La Presse Bisontine 241 - Juillet 2022

4 L’interview du mois

La Presse Bisontine n°241 - Juillet 2022

SANTÉ

La cancérologie en danger à Besançon ?

“La situation de la cancérologie à Besançon s’est clairement dégradée depuis 10 ans” Le Docteur Alexis Lepinoy est un des neuf praticiens à la tête de l’Institut de Cancérologie de Bourgogne qui souhaite

France. À titre d’illustration, le nombre d’accélérateurs des régions voisines se présente ainsi, dans le cadre d’une com plémentarité entre l’offre publique et privée : 17 en Lorraine, 14 enAlsace, 11 en Champagne-Ardenne, 16 en Bour gogne et seulement 7 à ce jour en Franche-Comté. L.P.B. : Vous dirigez une structure privée. Com prenez-vous les réticences de l’hôpital public par rapport à votre projet ? A.L. : La Franche-Comté est également sans doute la seule région de France où l’offre de soins en matière de radiothé rapie n’est proposée qu’à l’hôpital public. Il faut savoir qu’aujourd’hui 51 % de la radiothérapie en France est faite en libé ral. L.P.B. : La situation de la cancérologie à Besançon et en Franche-Comté n’est donc pas à la hau teur ? A.L. : Elle s’est clairement dégradée depuis 10 ans. Le C.H.U. de Besançon a déploré 30 départs de médecins dans ce laps de temps. Il faut savoir que les médecins comme moi à la tête de l’I.C.B. sont qua siment tous des anciens Francs-comtois. Personnellement j’ai travaillé dix ans à Besançon.

s’implanter à Besançon. En creux, c’est le retard de la Franche Comté qui est pointé du doigt en matière de radiothérapie.

L a Presse Bisontine Vous réclamez la créa tion à Besançon d’un nouveau centre de traitement du cancer. Qu’est-ce qui motive cette demande ? Docteur Alexis Lepinoy : Tout simplement parce que la situation franc-comtoise en matière de radiothérapie fait un peu exception en France. Un rapport de l’I.N.C.A., l’institut national du cancer, a interpellé les autorités il y a dix ans déjà sur le fait que la dotation de la Franche-Comté pour le traitement du cancer par radiothérapie est bien infé rieure aux autres régions françaises. Ce rapport datant de 2010 mettait en exergue la forte sous-dotation de la Franche-Comté avec une densité d’ac célérateurs de particules de 0,50 pour 100 000 habitants, pour une moyenne nationale de 0,64, plaçant la Franche Comté entre la Martinique et la Gua deloupe.

A.L. : Oui, mais les données actualisées à date confortent malheureusement ce constat. Calculée grâce à la Base 2021 de l’Observatoire national de la radio thérapie et les données estimées de l’I.N.S.E.E. de la population au 1 er janvier 2022, la moyenne nationale de la densité d’accélérateurs pour 100 000 habitants

Le Docteur Alexis Lepinoy est un des neuf praticiens responsables de l’Institut de cancérologie de Bourgogne (I.C.B.).

s’élève à 0,76 au 1er jan vier 2022 en France. Pour la Franche-Comté, elle atteint 0,60, plaçant le territoire juste après La Réunion (0,46), la Guadeloupe (0,54) et la Corse (0,57).Malgré une augmentation de la den sité en Franche-Comté, la moyenne nationale ayant elle-même pro gressé de 19 %, ce ter ritoire reste positionné au sein des régions les moins bien dotées de

“Il y a clairement un déficit d’at tractivité du C.H.U.”

bisontins. Des médecins libéraux de Franche-Comté avaient pourtant tiré la sonnette d’alarme car ils ne parve naient plus à adresser leurs patients au C.H.U. de Besançon. Certains du Haut-Doubs étaient donc dirigés en Suisse, d’autres sur le Nord Franche Comté, d’autres encore dans le Sud Jura ou dans l’Ain, voire à Lyon. L.P.B. : Cette fuite de patients est toujours d’ac tualité ? Combien de patients francs-comtois prenez-vous en charge à Dijon ? A.L. : Près de 500 malades sont actuel

L.P.B. : Et pourquoi en êtes-vous partis ? A.L. : Il y a clairement un déficit d’attrac tivité du C.H.U. à cause des conditions de travail. Il n’y a pas les moyens d’y tra vailler correctement. Ce service de radio thérapie est passé sous une ligne rouge, avec plus que deux médecins en place. L.P.B. : Comment sont alors pris en charge les patients francs-comtois ? A.L. : C’est justement toute la question qu’on s’est posée depuis Dijon quand on a vu arriver dans notre service de radio thérapie de plus en plus de patients

L.P.B. : Mais ce rapport a douze ans…

La réponse du C.H.U. “Je ne vois pas trop l’utilité de la demande des praticiens bourguignons”

appareils francs-comtois fonc tionnent à 80 % de leur capacité seulement. Au sujet de l’intérêt d’une col laboration public-privé, le chef de la cancéro note qu’elle existe déjà depuis longtemps au sein de l’I.R.F.C. “Je ne vois donc pas trop l’utilité de la demande des praticiens bourguignons qui ne fait que semer la confusion aux yeux des patients de Franche Comté…” ajoute le médecin. Enfin sur les techniques de pointe comme le traitement par stéréotaxie, le Professeur Deco ninck affirme qu’elle va être “disponible dans nos locaux à partir de cet été. On pourra trai ter plus de patients, avec moins de séances.Alors à quoi bon vou loir augmenter le nombre de machines ?” interroge-t-il pour conclure. n

C e n’est rien de dire qu’au C.H.U. de Besançon, on a peu goûté la démarche des porteurs de projets dijonnais, presque tous d’anciens praticiens bisontins. Le profes seur Éric Deconinck, chef du pôle cancérologie du C.H.U.Min joz réfute les allégations des praticiens de l’I.C.B. au sujet de la soi-disante désorganisation de la radiothérapie à Besançon : “Des difficultés, il y en avait c’est vrai il y a quelques années. Mais tout cela est du passsé” affirme

le praticien bisontin qui annoce d’ailleurs qu’un rapport sera publié prochainement et trans mis à l’A.R.S., “pour évaluer l’ef ficacité de la prise en charge des cancers à Besançon. Une chose est sûre, c’est que nous n’avons pas à rougir des résultats de ce rapport” affirme le P r Deconinck. Avec 7 machines (3 à l’hôpital médian de Belfort-Montbéliard et 4 rattachées au C.H.U. de Besançon), le professeur bison tin estime que “chaque patient franc-comtois a accès aux soins

dans un rayon de moins de 50 km de son domicile. Les patients frontaliers ont aussi accès à une clinique partenaire en Suisse, ceux du Sud Jura peuvent aisément aller à Bourg en-Bresse et ceux de Dole peuvent déjà aller à Dijon.” Il ne nie pas le fait que certains médecins libéraux francs-comtois dirigent spontanément leurs patients vers Dijon, “mais nous sommes tout à fait en mesure d’accueillir tout le monde” réaffirme M. Deconinck en précisant que les

Le professeur Éric Deconinck,

chef du service

cancérologie du C.H.U. de Besançon.

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