Journal C'est à dire 277 - Novembre 2021
D O S S I E R
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Environnement
Le “tourisme du loup”, l’autre sujet qui inquiète La présence de quatre loups sur le Risoux et le Mont d’Or attire photographes animaliers et curieux. Au point que des voix s’élèvent pour demander l’interdiction des “pièges photos” dont l’installation est devenue anarchique. Le grand tétras pourrait pâtir de la forte présence humaine.
A u Marchairuz, en Suisse voisine, le loup déchaîne les passions. Là-bas, à quelques kilo- mètres à vol d’oiseau du Mont d’Or, six adultes et cinq jeunes sont suivis de près depuis l’at- taque de onze bovins dans les alpages. Une manifestation pro- loup a réuni plus de 200 per- sonnes pour dénoncer l’abattage de deux jeunes loups demandée et obtenue par le canton où des équipes se relaient la nuit pour gêner les gardes-faunes dans leur mission. De ce côté de la frontière, le sujet n’est pas si tendu. Il pourrait le devenir. Premiers inquiets, les agriculteurs : “La question n’est pas de savoir si une attaque aura lieu mais quand, résume Guy Scalabrino, agriculteur et mem- bre du comité départemental des grands prédateurs. Pour notre type d’élevage, l’utilisation d’un chien patou pour protéger nos
naturalistes, photographes, curieux. Dans certains secteurs, faites attention si vous voulez soulager une envie pressante, vous pourriez être pris en photo ! Au-delà de la boutade, l’affaire ne fait pas sourire Christophe Guinchard, de l’Office français de la biodiversité : “Entre les per- sonnes qui se baladent seules,
troupeaux est quasiment impos- sible. Il m’en faudrait quatorze pour protéger mes sept trou- peaux.” Au-delà des attaques, le tourisme autour de l’animal inquiète. Pour suivre la population, l’Office français de la biodiversité - en collaboration avec la fédération départementale des chasseurs
en groupe, celles qui viennent voir le lynx, d’autres le grand tétras et maintenant le loup, on note une forte pré- sence humaine sur un territoire qui n’est fina-
du Doubs - déploie des pièges photographiques pour comptabiliser et identifier les loups. Le nombre de ces appa- reils est réglementé, leur positionnement
“Je me fonds dans le paysage, je ne dérange pas.”
Entre 150 et 200 pièges-photos sont installés au Marchairuz et au Risoux pour suivre le loup.
animalier basé à Chaux-Neuve : “Mes appareils photos n’ont pas de flash. Si je l’utilise, c’est d’abord pour apprendre à connaî- tre les populations de loups, et ensuite aller me fondre dans la nature pour faire la belle photo. La photo réussie, c’est lorsque l’animal ne vous a pas vu” témoigne ce passionné capable de passer une nuit dans le bois. Comme le résume ce lieutenant de louveterie qui préfère rester anonyme, “le loup, mieux vaut
lui foutre la paix. C’est un animal intelligent qui a su pendant trois semaines nous narguer à Cha- pelle-d’Huin lorsque nous pro- tégions un troupeau de moutons. Le lendemain où nous avons quitté le camp, après plusieurs nuits de guet, il a attaqué. Il sent de loin la présence humaine.” Le 28 octobre, un jeune cerf a été retrouvé dans un champ de Chapelle-des-Bois, probablement attaqué dans la nuit. n E.Ch.
