La Presse Bisontine 195 - Février 2018

ÉCONOMIE

35 La Presse Bisontine n° 195 - Février 2018

EN 2018, TROUVEZ VOTRE VRAIE « NATURE » !

PORTES OUVERTES VEND 9 MARS DE 16H À 19H SAM 10 MARS DE 9H À 16H

HORLOGERIE

Il y a 50 ans

Quand les Suisses remportent la course contre-la-montre du quartz En août 1967, les travaux menés depuis cinq ans par les chercheurs neuchâtelois du Centre Électronique Horloger (C.E.H.) aboutissent à la présentation de “Beta 1” et et “Beta 2”, nom de code des premières montres-bracelets électroniques à quartz. Une inven- tion qui va bouleverser le visage de l’horlogerie.

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tionnant sur les montres mécaniques haut de gamme. Un pari luxueux qui s’avère aujourd’hui profitable sur le plan économique. La vente des 6,9 mil- lions pièces mécaniques exportées en 2016 par la Suisse a généré un chiffre d’affaires de 14,7 milliards de francs suisses. Soit quatre fois plus que la ven- te des montres à quartz “Swiss Made” fabriquées à plus de 18 millions de pièces. Lamontre de demain sera-t-elle connec- tée ou pas ? “On fait systématiquement référence à la crise du quartz. Faut-il ou pas prendre ce virage technologique ? Pour l’instant, le développement de la montre connectée n’a pas d’incidences sur la montre mécanique. Les finalités ne sont pas les mêmes. Ce sera peut-être l’enjeu du poignet avec la difficulté de porter plusieurs montres simultané- ment” , suggère le conservateur. Pour Christian Piguet, le Centre Suis- se d’Électronique et deMicrotechnique qui s’est substitué au C.E.H. en 1984 a toutes les compétences pour réaliser une montre connectée basse consom- mation. “Reste à savoir si les marques suisses ont la volonté d’aller plus loin. On maîtrise la technologie sans savoir si cela peut déboucher sur des produits économiquement rentables.” n F.C.

ce, les fabricants de montres et les fabricants d’ébauches n’ont jamais été sur la même longueur d’onde. En Suis- se, les grands corps de métier se sont regroupés dans des grandes structures. Puis est arrivé Nicolas Hayek qui a trouvé une parade sur le bas et moyen de gamme avec la Swatch et la Suis- se a su aussi se repositionner sur le haut de gamme avec les entreprises indépendantes qui ont subsisté et ensui- te su se redévelopper formidablement. L.P.B. : La France aurait pu gagner la bataille du quartz ? E.T. : La France était en pointe dès le début des années cinquante avec les premières montres électriques, puis la montre à diapason avant l’arrivée du quartz. Au départ, le quartz n’était pas miniaturisé. Ce qui a pris de court tout le monde, c’est la baisse très rapi- de du prix des circuits intégrés. Plus tard, un projet baptisé Montrélec est né pour concevoir l’industrialisation du quartz, repris ensuite par Framé- lec et on connaît la suite. On ne peut pas donc dire que rien n’a été tenté. Mais la prégnance du capital suisse dans l’horlogerie française, les diffi- cultés entre les fabricants de montres sur la qualité. Ils pensaient qu’on pou- vait faire de belles montres à quartz alors qu’au Japon, l’objectif était d’abord de faire une montre bon marché. Les outils de production n’étaient pas les mêmes” , explique Régis Huguenin. En Suisse, le quartz était le fait de plu- sieurs manufactures alors qu’au Japon, Seiko avait pratiquement le monopo- le. Les Suisses étaient également hési- tants à lancer un produit susceptible de concurrencer leur garde-tempsméca- nique. Certains estiment que cette réti- cence à s’engager sur le marché de la montre à quartz serait l’une des causes de la crise horlogère suisse des années soixante-dix. D’autres explications sont avancées comme la difficulté de l’hor- logerie suisse à produire en masse des montres de qualité. Les Suisses ont également perdu face aux Japonais le marché américain. Conséquences : de 1970 à 1980, le nombre d’emplois horlogers suisses va dégringoler, passant de 90 000 à 30 000. La crise se traduira également par la disparition de nombreuses marques suisses. Il faudra attendre le milieu des années quatre-vingt pour voir se des- siner la sortie de crise symbolisée par le lancement de la Swatch. L’horlogerie suisse retrouvera aussi le chemin de la croissance en se reposi-

le Polytechnique Fédérale de Lausan- ne. L’équipe a pour mission de déve- lopper une montre-bracelet ayant au moins un avantage sur lesmontres exis- tantes. Elle travaillera dans deux directions : l’électronique avec le projet Alpha et le quartz avec le projet Beta. Il faudra près de cinq ans aux chercheurs neu- châtelois pour réussir à miniaturiser l’électronique servant à la mesure des oscillations du quartz. Ils appliqueront le même raisonnement pour l’autono- mie avec la création d’une pile pouvant tenir dans une montre-bracelet et dis- posant d’une année d’autonomie. Les inventeurs de la montre à quartz ont vite été rattrapés par l’outil de pro- duction Seiko sur le plan de la com-

