable. L.P.B. : Tout cela reste cependant fragile ? J.-F.C. : Il faut en effet rester très modeste. C’est un travail de longue haleine, sur la durée, qui ne se boucle pas en quelques mois. D’ici la fin de l’année, sans doute au cours d’une réunion publique qu’on devrait organiser avant Noël, on viendra d’ailleurs rendre des comptes à la population de ce quartier, on expliquera ce qu’a été ce pacte et ce que sera la suite. L.P.B. : En parlant de la suite, vous évoquez sans doute cette fameuse Force d’action répu blicaine (F.A.R.) dont la création à Besançon a été annoncée par la Première ministre fin octobre, Besançon étant avec Valence et Mau beuge, les trois villes où sera expérimenté ce dispositif. Comment cette F.A.R. sera concrè tement déployée ? J.-F.C. : Justement, dans mon esprit, la suite de ce pacte pour l’émancipation des jeunes de Planoise, c’est cette F.A.R. Ce qui me fait dire modestement que nous n’avons sans doute pas été dans le faux en initiant ce pacte et que les partenariats que nous avons renforcés depuis un an avec tous les acteurs seront le socle de cette future F.A.R. Alors à quoi va ressembler cette F.A.R. ? C’est d’abord une gouvernance parti culière car elle sera basée sur le trium virat suivant : préfet, procureur et maire de Besançon. Ce sont ces trois person nalités qui ensemble piloteront cette force d’action républicaine. Ensuite, la F.A.R., c’est un périmètre. Elle s’appli quera sur Planoise bien sûr, mais plus largement sur toute la ville de Besan çon. L.P.B. : Quand se mettra-t-elle en place ? J.-F.C. : On va commencer par donner la parole aux habitants. Un grand son dage sera effectué localement, piloté par la mission nationale que vient de prendre en charge le préfet Gilles Cla vreul, qui aura pour but de mesurer la

L a Presse Bisontine : Peut-on dire de Planoise que c’est un quartier en convalescence? Sentez-vous que les choses vont mieux ? Jean-François Colombet : J’ai en effet le sentiment que Planoise va mieux. Mais au-delà de ce sentiment, je regarde aussi les statistiques qui concernent ce quartier et je constate, au regard notamment des dépôts de plainte, que la délinquance à Planoise est en baisse de 15 % depuis le début de l’année. J’ob serve aussi, au fur et à mesure des ren contres régulières que j’ai avec le collectif qui s’était constitué l’été dernier au moment des violences, que les membres de ce collectif eux-mêmes, tous vivant au quotidien à Planoise, me disent que les choses vont mieux, qu’ils sentent la différence avec avant, que le climat s’apaise. Troisième élément: les évé nements de juin qui ont embrasé de nombreuses villes françaises ont ici duré beaucoup moins longtemps qu’ail

leurs. Enfin les associations elles-mêmes que je rencontre également régulière ment me disent qu’il y a quelque chose qui change. Bien sûr il faut rester très modeste, on n’est jamais à l’abri d’une nouvelle fusillade ou d’un nouveau règlement de comptes, mais j’aurais tendance en effet à dire que ça va mieux. L.P.B. : Le pacte pour l’émancipation des jeunes de Planoise que vous avez initié en début d’année y est-il pour quelque chose selon vous ? J.-F.C. : Plusieurs raisons expliquent ce sentiment. Ce pacte qui a eu le mérite de renforcer le travail partenarial qui existait déjà sur ce quartier y est sans doute pour quelque chose en effet. Il y a aussi la mise en place de cette B.S.T., brigade spécialisée de terrain, qui agit désormais au quotidien sur le quartier, au contact direct de la population. Les services de police au sens large, en par ticulier la sûreté départementale, la

Jean-François Colombet, le préfet du Doubs, mise beaucoup sur cette nouvelle Force d’action républicaine dont bénéficiera Besançon (photo D.R.).

situation avant l’entrée en vigueur de la F.A.R., puis après. Toujours avec Gilles Clavreul, qui est le préfet coor dinateur de ces nouvelles F.A.R. en France, nous allons engager un travail de concertation avec les associations de Planoise et des autres quartiers de Besançon pour mesurer précisément ce qu’il manque en termes de sécurité, d’insertion, de parentalité, et cette éva luation, ces propositions, ce sont les habitants qui les feront. Pour mettre en place cette F.A.R., nous allons donc consulter la population en profondeur, avec un suivi très professionnalisé. L.P.B. : Avec des actions concrètes et nouvelles à la clé ? J.-F.C. : Sur ce dossier, il faut que nous soyons disruptifs, imaginer des actions qui à première vue pourraient sembler inimaginables car ne répondant pas à certaines dispositions réglementaires ou certains décrets. J’ai quelques idées en tête, notamment à destination des publics allophones, pour faire en sorte que les gamins en difficulté puissent fréquenter plus assidûment l’école, ou

