La Presse Bisontine 203 - Novembre 2018

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Bisontine n°203 - Novembre 2018

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UNIVERSITÉS

La recherche en Bourgogne-Franche-Comté face à un défi

“Nous sommes maintenant sur le bon chemin”

Nicolas Chaillet a enclenché depuis 2016 la promotion de la recherche universitaire pour attirer des étudiants et des chercheurs du monde entier en Bourgogne-Franche-Comté. Est-il freiné dans sa tâche par des rancœurs politiques et universitaires nées de la fusion ?

L a Presse Bisontine : Vous êtes depuis avril 2016 le président de la Communauté d’universités et d’établissements (C.O.M.U.E.) née du regroupement de l’Université de Bour- gogne et de l’Université de Franche-Com- té. Quels sont ses objectifs ? N’étions- nous pas mieux avant, chacun de son côté ? Nicolas Chaillet : Le regroupement des Universités et établissements de Bourgogne et de Franche-Comté permet d’être plus forts ! Nous avons créé une Université fédérale regrou- pant 7 établissements (1) dans le cadre d’une démarche nationale voulue par l’État. L’objectif est d’adapter l’enseignement et la recherche française à la mondiali- sation de l’offre et des mouvements étudiants. Dans un contexte où les Universités se comparent entre elles, notre rôle est de coordonner des actions dans le domaine de la recherche, de la formation, dans le monde dans l’entrepreneuriat.Avec plusieurs objectifs : devenir une référence internationale dans un certain nombre de domaines de recherches comme la science dure (physique,mathématiques, ondes…), le domaine “territoire environne- ment et aliments”, la santé. Nous avons des spécificités reconnues sur lesquelles il faut s’appuyer pour augmenter notre visibilité inter- nationale tout en mobilisant des moyens financiers. L.P.B. : Pourquoi a-t-il fallu attendre le 18 octobre pour que le président de l’Uni- versité de Bourgogne Alain Bonnin et celui de Franche-Comté Jacques Bahi confir- ment dans un communiqué de presse commun l’intérêt de la C.O.M.U.E. ? Pro- blème d’ego entre Francs-Comtois et Bour- guignons, ou est-ce un mariage raté ? N.C. : C’était le moment de faire le bilan de ce qui marche et des écueils, parce qu’évidemment il existe des difficultés. Je me réjouis de leur communiqué commun et du mes-

sait notre projet “Isite-B.F.C.” (N.D.L.R. : sur 13 dossiers dépo- sés en France, seuls 3 ont été rete- nus). Nous sommes le seul regrou- pement à porter un projet aussi important et qui n’est pas concen- tré sur une seule ville mais sur toute la grande région avec 13 campus. Il se matérialise par des financements de projets de recherche, de recrutement de cher- cheurs, de financement de Mas- ters. C’était le bon moment de fai- re cette communication car arrive l’ordonnance de l’État qui ouvre le champ des possibles sur les regroupements. L.P.B. : Vous parlez de difficultés. Les- quelles ? N.C. : Des difficultés techniques et administratives. À titre d’exemple, je ne peux pas délé- guer ma signature à un chef d’éta- blissement. L’ordonnance de l’État doit simplifier cela. L.P.B. : La peur de certains acteurs poli- tiques ou économiques de voir dispa- raître des enseignements sur leur ter- ritoire en raison de la fusion n’est-elle pas la vraie cause des difficultés ? N.C. : Chacun tient à développer l’enseignement supérieur sur son territoire, c’est normal. Garder 13 campus est possible. Notre ambition n’est pas de restreindre l’enseignement supérieur mais au contraire d’organiser les grands domaines scientifiques et les cam- pus territoriaux. À la faveur de l’ordonnance, une nouvelle étape va s’ouvrir. On va réfléchir à la gouvernance, aux compétences de la prochaine C.O.M.U.E. L.P.B. : Admettez-vous que le fait d’avoir placé un vice-président franc-comtois à la tête de la communauté d’établis- sements fut une erreur ? Cela a été mal vécu par les Bourguignons. N.C. : Non, car la présidente du conseil académique est bourgui- gnonne (Catherine Baumont). L’équipe politique est équilibrée. L.P.B. : L’État évaluera en 2020 votre fusion. Imaginons que le projet Isite ne soit pas maintenu. Ce serait une catas- trophe économique et financière ? N.C. : Nous avons obtenu 32 mil- lions d’euros sur 4 ans. 59 projets de recherche fonctionnent grâce à Isite-B.F.C., 30 autres sont à venir. En 2020, il y a trois solu- tions : soit le jury international nous dit “on arrête.” On perdrait alors ce financement. Soit le jury international dit : “on continue la période probatoire et nous vous demandons de remplir certaines cases”, soit tous les jalons sont validés et l’Isite sera maintenu. Nous avons des outils sur le fonc- tionnement de recherches qui fonctionnent déjà. Sans l’Isite, nous n’aurions pas pu financer des postes de doctorant dans des

Nicolas Chaillet, le président de la Communauté d’universités et d’établissements Université Bourgogne-Franche-Comté dont le siège est à Besançon.