L es Suisses n’étaient pas les seuls à cogiter sur lamise au point d’un mouvement quartz. On y réflé- chissait aussi chez Lip qui pré- sentera ses premiers prototypes quartz en 1971. Mais le principal concurrent n’est autre que le japonais Seiko. S’il n’a pas la primeur de l’invention, le groupe nippon damera néanmoins le pion aux horlogers suisses en com- mercialisant en 1969 la premièremontre à quartz : l’Astron 35 S.Q. Pour autant, même dans le quartz, la précision suisse reste demise puisqu’en décembre 1967, le C.E.H. inscrit dix modèles de Beta 2 au concours annuel de précision de la société suisse de chro- nométrie. Ils raflent alors les dix pre- mières places devant dix Seiko. “À par- tir de là, les concours perdent beaucoup de leur intérêt. L’invention du quartz remet en cause l’utilité des observatoires pour certaines fonctions chronomé- triques” , note Régis Huguenin, conser- vateur au musée international d’hor- logerie de La Chaux-de-Fonds. Ce spécialiste de l’histoire horlogère rappelle que la technologie quartz est bien antérieure à 1967. “Le concept

remonte aux années trente. Il a d’abord servi à la fabrication d’horloges à quartz dont les premiers modèles ont été mis au point vers 1950 en Suisse.” Les cher- cheurs du Centre Électronique Neu- châtel parviendront à résoudre avant les autres une équation à trois incon- nues : précision,miniaturisation et bas- se consommation. Utile aussi de signa- ler que lamontre à quartz a été précédée en 1960 par la sortie de la première montre électronique, l’Accutron, réali- sée par l’américain Bulova. L’année 1960 correspond aussi à la créa- tion du Centre Électronique Horloger financé par les manufactures suisses soucieuses de mutualiser leurs recherches. “Le C.E.H. a été fondé sous l’impulsion de Gérard Bauer qui pré- sidait alors la Fédération horlogère. Ce diplomate visionnaire pensait que l’élec- tronique pouvait révolutionner l’horlo- gerie” , souligne Christian Piguet, un ancien du C.E.H. passionné par l’his- toire des techniques. En 1962, le labo- ratoire neuchâtelois dirigé par Roger Wellinger recrute sept ingénieurs de retour des États-Unis et cinq autres issus de ce qui deviendra plus tard l’Éco-

mercialisation. Conçues par un consortiumde 16 marques horlogères, les premières montres à quartz suisses seront mises en vente fin 1970, soit avec une année de retard par rapport aux Japonais. “Les deux pays n’avaient pas la même conception de l’horloge- rie. Les horlogers suisses tenaient à maîtriser cet- te technologie en pariant

Les projets “Beta 1” et “Beta 2”.

“On ne peut pas dire que rien n’a été tenté” HISTOIRE La France a raté le virage du quartz Auteure d’une thèse de sciences économiques consacrée

suffisamment forte pour Matra qui s’est très vite désengagé et qui a noué une alliance avec les Japonais de Sei- ko. Cette alliance va être le ver dans le fruit et va signer l’arrêt de mort de l’horlogerie. L.P.B. : Pourquoi cette alliance avec Seiko ? E.T. : Parce que l’horlogerie française était sous pression des capitaux suisses, et notamment d’Ébauches S.A. C’est pour échapper à l’emprise suisse que cette alliance entre les Français et les Japonais a été imaginée. QuandMatra s’est retiré, Seiko a racheté et a liqui- dé l’ensemble. La présence des capi- taux suisses dans l’horlogerie fran- çaise, réelle à partir des années soixante, a été également un des éléments qui a empêché l’organisation collective de l’horlogerie française. Comme la volon- té des Français de constituer un grand groupe a été torpillée par les Suisses, l’horlogerie française s’est précipitée dans les bras de Seiko, pour le pire. L.P.B. : Touchée aussi, la Suisse s’en est sor- tie, contrairement à la France ? E.T. : En Suisse, il y a eu une organi- sation de type planification avec une logique collective très forte. En Fran-

à l’histoire de l’horlogerie française, Évelyne Ternant déconstruit certains mythes sur les raisons du déclin de ce secteur d’activité. L’arrivée du quartz n’est pas le seul facteurresponsable. Décryptage.

L a Presse Bisontine : L’arrivée du quartz dans l’horlogerie a-t-elle sonné le glas de l’horlogerie française ? Évelyne Ternant : Il y a plusieurs idées reçues que je souhaiterais combattre. Notamment celle selon laquelle l’hor- logerie française n’aurait pas su s’adap- ter au quartz, que les horlogers du Haut-Doubs se sont opposé à Lip qui avait su anticiper le quartz et que l’hor- logerie française a décliné suite à la chute de Lip. Tous ces clichés ne sont pas exacts. Le quartz s’est formida- blement développé dans les années soixante-dix et la chute de l’horloge- rie française date des années quatre- vingt.À la fin des années soixante-dix, l’horlogerie française avait retrouvé son rythme de croisière, en volume grâce justement au quartz, certes impor- té. Le déclin de l’horlogerie française est principalement dû au choc que ce

secteur a subi avec l’entrée des pro- ducteurs du Sud-Est asiatique sur le marché des montres. C’est donc bien la concurrence asiatique qui a achevé l’horlogerie française. Et les énormes erreurs stratégiques des horlogers français. L.P.B. : Quelles erreurs en particulier ? E.T. : L’épisode Matra horlogerie a été le plus calamiteux. La disparition de Lip, ultra-médiatisée, représentait “à peine” 5 % de la production de montres françaises. Alors que Matra, c’était un tiers de la production. Le groupe Fra- mélec avait été constitué dans le Haut- Doubs et à Besançon, puis ils ont fait entrer Matra car le gouvernement fran- çais de l’époque avait poussé pour que Matra, qui était un fleuron industriel national, investisse dans l’horlogerie. Seulement, la rentabilité n’était pas

et les fabricants de pièces et, en plus, le peu d’intérêt que l’État français a montré pour l’industrie horlogère, tout cela a fait que l’innovation française en matière d’horlogerie et de quartz n’a jamais pu aller jusqu’au bout. n Propos recueillis par J.-F.H. Évelyne Ternant a signé une passionnante thèse sur l’évolution de l’horlogerie française à partir des années soixante.

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