La Presse Bisontine 206 - Février 2019
LE GRAND BESANÇON
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La Presse Bisontine n°206 - Février 2019
PLATEAU DE SAÔNE Le harcèlement, phénomène de société Harcelée à 10 ans par les gamins de sa classe
Camille est devenue la cible des enfants de sa classe de CM2. Après les insultes, elle a subi les coups. Ce harcèlement va durer plusieurs semaines, jusqu’à ce que ses parents parviennent à le faire cesser.
Camille ne s’est refermée pas sur elle-même. Elle a tou- jours raconté à ses parents ce qu’elle subissait (photo d’illustration D.R.).
T out est allé très vite. Dès la pre- mière semaine de la rentrée sco- laire, la petite Camille est deve- nue la cible de gamins de sa classe de CM2 dans une école du Grand Besançon. “D’abord, il y a eu les raille- ries : “T’es nulle”, “t’es moche”, “t’es pas intelligente”, voilà ce qu’ils me disaient” raconte l’élève de 10 ans. À chaque récré, elle avait droit à son lot demoque- ries sur son attitude, sur ses tenues vestimentaires. “Cela a duré deux semaines. Après, il y a eu des coups…” dit-elle. La violence est montée d’un cran. Après les brimades à répétition dans la cour de l’école, les attaques sont devenues physiques jusque dans la classe. “J’avais droit à des coups de pied, à des coups de règle.” Camille a tenté de se défendre en demandant à son voisin de classe d’arrêter alors qu’il venait de lui flanquer un coup de règle. “Il s’est plaint à la maîtresse et ça m’est retombé dessus. En plus, je me suis fait traiter de rapporteuse.” La situation n’a fait que se dégrader durant le premier mois de l’année sco- laire, jusqu’à devenir insupportable. Les petits caïds étaient parvenus à liguer presque toute la classe contre la jeune fille qui redoutait maintenant que ses quelques copains ne finissent par lui tourner le dos.
Face à ce déferlement, Camille a com- mencé à douter d’elle-même. “Je vou- lais m'effacer, devenir transparente.” Un comportement inhabituel, qui a rapidement interpellé son entourage familial. “On a remarqué tout de sui- te que quelque chose n’allait pas. Elle mettait du temps à s’habiller le matin, à trouver ses vêtements. Elle avait la boule au ventre en partant à l’école, ce qui n’était pas dans ses habitudes, elle qui est plutôt d’un tempérament joyeux” raconte sa maman qui a rapidement compris que ce que subissait sa fille allait au-delà des simples gamineries. “Notre chance est que Camille ne s’est jamais tue. Elle nous a toujours tout raconté.” Il ne faisait aucun doute à ses yeux que Camille était victime de
La détermination des parents a per- mis d’ouvrir un espace de dialogue. Les gamins harceleurs ont reconnu leur attitude à l’égard de leur cama- rade sans être pour autant capables de l’expliquer. Camille a retrouvé sa place dans sa classe. “Elle s’est endur- cie” souligne sa mère. L’histoire a lais- sé des doutes chez la jeune fille qui se demande pourquoi elle n’a pas obte- nu le soutien de sa maîtresse alors qu’elle était en souffrance. Elle en dis- cutera avec la psychologue scolaire qu’elle consulte pour quelques séances encore. n T.C.
re de situation, chaque jour qui passe est un jour de trop. Sa tristesse a reten- ti sur toute la famille.” Prenant la mesure du problème, les parents de Camille n’ont pas tardé à contacter l’école pour obtenir un ren- dez-vous, pensant qu’ils seraient reçus rapidement. En vain. “Nous étions prêts à informer le rectorat.” Finalement, les parents de Camille finiront par obte- nir un rendez-vous à l’école au milieu du mois d’octobre. L’échange va les sidérer : “On nous a dit que Camille n’avait pas confiance en elle, et qu’el- le pouvait se défendre lorsqu’elle était agressée. Ce que vivait notre fille a été
minimisé par l’école qui jamais ne nous a prévenus pour nous faire part des difficultés qu’elle rencontrait. ” Fina- lement, il fallait que la jeune élève laisse glisser sur elle les insultes, com- me l’eau sur les plumes d’un canard. Camille et ses parents finiront par obtenir un rendez-vous auprès du psy- chologue scolaire. “À nos yeux, l’école n’a pas pris la mesure du problème. Ce qui est terrible, c’est que vous vous heur- tez à un mur. Il faut batailler pour ouvrir une brèche afin d’être écouté et que l’on prenne en considération le har- cèlement. L’école a mis trop de temps à réagir” estime le père de Camille.
harcèlement. “C’est très difficile en tant que parent de déposer son enfant à l’école le matin en imaginant les trai- tements qu’il va subir. Elle était désignée com- me un monstre. Un jour elle m’a dit : “je ne veux plus aller à l’école.” En tant que mère, il est impossible de laisser sa fille dans cet état. Dans ce gen-
“L’école n’a pas pris la mesure du problème.”