domaines de l’agroalimentaire, de la santé, des nanotechnologies. Nous avons également financé des projets en lien avec des indus- triels ou pu développer des Mas- ters. L.P.B. : Concrètement, quel étudiant est attiré par la Bourgogne-Franche-Com- té ? N.C. : 8 parcours de Master en anglais sont ouverts avec 213 étu- diants qui représentent 47 natio- nalités, soit 67%d’étudiants étran- gers. Les objectifs sont atteints et nous allons les poursuivre. On a eu plus de 750 candidats, ce qui prouve une attractivité et une capacité pour nous de sélection- ner. L’idée n’est pas de faire des légions étrangères : tous les étu- diants qui sont dans les Univer- sités membres peuvent profiter de ce parcours. Les équipes d’U.B.F.C. se sont beaucoup dépla- cées dans le monde entier pour faire connaître notre offre notam- ment en Masters. Nous sommes allés en Chine, en Europe, nous allons signer une collaboration de double diplôme avec une uni- versité du Mexique, une autre avec une université de Prague pour un doctorat en chimie… L.P.B. : Quand on se compare aux autres, on se console ou on se désole ? N.C. : Cela dépend à quels autres nous nous comparons… Difficile d’objectiver mais U.B.F.C. est une C.O.M.U.E. qui est allée très loin dans les compétences et dans la transversalité. Nous avons beau- coup avancé et nos projets ont été couronnés de succès. Quand nous présentons notre puissance à l’ex- térieur, ça intéresse et ça impres- sionne.

le 1er janvier 2017 un appel à pro- jet qui favorise la réussite en pre- mier cycle pour tous les sites (R.I.T.M.-B.F.C.) pour 11 millions d’euros concernant 46 projets et un programme pour les Masters et doctorats (école universitaire de recherche) qui nous a permis d’obtenir 13,6 millions d’euros pour 10 ans. L’argent finance des thèses, des cours spécifiques, des stages d’étudiants dans les labo- ratoires. 25 millions alimentent le premier cycle jusqu’à la recherche, ce qui nous offre un vrai continuum. L.P.B. : Dans la jungle de la concurren- ce internationale entre établissements, a-t-on à rougir ? N.C. : Pas du tout. Il faut chercher à s’améliorer même si les pre- miers résultats sont encoura- geants. Si nous saisissons l’or- donnance, elle sera de nature à faire évoluer l’outil C.O.M.U.E. pour aller de l’avant. Il faut enco- re simplifier le fonctionnement de la C.O.M.U.E. et s’attacher à remplir les jalons pour aller vers l’université cible 2020.Àmes côtés, j’ai une équipe politique et le per- sonnel (47 personnes) qui sont investis pour l’intérêt général. n (1) : Université de Franche- Comté (U.F.C.), Université de Technologie Belfort-Montbéliard (U.T.B.M.), École Nationale Supérieure de Mécanique et des Microtechniques de Besançon (E.N.S.M.M.), AgroSup Dijon, Burgundy School of Business (B.S.B., anciennement E.S.C. Dijon Bourgogne), École Natio- nale Supérieure d’Arts et Métiers (E.N.S.A.M.). Propos recueillis par E.Ch.

diants, il faut des villes régionales qui rayonnent. Lorsque vous évoquez “Besançon”, vous regarde-t-on avec de gros yeux ? N.C. : Pas du tout. Mon travail est de promouvoir l’en- semble du site et des villes.Vu d’un étudiant à l’autre bout dumonde, la Bourgogne- Franche-Comté, c’est petit. Il ne fera pas la diffé- rence entre une ville et une autre. L’attractivité pas-

Bio express

l Nicolas Chaillet est né le 22 octobre 1967

Marié, deux enfants

l

l Profession : enseignant- chercheur à l’Université de Franche-Comté, il a dirigé le laboratoire Femto-S.T. l Il est le président de la C.O.M.U.E. U.B.F.C. depuis le 25 avril 2016. L’U.B.F.C. est une Communauté d’universités et d’établissements d’environ 67 000 étudiants et personnels sur 22 sites. l Elle a été créée le 1er avril 2015 par décret publié au Journal Officiel l

“Nous avons accueilli 213 étudiants étrangers en Master.”

se par la qualité de l’enseigne- ment et par la qualité de l’accueil. L’effort est reconnu mais on doit encore développer cet accueil. On ne peut pas le faire pour les 60 000 étudiants mais a minima pour les Masters, les chercheurs. L.P.B. : Quel bilan tirez-vous après deux ans de travaux et de déplacements dans le monde entier ? N.C. :Accueillir autant d’étudiants et de chercheurs est la preuve que la mayonnaise prend. On est sur le bon chemin. Tout le sens de mon engagement est de faire que les conditions d’exercice soient les meilleures. Nous avons créé une signature scientifique com- mune, c’est-à-dire que des publi- cations internationales sont signées U.B.F.C. 75 % de la pro- duction scientifique des labora- toires contribuent à l’effet de marque de notre Université. L.P.B. : Avec l’éternel débat sur les moyens financiers ! N.C. : Nous avons obtenu depuis

sage qu’ils ont exprimé.Ainsi, les deux présidents souhaitent que soit saisi le cadre offert par l’or- donnance de l’État à venir en proposant, sur la base de la C.O.M.U.E. Uni- versité Bour- gogne-Franche- Comté, d’aller plus loin. Il est toujours bon de se montrer des preuves d’amour ! Un tel projet n’est jamais un long fleuve tranquille parce que notre regroupement est unique. Il y a deux ans et demi, l’État reconnais-

“Un tel projet n’est jamais un

long fleuve tranquille.”

L.P.B. : Pour attirer de nouveaux étu-

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