La Presse Bisontine 132 - Mai 2012

DOSSIER SSIE

La Presse Bisontine n° 132 - Mai 2012

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INTERVIEW Le général Maurice Faivre “La France n’a pas su sauver ses enfants” Originaire de Morteau dans le Haut-Doubs, le général Maurice Faivre a vécu de l’intérieur la guerre d’Algérie. À son retour, il a aidé des dizaines de familles de Harkis délaissées.

L a Presse Bisontine : Vous qui avez connu cette guerre de par vos fonctions de général, et qui avez en même temps le recul de l’historien, rappelez-nous quelques causes de ce conflit. Est-ce unique- ment la colonisation ? Maurice Faivre : La colonisation au XIX ème siècle n’est pas un cri- me contre l’humanité, elle pré- sente des aspects négatifs et positifs, et s’inspire de l’idéologie des Lumières, célébrée par Vic- tor Hugo : “Un peuple éclairé va trouver un peuple dans la nuit.” Les musulmans, contrairement aux juifs, refusent la citoyen- neté considérée comme aposta- sie, et voient l’école de Jules Fer- ry comme “l’école du diable”, ils ne s’y rallient qu’après 1945. Cependant, les notables et les instituteurs sont favorables à la culture française. Mais il y a

li, qui veulent créer une zone libérée. Il se heurte à une répres- sion brutale, le général Duval promet la paix pour dix ans. Jacques Julliard écrit dans le Nouvel Obs du 10 mai 2001 : “Après la Toussaint 1954, inca- pable de provoquer un soulève- ment généralisé, le F.L.N. a eu recours à la terreur et aux atro- cités.” En effet, selon Mohamed Harbi, historien du F.L.N., “l’identité du lignage ou de la confrérie est beaucoup plus for- te que l’identité nationale.” En 1955 et 1956, le terrorisme contre les Français impressionne une partie de la population musulmane. La bataille d’Alger élimine le terrorisme, au prix (pendant 3 mois) du recours à la torture, qui n’est cependant pas généralisé. Mais les frater- nisations de mai 1958 font bas-

inégalité du niveau de vie dans le bled, par rapport aux colons et aux gros propriétaires musul- mans. Le budget attribué à l’Algérie ne permet pas de réta- blir l’égalité (politique de recons- truction en France). “L’Algérie coûte plus cher qu’elle ne nous rapporte” , selon la thèse de Jacques Marseille. En 1958, le

Maurice Faivre, à gauche, avec le général Dary et un fils de harkis.

faitement avec la population (soins, scolarisation). Déçus d’avoir perdu (politiquement) la guerre, ils estiment avoir per- du deux ans de jeunesse. L.P.B. : Et les conséquences pour la France ? M.F. : Elle doit accueillir les pieds noirs et une partie des harkis (15 % seulement). Comme l’a dit Jacques Chirac, elle n’a pas su sauver ses enfants. C’est une épuration ethnique. Tous ses biens sont nationalisés enAlgé-

rie. Et les échecs sont occultés, on ne parle pas de la guerre d’Algérie jusqu’en 2000 ! L.P.B. : Et pour l’Algérie d’après 1962 ? M.F. : La lutte pour le pouvoir entraîne l’anarchie et les mas- sacres de l’été 1962. Un pouvoir militaire, totalitai- re et corrompu, se met en pla- ce. Il n’y a pas d’état de droit. L’islamisation à outrance pro- voque la guerre civile des années 1990. Propos recueillis par J.-F.H.

culer la casbah en sens contrai- re. Malgré les manifestations de décembre 1960, la majorité des musulmans demeure atten- tiste. SelonMohamed Harbi, “le nationalisme n’a trouvé son uni- té qu’après 1962, imposé par la guerre civile.” L.P.B. :Quelles ont été les conséquences morales de ce conflit pour les appe- lés ? M.F. : Les appelés sont très dis- ponibles, ils sont très actifs sur le terrain, et se conduisent par-

plan de Constan- tine rattrape le retard,mais sans doute trop tard ! L.P.B. : Quelles sont les circonstances du démarrage de ce conflit ? M.F. : Le soulève- ment du 8 mai 1945 est provo- qué par les par- tisans de Messa-

“Ils estiment avoir perdu deux ans de jeunesse.

TÉMOIGNAGES La guerre pour des Pontissaliens Les copains du Haut-Doubs se souviennent Eux aussi avaient à peine plus de vingt ans quand on les a envoyés sur le front algérien. La Presse Bisontine a réuni ces anciens qui racontent, ensemble, leur guerre d’Algérie.

