La Presse Bisontine 132 - Mai 2012

DOSSIER

La Presse Bisontine n° 132 - Mai 2012 23

TÉMOIGNAGE Au lendemain des accords d’Évian La tragédie des harkis laisse la plaie ouverte Les harkis avaient choisi de se battre pour la France. Elle les a abandonnés. Alors que Georges Pompidou déclarait à l’Assemblée nationale que “toutes les dispositions ont été prises pour qu’il n’y ait pas de représailles”, ils ont été massacrés par milliers après l’indépendance.

Les chiffres diffèrent, mais il semble que plus de 200 000 militaires musulmans et supplétifs (des autochtones recrutés localement pour renforcer l’armée française) ont combattu le mouvement indépendantiste en Algérie. Environ 70 000 auraient été rapatriés.

E ncore aujourd’hui, pour beau- coup d’Algériens, ils restent des traîtres. Quant à la Fran- ce, elle peine à faire son tra- vail de mémoire sur son rôle dans l’abandon de ces hommes qui furent massacrés par milliers, victimes d’une épuration sauvage, au lende- main des accords d’Évian. On estime que plus de 70 000 d’entre eux (les chiffres diffèrent selon les sources), ont été traqués et assassinés dans leur pays par le F.L.N. en signe de repré- sailles. Une double peine sordide pour ces combattants. Eux, ce sont les har- kis, les grands perdants de la guerre. Ces Algériens avaient fait le choix de se battre aux côtés de la France contre les rebelles. Ils ont payé cher et pour longtemps le prix de leur loyauté. “Lorsque des familles avaient été per- sécutées par le F.LN., souvent les fils devenaient des harkis.Ainsi nous avons constitué des équipes de harkis dans les compagnies” raconte le colonel Jean Grizard. Des sections de harkis armés s’organisaient aussi dans les villages pour en assurer leurs protections sui-

vant le principe de l’auto-défense. S’ils se battaient sous le drapeau tri- colore, la majorité de ces combattants n’avaient pas le statut de soldat fran- çais à l’inverse de Mohamed (le pré- nom a été changé) qui s’est engagé en 1957 dans l’armée à la suite de son service militaire. “Si je ne m’étais pas engagé, et si je n’avais pas été aidé par des officiers, jamais je n’aurais pu ren- trer en France au lendemain de la guer- re. C’était le seul moyen que j’avais de m’en sortir. Les trois quarts des harkis et des supplétifs algériens n’ont pas eu cette chance. Ils ont été massacrés au

tin de ces soldats pèse comme une cha- pe de plomb sur le cœur de Mohamed qui s’est résigné à l’accepter car trop de temps s’est écoulé depuis les évé- nements. Mais une plaie reste ouver- te. “Notre sacrifice n’a servi à rien. C’est ce que je regrette aujourd’hui” soupire le soldat qui a débarqué en France “avec le sac à dos de l’armée françai- se” et ses yeux “pour pleurer.” Les harkis ont pourtant tenu un rôle majeur dans ce conflit. Ils étaient des appuis importants des commandos qui crapahutaient dans les montagnes de Kabylie. “Nous connaissions tous les secteurs, le terrain, les caches des rebelles. Nous étions au premier rang” poursuit Mohamed. Les autorités françaises auraient dû saluer leur engagement. “Au contrai- re, ils ont été abandonnés, livrés à la merci d’un adversaire défait dans la lutte armée, mais vainqueur politique et qui naturellement les vouait à l’élimination” écrit le général François Meyer dans son livre “Pour l’honneur… avec les harkis” (C.L.D. Édition). Beau- coup d’officiers français ont, comme

lui, pris l’initiative de contourner la consigne qui avait été donnée, refu- sant d’abandonner à leur sort leurs compagnons de combat algériens, orga- nisant leur rapatriement en France, clandestinement parfois. En faisant cela, ils s’exposaient à des sanctions, mais l’honneur était plus fort. Jean et Geneviève Grizard en ont fait l’expérience. Ils s’occupaient de har- kis qui arrivaient en France, cher- chaient à les héberger et à leur trou- ver du travail. Cela leur a valu un rappel à l’ordre de la part du préfet de la région où ils étaient installés. “Les militaires comme moi n’ont jamais accepté le sort réservé aux harkis” racon- te le colonel Grizard. “Reconnaissan- ce et vérité sont indispensables aujour- d’hui pour laver l’honneur de ces hommes et de ces familles que l’histoire et le pouvoir de l’époque ont injuste- ment anéantis. En France comme en Algérie. Par les voix les plus autorisées, le gouvernement ne leur avait-il pas

promis la protection de la France ?” écrit encore le général Meyer. “Venez à la France, elle ne vous trahira pas” avait déclaré le Général de Gaulle. Des paroles qui résonnent encore amère- ment dans la tête de beaucoup de har- kis qui ont dû attendre le 25 septembre 2001 pour obtenir de la France un début de reconnaissance. Ce jour-là, le pré- sident de la République Jacques Chi- rac, au cours d’une cérémonie, “rend solennellement hommage au patrio- tisme des harkis ainsi qu’à leur fierté de combattant” raconte le général Meyer. Est-ce suffisant ? Non, car il reste beau- coup à faire pour que ces soldats qui se sentaient Français soient reconnus en tant que tels. Pour la plupart, ils avaient en exemple leurs pères qui s’étaient battus sous le drapeau trico- lore lors de la dernière guerre mon- diale. Ils ont payé de leur vie pour libé- rer la France.

lendemain du ces- sez-le-feu et per- sonne n’a bougé. Cela m’est resté en travers de la gor- ge” raconte le mili- taire en retraite dans le Doubs, qui n’est jamais retourné en Algé- rie. Le silence de la France sur le des-

“Reconnaissance et vérité indispensables.”

T.C.

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