Journal C'est à dire 307 - Juillet-Août 2024
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“Depuis ce temps-là, je n’abandonne jamais” Témoignage Ancien professeur d’horlogerie, Pierre Taillard a vécu l’Occupation et la Libération dans son village de Saint-Hippolyte. Il se souvient avec une acuité étincelante de ces heures sombres, et des jours plus heureux de la Libération. Il avait à peine 16 ans.
C’ e st à dire: Vous avez eu très jeune l’âme d’un résistant. Comment est né ce caractère bien déterminé? Pierre Taillard : Je suis devenu anti-Nazi dès 1936. Ma sœur de 16 ans avait fait un échange lin guistique avec une jeune Alle mande qui se prénommait Olga. Quand cette dernière est venue en France, on l’a emmenée visiter Lyon, Reims, etc. Elle disait sans arrêt “Chez nous, c’est plus colos sal !” et avait ce caractère domi nateur qui m’a tout de suite été insupportable. Par ailleurs, une tante de ma sœur qui était une opposante au régime en Alle magne savait ce qui se passait en Allemagne avec les Juifs et j’ai été très vite éveillé à ces questions. À l’âge de 9 ans, j’étais déjà, et consciemment, un anti Nazi. Càd : Donc quand les Allemands sont arrivés en France, vous avez immédiatement eu ce sentiment de résistance, dès le plus jeune âge ? P.T. : Les Allemands sont arrivés à Saint-Hippolyte le 19 juin 1940, j’avais 12 ans et demi. Dès le printemps, en allant récupérer de la ferraille pour participer à l’effort de guerre, j’ai été écrasé par une camionnette sur le pont de Saint-Hippolyte. Plâtré du torse aux jambes, avec les deux fémurs cassés, je suis resté immobilisé pendant trois mois. Une partie de l’histoire est assez savoureuse : le conducteur de la camionnette qui transportait une vache était un alcoolique notoire, qui était donc ivre quand m’a roulé dessus. Mais à cette époque, le fait d’avoir bu était considéré comme une circons tance atténuante ! Raison pour laquelle les gendarmes m’ont attribué les 3/5 èmes de le la res ponsabilité de l’accident… On n’était alors que dans la drôle de guerre. Càd : Comment avez-vous ensuite vécu les mois et les années sui vantes, avant 1944? P.T. : Dès le mois de juillet quand j’ai été à nouveau sur pieds, j’ai commencé à ramasser des fusils de guerre qui avaient été aban donnés par les soldats à l’arrivée des Allemands. Mon idée, comme beaucoup d’autres, c’était de reconduire les Allemands chez eux! Avec ces fusils, on tirait dans les bois pour s’entraîner à résister. C’était un peu roman tique, mais je me considérais déjà comme un petit soldat fran çais au milieu des Allemands.
sant état de mon accident qui m’empêchait soi-disant de manier les armes. Aujourd’hui encore, je suis surpris de l’aplomb que j’ai eu ce jour-là… Et qui m’a sauvé. Depuis ce temps-là, je n’abandonne jamais. Càd : La résistance s’est ensuite mieux organisée dans votre vil lage ? P.T. : Le fils du maire Michel Lamy a commencé à nous fédé rer en résistance organisée, mais 25 jeunes de Saint-Hippolyte ont été envoyés en prison par les Allemands, ça a complète ment désorganisé le mouvement et dès lors, avec trois copains, on a décidé de se débrouiller et résister ensemble. On a donc continué à nous entraîner au tir les quatre. On était toujours sus pendus au risque qu’on nous dénonce aussi. Deux résistants ont été abattus à Saint-Hippo lyte, d’autres ont été arrêtés. Je P.T. : Mes parents m’ont envoyé à l’école d’horlogerie en octo bre 1943. Je ne revenais qu’aux vacances à Saint-Hippolyte mais je ne pensais qu’à une chose, c’était de poursuivre nos actions. Le 15 mai 1944, à l’école d’hor logerie, on a entendu parler de l’idée d’un débarquement. Tous ces mois à l’Horlo ont donc été très durs pour moi. En résistant, on ignorait encore l’existence des camps de concentration. Dans ma tête, si on était pris, on était pendu ou fusillé. On acceptait ça comme un résultat possible de la Libération. Le 15 mai, le lycée a fermé pour ne rouvrir que le 22 novembre. Les quatre copains, on avait décidé qu’on ferait le coup de feu à Saint-Hippolyte. Morteau avait déjà été libéré le 25 août, Maîche le 30. Saint-Hippolyte le sera le 31, mais définitivement le 6 sep tembre avec l’arrivée de l’armée régulière française. La guerre n’était pas terminée car le front s’est installé autour du Lomont pendant près de deux mois encore. Le 25 août, plus d’un millier de soldats allemands de l’armée Vlassov étaient arrivés à Saint-Hippolyte. Il y avait des obsèques à l’église. Quand la rumeur s’est répandue que les Allemands arrivaient en force, l’église s’est vidée en un clin pense que je suis encore là parce qu’on a décidé de résister indépendam ment au sein de ce petit groupe. Càd : Et ce furent ensuite pour vous les années bisontines ?
