La Presse Bisontine 232 - Octobre 2021
4 L’interview du mois
La Presse Bisontine n°232 - Octobre 2021
CLIMAT
Le chercheur bisontin Emmanuel Garnier
“Un refroidissement de 3 °C d’ici 10 ans en Atlantique Nord est possible” Le Bisontin Emmanuel Garnier coordonne avec les prestigieuses universités américaines du Massachusetts (M.I.T.) et Harvard une étude d’envergure qui doit nous préparer aux événements climatiques à venir. Surprise : et si nos sociétés de l’Atlantique Nord n’étaient pas prêtes à lutter contre le… froid ? Ce projet franco-américain s’appuie sur la recherche historique et la recherche prédictive.
L a Presse Bisontine : Pourquoi les prestigieuses écoles du M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology) et Harvard ont-elles décidé de vous accorder un financement pour sou- tenir votre projet intitulé “Paris face aux crises climatiques du Petit âge glaciaire, du XVème au XIXème siècle” ? Emmanuel Garnier (directeur de recherche au C.N.R.S., laboratoire Chrono-Environnement à Besançon) : Ce qui a séduit les collègues du M.I.T. et d’Har- vard, c’est le projet interdisciplinaire que je mène. Il mêle historiens et climatologues. Nous avions déjà engagé des collaborations, en 2014, mais pas de cette ampleur car des étudiants et chercheurs américains viendront étudier à Paris et Besançon dans les prochains mois. Les Américains sont opportunistes, dans le bon sens du terme. Ils n’hésitent pas à prendre des risques et savent qu’ils ont atteint des limites statistiques à un moment où les nouveaux modèles climatiques tendent pour la moitié vers du chaud, la moitié vers
du froid. Apprendre du passé pour mieux anticiper l’avenir, c’est là le potentiel immense de ce projet mi-bisontin mi-bostonien, financé à hauteur de 30 000 euros par l’université américaine. L.P.B. : Pourquoi s’intéresser au froid alors que le réchauffement climatique inquiète nos sociétés ? E.G. : Effectivement, cela peut paraître incon- gru mais il convient de rappeler que les cli-
Bio express l Agrégé et docteur en histoire, Emmanuel Garnier (54 ans) a fait ses études à l’université de Franche- Comté. l l est directeur de recherche de 1ère classe au C.N.R.S. (U.M.R. Chrono- Environnement, Université de Besançon) et membre honoraire senior de l’Institut Universitaire de France. l Ses recherches sont consacrées à l’histoire du climat et des risques. l Ses travaux lui ont valu plusieurs récompenses décernées par l’Institut de France, l’Académie de Marine et la Fédération Française des Sociétés d’Assurances. l Son expertise l’amène à enseigner et à mener des recherches comme professeur invité aux universités de Kyoto, Cambridge, Canton, Genève, Harvard et au M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology, États-Unis).
matologues travaillent sur tous les changements climatiques possibles. Les récents travaux du M.I.T. et de l’Institut de recherche de Potsdam (Allemagne), avec les cli- matologues de Bordeaux, indiquent que l’Atlan- tique Nord pourrait vivre un refroidissement cli- matique dans les dix
exprimaient leur colère contre les créatures pécheresses : ils organisaient alors généra- lement des défilés pour exprimer leur obéis- sance à Dieu. On peut retrouver depuis le VIII ème siècle des traces de processions reli- gieuses dont les sources mentionnent les raisons. 50 % de ces processions entre le X ème siècle et avant la Révolution française concer- nent la météorologie. Si aujourd’hui nos sociétés affrontent une pression climatique, les sociétés anciennes étaient tout autant soumises. Dès le XIV ème siècle, on dispose des journaux des bourgeois de Paris. Cela peut nous faire sourire, mais grâce aux mar- chés parisiens, on peut reconstruire des don- nées de température avec les dates d’arrivée du blé, ce que l’on appelle la phénologie. On doit apprendre de notre passé pour appré- hender l’avenir. L.P.B. : Rappelez-nous quelques éléments climatiques marquants qui ont touché cette période. E.G. : Le petit âge glaciaire n’a pas été affecté uniquement par du froid mais par des séche- resses d’ampleur comme celle de 1694 où des épisodes très secs et chauds s’intercalent après des séquences très froides. L’été 1696 est extrêmement chaud, ce qui entraîne une procession à laquelle le roi se colle. Cette vague touche toute l’Europe. En 1788, un an avant la Révolution, une vague orageuse détruit les greniers à blé de la monarchie, ce qui va provoquer une hausse des prix du pain… ce qui a, sans doute, contribué au soulèvement. L.P.B. : Comment les populations se sont-elles défendues face aux risques climatiques alors que la météorologie n’existait pas ? E.G. : À Besançon, durant le Moyen-Âge, des marques taillées dans la pierre (N.D.L.R. : disparues depuis) indiquaient les plus hautes inondations connues. Les anciens savaient qu’il ne fallait pas construire dans ces lieux. Quant aux sécheresses à Paris, on savait évaluer la sévérité du phénomène si l’eau
années à venir de l’ordre de 2 à 3 °C. Cela va totalement à l’encontre de ce qui est mis en avant aujourd’hui mais ce n’est pas du tout contradictoire si l’on admet que le chan- gement climatique conduit à une transfor- mation globale de ce que les climatologues appellent “la machine climatique”. La fonte des glaces va perturber le Gulf Stream qui lui-même va perturber cette machine clima- tique. À certains endroits, nous aurons des tendances soutenues et élevées de tempé- ratures avec des multiplications des vagues de chaleur et dans d’autres des refroidisse- ments. On pourrait ainsi connaître enAtlan- tique Nord et dans la région du Labrador un net refroidissement d’ici 10 ans. C’est très rapide ! L.P.B. : Pourquoi faire appel à un historien ? E.G. : Parce que nous sommes les seuls à avoir accès aux données sur les périodes froides que la terre a pu connaître sachant que nous ne disposons pas de données expérimentales pour cette période, c’est-à-dire des relevés de température, de hauteur d’eau… Notre objectif est de collecter assez de données qui seront évaluées et analysées avec les étu- diants américains, en Master. Ainsi, nous pourrons créer une base. Au laboratoire Chrono, avec Sylvie Damy, nous possédons un savoir-faire dans la conversion des données que nous transformons en chiffres. L.P.B. : Cela ne nous explique pas pourquoi les Amé- ricains s’intéressent au climat à Paris durant l’époque moderne. E.G. : Je le répète, c’est opportuniste d’un point de vue scientifique de la part des Amé- ricains car Paris peut fournir des séries chro- nologiques sans lacunes dans les périodes. L.P.B. : Quelles sont vos sources ? E.G. : Entre le XVI ème et XVIII ème siècle, face aux catastrophes climatiques telles que les inondations et les sécheresses, la société européenne croyait que les dieux du ciel
“50 % des modèles annoncent ce refroidissement.”
Le MIT, à Boston, figure au quatrième rang des meilleures universités au monde.
Made with FlippingBook - professional solution for displaying marketing and sales documents online