Journal C'est à dire 317 - Juin 2025

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VAL DE MORTEAU

O.N.F. “Il faut réinventer des méthodes de gestion forestière”

Tous les massifs forestiers du département du Doubs sont impactés par le réchauffement climatique, ce qui remet en cause les méthodes de gestion, les techniques d’exploitation et les orientations sur le renouvellement forestier. Explications avec Jean-Luc Felder, responsable du service forêt à l’agence O.N.F. du Doubs.

Dans certains secteurs du massif forestier dans le

C’ est à dire : Comment mesurer l’impact du réchauffement clima tique sur la forêt du Doubs ? Jean-Luc Felder : La forêt subit de plein fouet l’impact du réchauffement climatique. Depuis 2018, on estime que 20 % de la surface résineuse a disparu

suite aux problèmes sanitaires. Les conséquences sont très visi bles dans le paysage. Avant cette crise qui n’a plus rien d’une crise, on essayait d’avoir une gestion planifiée s’appuyant sur des coupes sylvicoles. Cette approche n’est plus possible, c’est le sani taire qui guide aujourd’hui l’or ganisation des coupes. Càd : Que peut-on dire de la situation sanitaire? J.-L.F. : Il est utile de rappeler qu’une année forestière s’étale de septembre à juin. On a engagé les premières réflexions pour le programme de coupe 2026. Les discussions vont débuter avec les communes en rappelant le rôle de conseiller technique de l’O.N.F. qui est là pour faire des propositions. La situation sani taire tend à s’améliorer par rap port à 2024. On a eu une année 2024 bien arrosée donc avec peu de stress pour les végétaux et les arbres. Les précipitations du printemps 2025 ont permis un bon démarrage de la végétation. Les récoltes sanitaires en épicéa sont encore au même niveau

qu’en 2024. Les attaques qui touchaient initialement les peu plements d’épicéa sur les pre miers plateaux affectent main tenant des massifs plus élevés, au-delà de 1000 m d’altitude. C’est surtout au niveau du sapin que la situation s’améliore avec beaucoup moins de dépérisse ment qu’en 2024. En résineux, on était à 80 % de récoltes subies et grâce à la résistance du sapin, on est maintenant autour de 65 %. Pour déterminer les orien tations de la prochaine année forestière, on prend également en compte la conjoncture écono mique. Càd : Comment se porte le marché du bois? J.-L.F. : C’est assez encoura geant. Les scieries ont de l’acti vité. Il y a une forte demande de bois. Des grosses scieries à l’extérieur de la Franche-Comté recherchent aussi de l’épicéa jurassien. Le marché du bois énergie s’envole. Ce qui suscite des inquiétudes sur la ressource. Grâce à l’évolution des paramè tres sanitaires et économiques, on devrait pouvoir desserrer l’étau de 30 % de récolte de bois vert résineux négocié avec les communes forestières en 2024. tains produits. Sur l’année 2024, on était finalement plus proche de 50 %. Càd : Depuis quand fonc tionne ce mécanisme de régu lation? J.-L.F. : Les communes fores tières et l’O.N.F. ont décidé en 2020 la mise en place de ce dis positif consistant à réduire l’ex ploitation des bois verts pour favoriser la vente des bois secs. C’est un choix politique, straté gique et de solidarité de filière. On s’est basé sur les références des coupes avant crise. Chaque année, on évalue l’état sanitaire de la forêt et la conjoncture éco nomique pour fixer ce pourcen tage qui était de 30 % l’an der nier. Ce qui signifie que les communes pouvaient couper 30 % de la référence de coupe de bois vert résineux en place avant 2018. Càd : Toutes les communes ne jouent pas forcément cette carte de la solidarité? J.-L.F. : En effet, car cela relève d’une démarche volontaire où rien n’est imposé. Au départ, les communes du haut étaient peu impactées et aujourd’hui la situa tion s’est inversée. La crise s’est banalisée. Certaines communes Il est important de dire qu’on se garde toujours une marge sur ce taux qui peut varier en fonction de la demande sur cer

Haut-Doubs, plus de 50 % des arbres sont scolytés et morts (photo D.R.A.A.F.- B.F.C.).

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“Il faut réinventer des méthodes en définissant des plans de gestion rénovés, plus flexibles reposant sur la vulnérabilité”, explique Jean-Luc Felder, responsable du service forêt à l’O.N.F. du Doubs.

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préfèrent couper du bois vert avant qu’il ne soit victime des attaques sanitaires. C’est très hypothétique et les communes qui auront gardé du bois vert le valoriseront beaucoup mieux en raison de sa rareté. Càd : Le réchauffement cli matique bouleverse aussi la gestion forestière? J.-L.F. : 60 à 70 % des plans de gestion forestière établis sur 20 ans sont devenus caducs. Il faut réinventer des méthodes en défi peuplements et les essences. Le croisement de ces trois paramè tres permet d’obtenir un indice de vulnérabilité qui va détermi ner la gestion et les aménage ments. Càd : Que préconise l’O.N.F. en matière de renouvellement forestier ? J.-L.F. : L’office privilégie la régé nération naturelle en favorisant la diversité et si cela ne fonc tionne pas, il est possible de faire des plantations d’essences plus résistantes à la sécheresse. Il peut s'agir d’essences locales comme le chêne qu’on trouve aussi naturellement sur le Haut Doubs. Les forêts feuillues en zone basse subissent-elles l’impact du réchauffement? J.-L.F. : Oui bien sûr. On a constaté de gros dépérissements de hêtre entre 2019 et 2021 sur le faisceau de Besançon et Baume-les-Dames. Au point qu’aujourd’hui, l’enjeu pour cer taines communes c’est de main tenir un état boisé, une ambiance forestière. Cette année, le hêtre va mieux. Les chênes qu’on pen sait épargnés souffrent égale ment par endroits. Pratiquement toutes les essences feuillues nissant des plans de gestion rénovés plus flexibles reposant sur la vulnérabilité. Cette notion prend en compte le sol, l’âge des

comme le frêne, le charme ont été touchées ou le sont encore. Càd : Pourquoi les communes du bas semblent moins impactées que les communes du haut à dominante rési neuse? J.-L.F. : En forêt feuillue, on est sur un rendement de 100 euros par hectare contre 400 euros par hectare en forêt résineuse avant la crise. La dépendance est for cément moins importante dans ces communes qui ont appris à fonctionner sans la forêt alors que les recettes forestières dans les communes résineuses suffi saient parfois à financer les investissements. Càd : Comment va s’organiser l’aménagement forestier? J.-L.F. : On proposera aux com munes de reprendre la sylvicul ture sur les zones les moins vul nérables. Sur les parcelles les plus sensibles au réchauffement climatique, on décapitalisera les peuplements concernés de façon progressive pour favoriser un renouvellement en essences plus adaptées. Càd : C’est une tout autre approche ! J.-L.F. : On est face à un chan gement de paradigme complet. On s’engage vers une nouvelle sylviculture en mosaïque, très diversifiée. Le dépérissement soulève aussi d’autres problé matiques. La fragilité des arbres remet en question l’accès au milieu forestier, la sécurisation des usagers, des bords de route, des lignes électriques… Les conditions d’exploitation sont également en pleine évolution avec le souci, par exemple, de limiter le tassement du sol pour protéger leur réserve en eau. Sur une parcelle, on concentre la sortie des bois sur un ou deux chemins de vidange. On évite de sortir des bois quand les sols sont gorgés d’eau. n Propos recueillis par F.C.

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“Une nouvelle sylviculture en mosaïque, très diversifiée.”

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