L.P.B. : À votre avis, pourquoi Besançon a été choisi pour expérimenter cette nouvelle force ? J.-F.C. : J’ai la faiblesse de croire que c’est à l’avantage de tout ce qui a été engagé ces derniers mois ici, et grâce à l’implication de tous ces acteurs du terrain que l’on essaie de fédérer. Les habitants de Planoise nous disent : “On a de l’espoir !” C’est à nous, ensemble, de ne pas les décevoir. L.P.B. : Au volet sécurité, considérez-vous que la lutte contre le trafic de stupéfiants est un succès ? J.-F.C. : Je me base d’abord sur les chiffres. Nous avions en 2021 à Planoise 28 points de deal différents. Il n’y en a plus que 2, voire 3 aujourd’hui. Est-ce que ça traduit le fait qu’il n’y a plus de trafic de stupéfiants à Planoise? La réponse est non. Mais notre objectif premier était de diminuer le trafic de stupéfiants sur l’espace public car c’est ce trafic-là qui dégrade l’image du quar tier et renforce le sentiment d’insécurité. On a donc combattu ce trafic sur l’espace public avec l’implication forte de la B.S.T., de la P.J., de la B.A.C. et la réponse de l’autorité judiciaire. Il faut maintenant aller plus loin en combat tant ce phénomène d’ubérisation des produits stupéfiants. L.P.B. : Un projet sur ce point ? J.-F.C. : Nous allons créer dans les semaines à venir une brigade de sécurité des transports en commun. La direction départementale de la sécurité publique y travaille activement. C’est aussi par le biais des transports en commun que le phénomène de livraison des stupé fiants s’organise. Nous travaillerons en parallèle la question de l’addiction. Seule une approche globale du phéno mène permettra d’obtenir des résultats probants en matière de lutte contre les stupéfiants. L.P.B. : Éradiquer complètement le phénomène paraît tout de même illusoire ! J.-F.C. : Je suis préfet, je ne suis pas pape ! (rires). Mais j’ai bien conscience que c’est un sujet majeur de notre société actuelle. Une chose est certaine: on continuera à être ferme sur le régalien avec en même temps cette approche globale du trafiquant au consommateur qui est indispensable. n Propos recueillis par J.-F.H.

Ce qu’ils attendent de la F.A.R. Anne Vignot, maire de Besançon

“Nous espérons que cette annonce répondra à nos demandes d’avoir plus de moyens en termes de sécurité, de justice, de lutte contre les addictions et de protection de la population, compétences régaliennes de l’État. La question de la parentalité et de la prévention est, pour nous et les acteurs de terrain, la priorité des priorités du futur contrat de ville. En tant que collectivité, nous avons besoin de moyens plus importants de la part de l’État. Il y a un travail de fond à mener. Nous sommes face à une société qui n’a pas su accompagner une jeunesse discriminée à tout point de vue. Les échanges avec Matignon m’ont fait accepter cette expérimentation. Je me réjouis du développement annoncé d’un plan d’actions interministériel, notamment avec l’Éducation nationale, en lien fort avec les actions que nous menons actuellement sur le territoire, avec toutes les forces vives de Besançon. À Besançon, nous travaillons main dans la main pour l’intérêt de nos concitoyens et toutes les actions qui vont dans ce sens seront toujours accueillies avec enthousiasme. Faire système autour de la jeunesse est gage d’une société lucide, et nous permettra de retrouver les fondamentaux d’une société humaine.” n Laurent Croizier, député de la I ère circonscription du Doubs “En annonçant le déploiement d’une “force d’action républicaine” à Besançon, la Première ministre prend une décision forte. Je salue la détermination du Gouvernement d’intensifier les moyens de l'État pour en finir avec l’insécurité et permettre à la jeunesse de Planoise de se construire un avenir. Les efforts déployés depuis 2018 en matière de sécurité sont déjà importants et portent leurs fruits: augmentation importante des effectifs de police nationale, plus de présence sur le terrain et déman tèlement de nombreux points de deal dans le quartier de Planoise. Ce dispositif F.A.R. va dans le sens des propositions sur la sécurité, l’éducation, la citoyenneté et l’insertion professionnelle que je défends auprès des ministères à Paris. Elle s’inscrit dans l’intensification du pacte pour l’émancipation des jeunes à Planoise à l’initiative du préfet du Doubs. Les efforts et la forte mobilisation de l’État donnent de l’espoir aux habitants de Planoise. Ensemble, nous allons réussir à changer dura blement le visage du quartier et la vie des habitants de ce quartier.” n

que leurs parents aient un meilleur dialogue, ou déjà un dialogue avec les enseignants. J’ai d’autres idées sur les questions de toxico manies, peut-être des nouvelles réponses à apporter à desti nation des consom mateurs. Je suis per suadé que cette F.A.R. va nous ouvrir d’autres horizons.

“Les habitants de Planoise nous disent : “On a de l’espoir !”

Le fameux pacte pour l’émancipa tion des jeunes de Planoise avait été signé le 31 janvier dernier. Un bilan en sera fait avant la fin de l’année (photo archive L.P.B.).

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