Càd: Vous vous souvenez donc de vos premiers actes de résis tance ? P.T. : Très bien. Il y avait une mitrailleuse Hotchkiss de fabri cation française installée sur le pont. Avec des copains, on jouait avec, au moment où trois soldats allemands passaient. Après leur passage, on a démonté discrè tement la mitrailleuse et on a jeté les pièces dans le Dessoubre. C’était mon premier acte de sabo tage ! Càd: Vous étiez conscient des risques que vous preniez? P.T. : Parfaitement. Comme on tirait dans les bois, les Allemands ont fini par s’en rendre compte. En juin 1941, depuis le pont de Saint-Hippolyte, ils se sont mis à nous viser, les balles éclataient autour de nous dans les cailloux, c’était notre baptême du feu. Mais cela ne nous a pas refroidis, de recherche de renseignements. Elle voulait savoir qui faisait quoi, avec qui, et où! Elle a débarqué le 17 septembre 1941. Elle a notamment trouvé chez Henri Tirole, un habitant de Saint-Hippolyte de 21 ans, une quinzaine de fusils et des muni tions. Il fera partie de la centaine de fusillés de la Citadelle. J’ai récupéré la lettre qu’il avait écrite à ses parents et dans laquelle il demande de pardon ner à celui qui l’avait dénoncé. Très touchant… De mon côté, j’avais récupéré également deux revolvers, des armes d’officier, j’avais les fusils également, des munitions, etc. Je les ai sorties de la maison et cachées au bord du Dessoubre, puis dans une faille de rochers un peu plus haut. Mais j’ai tout gardé, je ne m’en suis pas débarrassé. Je me suis forgé dans ces années cet état d’esprit de ne rien lâcher. Un jour que je faisais le guet en haut d’un sapin, ma sœur m’a prévenu que les Allemands étaient chez nous, elle m’a dit : “Tu nieras tout.” Deux types de la Gestapo accompagnés de deux soldats allemands ont commencé à m’interroger en me disant: “Si tu as des armes et que tu ne te dénonces pas, on emmène ton père et on le fusille…” Je ne me suis pas dégonflé, j’ai nié en fai au contraire, nous étions déjà très déterminés. Càd: Les conditions d’occupation se sont dur cies au fil des mois ? P.T. : Oui, au moment où la Gestapo est arrivée et a entamé trois mois
Pierre Taillard aura 97 ans le 25 septembre. L’ancien horloger a été aussi peintre, sculpteur, poète, écrivain et militant pour la défense de la nature. Il n’a jamais baissé les armes.
ties… Une fois de plus, la chance m’avait souri. Càd : Cette période vous a donc forgé à jamais? P.T. : De ce gamin qui était gentil et tranquille, je suis devenu un vrai combattant qui n’aime pas les injustices et qui continue à les combattre. n
mands et je me débarrasse alors du revolver dans le massif d’or ties par un léger déhanchement. Je suis alors fouillé du haut en bas par deux soldats tandis que les quatre autres me mettent en joue. J’ai baissé la tête, j’at tendais qu’ils me collent une balle dans la nuque. Ces orties m’ont sauvé la vie. Depuis, j’ai toujours entretenu dans le jardin de ma maison un massif d’or
d’œil. Il ne restait plus que le curé et le mort… Nous sommes vite allés cacher nos armes, mais j’avais oublié un revolver dans ma poche… Càd : Nouvelle frayeur ? P.T. : Une patrouille allemande de six soldats me siffle. Je repère un massif de grandes orties. Je choisis alors, non pas de me sau ver, mais d’aller vers les Alle
Propos recueillis par J.-F.H.
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“À 12 ans et demi, je me considérais déjà comme un petit soldat français.”
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