La Presse Bisontine 205 - Janvier 2019

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n°205 - Janvier 2019

4

JUSTICE

L’avocat Randall Schwerdorffer

“À unmoment, j’ai eu peur de tout perdre” Sous les projecteurs de l’affaire Alexia Daval, l’avocat au barreau de Besançon Randall Schwerdorffer revient sur cet emballement médiatique hors norme. Il se verrait bien enfiler un costume politique pour LaRem. Mais avant, il va défendre l’anesthésiste bisontin qu’il dit innocent.

de Besançon ont cautionné un dos- sier fou. Ils jouent très lourd pro- fessionnellement et en perdent leur objectivité. Nous avons des relations tendues avec le parquet, les magistrats. Mais on ne pliera pas. L.P.B. : Comment va-t-il ? R.S. : Mal ! Il est brisé. Et il n’y a pas que lui, sa famille est très tou- chée également. L.P.B. : Vous aimez les combats. C’est pour cela que vous vous lancez en poli- tique ? R.S. : J’adore la politique mais je ne m’y lance pas. Je suis adhérent En Marche au comité d’Ornans, car j’aime la proximité, la Franche- Comté, Besançon… Je suis heu- reux d’être unFranc-Comtois adop- té. On m’a proposé d’ouvrir un cabinet à Paris, j’ai refusé. J’ai des idées, des convictions. La politique doit être au service du citoyen et je suis sensible au combat des gilets jaunes. Je vois des gens qui ont du mal. La politique est là pour amé- liorer la vie des gens et nos poli- tiques ont perdu la notion de la chose publique. L.P.B. : C’est pour cela que vous vous présenterez aux Européennes ? R.S. : Ce qui m’intéresse en effet, c’est l’Europe. Je souhaite m’en- gager, mais c’est un peu tôt pour se déclarer. Cette élection m’inté- resse, mais la décision ne m’ap- partient pas. L.P.B. : Il faudra pourtant aller vite. Quels contacts avez-vous ? R.S. : Il y a des gens avec qui je par- le comme Jean-Louis Fousseret ou Alexandra Cordier, la référente départementale d’EnMarche. J’ac- corde tout mon soutien à Jean- Louis Fousseret car c’est quelqu’un de très impliqué dans la vie des Bisontins, un homme sincère. Son avis compte beaucoup pour moi. L.P.B. : Vous ne discutez pas avec Éric Alauzet, candidat déclaré aux munici- pales à Besançon ? R.S. : Je n’ai pas de contacts avec lui. Je pense que c’est un bon dépu- témais je ne le vois pas autrement qu’en bon député. L.P.B. : Si c’était Alexandre Cordier la candidate aux municipales, vous la sou- tiendriez ? R.S. : Ce ne serait pas inintéres- sant que Besançon ait une femme à lamairie. Pourquoi pas une fem- me jeune, ancrée sur le territoire. Si cette femme voulait se présen- ter, je la soutiendrai. L.P.B. : Quid d’Emmanuel Macron. Vous a-t-il déçu ? R.S. : On fait tous des erreurs, des erreurs de communication et je sais de quoi je parle. On les paye. Il a pu donner l’image d’un hom- me qui méprisait les Français et je ne pense pas que ce soit la réa- lité. On lui reproche l’état de la France : mais ce n’est pas la fau- te d’Emmanuel Macron. Je lui maintiens mon soutien. J’ai déjeu- né avec lui quand il n’était pas encore candidat : il m’a laissé l’im- pression de quelqu’un de très brillant avec une vraie énergie. n Propos recueillis par E.Ch.