150 signalements de harcèlement par an sur l’académie En moyenne, 150 actes de harcèlement sont traités chaque année à l’échelle des établissements scolaires de l’académie de Besan- çon. Le phénomène est fluctuant. Le rectorat en a dénombré 160 durant l’année scolaire 2016-2017 contre 118 en 2015-2016. “Et nous avons eu 133 signalements sur l’année 2017-2018, à l’éco- le, en collège et lycée, tous types de harcèlement confondus phy- sique, moral, verbal, cyber” précise le rectorat. En milieu scolaire, le harcèlement revêt trois caractéristiques essentielles : - le caractère nuisible : le harcèlement prend la forme de vio- lences physiques, verbales et/ou relationnelles qui déstabilisent un ou plusieurs élèves. Ces violences peuvent également s’exer- cer via les outils numériques. - La répétition : cela implique une notion de durée et de répéti- tion. Il ne s’agit pas d’une altercation ponctuelle mais d’une rela- tion qui s’installe dans le temps. - La dissymétrie réelle ou perçue : les relations qui se mettent en place sont caractérisées par un rapport de force qui s’installe ou perçu comme tel, notamment par l’élève ciblé. n
PRÉVENTION Compagnie Les Trois sœurs De la pédagogie par le théâtre Depuis plusieurs années, la compagnie de théâtre bisontine Les Trois sœurs tourne dans les établissements scolaires de la région, lycées et collèges, avec une pièce de théâtre consacrée au thème du harcèlement.
U ne heure de spectacle, puis un débat derriè- re où les langues se délient peu à peu. C’est par le théâtre que la
compagnie bisontine Les Trois sœurs a choisi d’aborder ce thè- me sensible du harcèlement. Plusieurs établissements du Grand Besançon ont déjà reçu
la visite de la compagnie, dont le collège de Saône. Le choix de la compagnie s’est porté sur un texte découvert récemment par la metteure en
scène, Marilyn Pape, à sa sor- tie en France : “Sales gosses” de Mihaela Michailov. À travers une histoire vraie, la pièce qui met en scène une enseignante et son élève interroge la ques- tion de la solidarité et du vivre ensemble, dans le respect de toutes les différences. L’histoi- re se passe dans une école en Roumanie. Le personnage prin- cipal est une fille de onze ans. Rêveuse et solitaire. Elle est dif- férente des autres. Elle crée des animaux avec des élastiques. Tout cela semble insupportable pour l’enseignante et ses cama- rades de classe. Elle doit ren- trer dans le moule et corres- pondre aux autres ou du moins à ce qu’on attend d’elle à l’éco- le. Alors la professeure la punit. À la suite de cette punition, indi- quant le mécontentement abu- sif de l’enseignante, les élèves vont à leur tour réagir. C’est un copier-coller du comportement de l’enseignante, mais cette fois- ci sous la forme de violence phy- sique, qui va s’abattre sur la jeune fille au cours d’une récréa- tion… À travers ce spectacle qui touche directement au cœur des élèves, la parole se libère. “En discu-
ce spectacle auprès des collèges a démarré la saison dernière. Elle se poursuivra cette année, notamment avec un cycle pré- vu en mars. “Nous ferons éga- lement une tournée en Franche- Comté et en Bourgogne.” La pièce est toujours jouée devant les élèves, mais parfois aussi devant les parents. Ce qui rend l’action encore plus perti- nente. “Les parents question- nent beaucoup. C’est encore plus riche quand les parents assis- tent à la représentation car ils entendent la parole des jeunes. Au fur et à mesure, les élèves se libèrent. Dans une même soirée, six élèves ont raconté avoir vécu une situation de harcèlement.” n J.-F.H.
tant après le spectacle, les élèves définissent peu à peu ce qu’est vraiment le harcèlement et la conduite à tenir quand on est spectateur. On leur fait aussi prendre
conscience qu’en tant qu’élève, donc citoyen, on a des droits mais aussi des devoirs. Un des devoirs étant d’aider ses camarades en classe et témoi- gner quand on est spectateur” observe Mary- lin Pape. La diffusion de
“Les parents questionnent beaucoup.”
Le spectacle “Sales gosses” de la compagnie Les Trois sœurs tourne dans les établissements de Bourgogne-Franche-Comté.
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