L eur visage alterne entre sou- rires et gravité. Leurs souve- nirs entre anecdotes légères et drames enfouis. Comme tous les autres Français envoyés de l’autre côté de la Méditerranée pour “main- tenir l’ordre” , ils ne savaient pas bien ce qu’on attendait d’eux. “À 20 ans, on n’était pas mécontents de partir” note le Pontissalien Marcel Bianqueti pour illustrer l’insouciance de ces jeunes soldats dont certains auront passé plus d’un an enAlgérie. D’autres, à l’image de Camille Martin, ont été rappelés là-bas. “J’ai fait mon servi- ce militaire en Autriche pendant un an, puis six mois en France. La quille est arrivée en avril 1954 et en mai 1956 on me rappelait pour partir en Algé- rie !” dit le retraité pontissalien. “On venait de se marier” ajoute discrète- ment son épouse Ginette. Pour tous, ce fut donc la surprise et la découverte d’un conflit qui les dépas- sait. Les premiers appelés l’ont été en 1954, au sortir de la guerre d’Indochine, les derniers après les accords d’Évian du 19 mars 1962 aux moments ter- ribles des attentats perpétrés par l’O.A.S. Certains de ces Pontissaliens

étaient postés au plus près des conflits, dans le djebel algérien. D’autres, plus loin, à l’image d’Alain Barthe qui aura passé 8 mois tout au Sud de l’Algérie, “la région du pétrole et des essais nucléaires français” en tant que res- ponsable de la poste d’un village du Sahara. Il était également chargé de payer leurs pensions de retraites aux anciens combattants algériens qui étaient aux côtés de la France en 39- 45. Il a connu la dernière période de la guerre d’Algérie. “On n’avait pas le choix, il n’y avait pas à discuter dit-il lui aussi. Un mot de trop et on nous

De gauche à droite, Alain Barthe, Marcel Bianqueti, Michel Arrigoni, Pierre Barthod, Camille Martin et Michel Bez. Tous ont combattu en Algérie.

en Algérie de septembre 1958 à juin 1959. 28 mois de service militaire dont 10 en guerre. Il était chargé de surveiller les “zones d’insécurité”. “Il pouvait se passer six mois sans aucun accrochage et tout d’un coup, notre lieutenant a été tué par une grenade.” La mort, ils l’ont donc tous vu en face, ou à côté. “Dans une embuscade, on a perdu une douzaine de nos camarades” raconte Camille Martin. Là aussi, le culte du silence et de la discrétion prévalait. “Quand il y avait un mort, les gendarmes venaient au domicile des parents à la tombée de la nuit en demandant de ne pas ébruiter les choses. “Vous voulez qu’on rapatrie le corps en France ? Alors ne dites rien” disait-on aux parents” poursuit Alain Barthe. Cette chape de silence a duré pendant tout le conflit. Le silence, ces Pontissaliens tentent de le briser 50 ans plus tard, même

si, reconnaît M.Arrigoni, “on n’a jamais eu envie d’en parler et on ne le fait jamais.” “Nos proches n’ont même jamais su ce qu’on était allé faire là- bas” ajoute Michel Bez. La plupart d’entre eux ont eu à se ser- vir de leur arme. “On tirait, on n’avait pas le choix non plus” lâche un de ces anciens combattants. “Dans certaines situations, c’était le gars en face, ou moi. Alors quand on est derrière un mur et qu’on voit bouger, on tire” ajou- te cet autre Pontissalien le regard encore troublé. La guerre d’Algérie aura fait 30 000 morts côté français, sur 1,340 million de jeunes Français appelés là-bas. Du côté algérien, le bilan est beaucoup plus lourd : plus de 500 000 victimes, civiles ou militaires. Pour quel résul- tat ? Les Pontissaliens témoins de ce conflit se le demandent encore. J.-F.H.

lait faire un concours de l’administration” précise l’ancien pos- tier. “On nous a dit il faut aller là- bas, alors on y est allé” ajoute Michel Arrigoni qui a passé un an en Algé- rie, entre 1958 et 1959. C’est une fois sur le sol algérien que ces jeunes appelés ont vite pris conscience de la réalité de la guerre. Sans pour autant en saisir les enjeux. “On n’avait aucune information sur l’évolution du conflit” dit Marcel Bian- queti. “En France, le gouvernement changeait tous les trois jours, c’était incompréhensible. Et pas sûr qu’on comprenne tout encore aujourd’hui” ironise Alain Barthe. Michel Bez, lui, sera resté deux ans là-bas. De quoi engranger des souvenirs qu’il garde pourtant bien enfouis, et qu’il a eu peu l’occasion de raconter dans sa vie, comme ses camarades d’ailleurs. Pier- re Barthod, autre Pontissalien, était

envoyait en arrêt de forte- resse à Bitche en Moselle.” Appelés dans l’innocence de leurs vingt ans, tous ces jeunes avaient pour- tant été “conditionnés poursuit M. Barthe. On était dans l’esprit de nos parents qui avaient fait 39-45 avec l’esprit de patrie. Jamais on n’aurait envisagé de ne pas faire notre service militaire. De toute façon c’était obliga- toire pour celui qui vou-

“On tirait, on n’avait pas le choix.”

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