L a Presse Bisontine : Jonathann Daval est revenu sur ses déclarations et avoue avoir tué sa femme Alexia, sans le vouloir. Tout semble plus clair. Selon vous, existe-t-il encore des zones d’ombre ? Randall Schwerdorffer : La plus grosse zone d’ombre n’existe plus ! Nous avons compris, il y a deux mois sui- te à des éléments revenus au dos- sier, que la position de Jonathann Daval n’était plus tenable. Sa der- nière audition fut compliquée mais il s’accrochait à sa version car au mois de juin elle était - encore – cré- dible. Elle s’est effritée avec le tra- vail de contre-enquête réalisé depuis. L.P.B. : Lui avez-vous demandé d’avouer ? R.S. : Lors de sa dernière audition, nous lui avons expliqué que ce serait la meilleure solution pour lui. Ce sont nous (N.D.L.R. : il travaille sur ce dossier avec Ornella Spatafora son associée) qui avons demandé des rencontres individuelles car nous n’avions aucun intérêt à le mainte- nir dans une position sans issue pour lui. L.P.B. : Que s’est-il dit lors de cette confron- tation dans le bureau du juge au tribunal de Besançon où étaient présents la famil- le Daval, Jonathann, et les avocats le 7 décembre dernier ? R.S. : Ce qu’on a vu lors de cette confrontation, c’est l’intelligence de Maître Florand et l’humanité excep- tionnelle d’Isabelle Fouillot, lamère d’Alexia qui l’a complètement pris à contre-pied. Elle est venue sur les sentiments. La maman d’Alexia a rappelé à Jonathann qu’il avait fait partie de la famille, elle lui a mon- tré la photo du chat par exemple. Les deux premières confrontations furent stériles car elles étaient sur un ton très agressif notamment avec Grégory Gay (le beau-frère). On ne peut pas être agressif avec Jona- thann, sinon il se renferme sur lui- même ! L.P.B. : Émotionnellement, ce fut unmoment fort de votre carrière de pénaliste. Une pre- mière ? R.S. : C’était fort ! Mais j’ai vécu par le passé une partie civile qui s’est levée pour serrer la main de l’accu- sé principal qui avait tué son père. L’aveu de JonathannDaval va peser très lourd dans son procès. L.P.B. : Avez-vous des mots pour la famil- le d’Alexia ? R.S. : Oui, pour la maman. J’ai trou- vé qu’elle avait fait preuve d’une humanité exceptionnelle, d’une émo- tion sincère, d’une intelligence dans sa démarche alors qu’elle est prise dans un drame absolu. L.P.B. : Comment expliquez-vous l’embal- lement médiatique ? R.S. : Nous n’avons absolument pas compris l’emballement du départ. J’en suis à ma centième affaire cri- minelle et des affaires comme celles- ci, j’en ai plaidé de nombreuses dont on ne parle quasiment jamais. On est, et c’est dur à dire, sur une affai- re criminelle “ordinaire” qui a pris

des proportions surréalistes.J’étais encore étonné qu’elle intéresse autant les médias nationaux. Il y a des personnalités qui animent ce dossier, toutes très particulières, des acteurs, avec leursmensonges, puis leur mystère.Tout cela a créé un feuilleton judiciaire qui pas- sionne au-delà de la réalité. L.P.B. : Vos confrères ont critiqué vos déclarations. Quelle leçon tirez-vous de votre gestion médiatique de cette affai- re Daval ? R.S. : La leçon, c’est qu’il faut évi- ter de parler dans l’émotion. Chaque mot est disséqué et pas forcément bien compris ou inter- prété. Les phrases sincères peu- vent être lapidaires par la suite. Au temps de l’émotion, il faut être prudent sur les déclarations que l’on peut faire. Je ne me trouve pas d’excuses mais lorsque vous recevez 200 appels jour au cabi- net, qu’il faut gérer toutes les affaires courantes, vous pouvez à unmoment vous faire surprendre. Le jour où Jonathann passe aux aveux, j’ai plaidé trois autres dos- siers dans lamême journée. L’om- niprésence des caméras fait que chaquemot est enregistré, chaque image, comme celle quand je suis pris en train de fumer dans un bar… Je ne fais pas attention et là les gens disent : “Mais il se prend pour qui lui ?” L.P.B. : Il y a un an jour pour jour, vous étiez traîné dans la boue par vos col- lègues parisiens aumotif que vous n’aviez pas respecté le Code pénal. Comment l’avez-vous vécu ? Que leur répondez- vous aujourd’hui ? R.S. : Je ne réponds rien. J’ai ren- contré beaucoupde collègues depuis et avec qui nos relations sont deve- nues cordiales. À l’époque, ceux que l’on n’entendait pas m’ont apporté leur soutien à l’instar de Maître Bilger,Clarisse Serre,Fran- cis Vuillemin (ancien avocat de Maurice Papon), le bâtonnier Pier- re-Olivier Sur notamment. L.P.B. : Y a-t-il de la jalousie de la part de vos confrères bisontins ? R.S. : Avec mes confrères bisontins, c’est compliqué.Mais aujourd’hui, j’ai de très bonnes relations avec le bâtonnier de Besançon alors que c’était très tendu il y a enco- re quelques mois. Il a compris que ce dossier était complexe. L.P.B. : Vous confirmez avoir mal géré la pression ? R.S. : On a géré comme on a pu. Je n’ai pas compris que l’on soit sur B.F.M. T.V. en boucle. C’était du délire. L.P.B. : Quelles conséquences pour les affaires du cabinet ? R.S. : J’ai eu peur sur le coup car j’étais très critiqué ! À unmoment, j’ai eu peur de tout perdre. J’ai obtenu 15 acquittements depuis le début de ma carrière, ce qui est reconnu régionalement, mais on

Maître Randall Schwerdorffer dans son cabinet à Besançon.

se rend compte qu’une seule phra- se peut tout détruire. Les gens vous ostracisent alors que je fais ce métier depuis 19 ans et on ne m’a rien donné pour en arriver là ! L.P.B. : Qu’est-ce qui vous a le plus désta- bilisé ? R.S. : Je n’ai jamais vu sur une affai- re autant d’éléments sortir même ces dernières semaines. Ce n’est pas une chose à laquelle nous sommes habitués régionalement. L.P.B. Vous êtes connu pour avoir sou- tenu des causes indéfendables, les petits voyous également. Cela reste votremarque de fabrique ? R.S. : Tous les dossiers sont impor- tants et je ne les nivelle pas. J’ai de la chance d’avoir des associés brillants.ÀBesançon,nous sommes 16 dans notre cabinet. Et nous allons ouvrir un autre cabinet à Vesoul en février. L.P.B. : Éric Dupond-Moretti a plaidé en cour d’assises à Lons-Le-Saunier en novembre pour l’affaire du brocanteur de Thise séquestré et tué. Que pensez- vous de cet avocat surnommé “Acquit- tator” ? R.S. : Il y a lui… et les autres avo- cats. Ce n’est pas un modèle pour moi,c’est Jacques Isornimonmodè- le, l’avocat de Pétain. Dupond- Moretti est quelqu’un de brillant. Je ne vais pas le critiquer même si lui m’a critiqué, mais cela le regarde. L.P.B. : Que doit-on attendre dans la sui- te de l’affaire Daval ? R.S. : Une audition, un transport sur les lieux, une expertise psy- chiatrique, un procès à l’automne 2019. L.P.B. : Si vous aviez installé votre cabi- net à Paris, la caisse de résonance aurait été autre ? R.S. : C’est vrai que nous avons été traités comme des bouseux

mais aujourd’hui c’est fini. C’est scandaleux. Ce parisianisme est péniblemais je n’ai pas peur des avo- cats parisiens. Ce qui m’a agacé, c’est d’être traité com- me si j’étais un avocat commis d’office. L.P.B. : Vos honoraires ont-ils augmenté depuis tout cela ?

Bio express

l Randall Schwerdorffer a 50 ans, il est né à Orange. Étudiant, il paie ses études en travaillant dans l’hôtellerie, le tourisme, et en faisant des défilés de mode à Besançon. l l Le 7 janvier 2001, Randall Schwerdorffer prête serment. l En juillet 2002, à 33 ans, il ouvre son cabinet à Besançon puis des antennes à Dole, Pontarlier, bientôt Vesoul. l Son cabinet pénaliste est le plus important de Bourgogne-Franche- Comté avec à son actif une centaine de dossiers criminels plaidés et 15 acquittements obtenus. Après le MoDem, il s’investit aujourd’hui à LaRem sur le plan politique. l

“On nous a traités comme des bouseux.”

R.S. : Ils étaient déjà suffisamment élevés. L’affaire Daval n’a rien changé. L.P.B. : Beaucoup de travail en perspec- tive pour votre cabinet, d’autant que vous êtes chargé de défendre également le Docteur Péchier, soupçonné d’empoi- sonnements de patients à Besançon. Qu’en est-il ? R.S. : C’est le dossier le plus lourd que nous avons à traiter pour le cabinet. Je suis convaincu de l’in- nocence de ce professionnel de talent dont Besançon est privé ! La justice fait ce qu’elle veut sur cette affaire et rien ne se sait contrairement à l’affaire Daval. Je l’ai dit : l’accusation est à char- ge, de façon orientée selon moi. Nous sommes au cœur d’une erreur judiciaire. Autant dans le dossier Daval, on ne m’a jamais entendu crier “Daval est innocent”, autant dans le dossier Péchier je n’ai pas l’ombre d’un doute sur son inno- cence. C’est très dur d’accompa- gner une personne que l’on sait innocente dans la violence judi- ciaire destructrice. La personne perd tout. Ce type de dossier, c’est l’essence même de notre métier. L.P.B. : Pourquoi le dossier du Dr Péchier est-il verrouillé ? R.S. : Il est dangereux. Les enquê- teurs, les magistrats, le parquet

Made with FlippingBook flipbook maker