jamais. Les pseudos naturalistes sont alors contents” explique un professionnel de l’animal qui a aperçu le loup à Rochejean courir après deux cerfs. La Fédération des chasseurs du Doubs, qui tra- vaille au suivi scientifique de l’espèce avec l’O.F.B., veut un arrêté de biotope visant à inter- dire la pose des appareils photo qui se déclenchent la nuit ou la journée en cas de passage devant le faisceau. Un projet que ne comprend pas ce photographe
lement pas si grand. On menace une espèce en danger d’extinc- tion : le grand tétras” résume le spécialiste “tétras”. Dans le Valais suisse, des personnes se sont spécialisées dans le tou- risme du loup. “Elles vous conduisent dans un endroit où vit le loup, vous prennent de l’ar- gent, mais vous ne le voyez
également. L’hiver, ils sont enle- vés et leur pose est calculée pour ne pas gêner la présence du grand tétras, animal en danger critique d’extinction qui déteste devoir s’envoler. Seul problème, les appareils pho- tos ont fleuri pour ne pas dire explosé sur le Mont d’Or et le Risoux. Ils sont posés par des
Lynx
“Le lynx se porte bien dans le Jura, mal ailleurs”
le sujet tendu. Un jeune qui veut faire sa place aujourd'hui doit être costaud. Car au sud de la ligne Besançon-Montbéliard, le territoire est occupé partout par l’animal. Il faut que les popula- tions communiquent, qu’elles s’étendent vers des territoires vierges pour qu’elles trouvent leur seuil de viabilité, c’est là tout l’enjeu de cette population.” consomme une proie, souvent un chevreuil ou un chamois. Pre- mière cause de mortalité : les collisions routières. Quid du bra- connage ? Ce n’est pas si fréquent qu’on peut l’entendre parfois selon l’agent de l’État. “On aurait des informations, on retrouverait des cadavres… Il y a eu l’an der- nier un acte de braconnage avéré, àQuingey” , répond le profession- nel. Après des années d’obser- vation et l’arrivée de nouvelles techniques, les agents revoient leurs analyses grâce aux pièges photographiques disposant de la fonction caméra. Explications : “Nous avons remarqué que de nombreux animaux se blessent. Lorsqu’ils chassent un chamois de 40 kg par exemple, il arrive que le lynx prenne un mauvais coup dans des cailloux, une Une femelle a besoin de 15 000 hectares pour vivre, un mâle 30 000. Chaque semaine, le félin
sous-Cicon qui a terrorisé les chats du secteur pendant plu- sieurs semaines. “On l’a aperçu vers des fermes isolées. Il chassait des chats domestiques” se sou- vient Stéphane Regazzoni,mem- bre de l’office français de la bio- diversité (O.F.B.) et correspondant départemental pour le réseau loup et lynx. En 2021, le félin connu pour sa routières nombreuses cette année tendent à le confirmer puisque le lynx a besoin de trouver de nouveaux territoires pour chas- ser, argument que ne retiennent pas les associations de défense de l’animal.Selon le spécialiste qui a observé pour la première fois l’animal en 1998 dans la Rêverotte, le massif du Jura comptabiliserait 200 à 250 indi- vidus plutôt que 150. Stéphane Regazzoni s’est attiré les foudres d’une association de protection pour avoir déclaré que “le lynx arrivait à saturation des espaces lui étant favorables dans lemassif du Jura.” Entre les associations de protection et lui, le décompte des lynx présents sur le territoire est source de polémique. “Ce sont les territoires favorables qui sont saturés, persiste l’agent qui sait discrétion s’est fait bizarrement remar- quer. Est-ce à dire qu’il y en a beaucoup plus ? Les collisions
Ils seraient 200 individus sur le massif jurassien selon un professionnel. La crainte est celle de la viabilité génétique. En Suisse, plusieurs lynx souffrent d’un souffle au cœur.
falaise. Affaibli, il aura plus de difficulté à attraper d’autres proies. Sans nourriture, il meurt.” C’est là sans doute la principale cause de mortalité. Ce n’est ni plus ni mois que la sélection naturelle. n E.Ch. l 2018 : 3 collisions mortelles à Morteau, Valonne, L’Hôpital- du-Grosbois l 2017 : 5 collisions mortelles Déjà 7 collisions routières fatales en 2021 8 janvier : Jougne 15 janvier : Bonnevaux-le- Prieuré 2 février : Villers-le-Lac 13 mars : Chenecey-Buillon 6 avril : Bonnevaux 13 juin : Morteau 16 août : Orgeans-Blanchefontaine l 2020 : 3 lynx percutés par des véhicules à Jougne (4 avril), Paroy, Ouhans (21 février), et un retrouvémort criblé de plombs à Quingey (27 décembre) l 2019 : 2 collisions mortelles à Mamirolle
L’ an dernier, 16 femelles lynx ont donné nais- sance à au moins deux jeunes, soit environ 30 individus. Début novembre, c’est une automobiliste circulant au Meix Musy à Villers-le-Lac qui a filmé une mère accompagnée
visiblement amaigri - marcher en pleine journée devant le gril- lage de sa maison. Fin octobre, c’est un autre “matou” qui était aperçu non loin d’un poulailler aux Combes, un autre à Pont- de-Roide sur le toit d’une habi- tation et enfin un autre à Arc-
de ses trois jeunes passer devant les phares de sa voiture. Un peu plus tôt en septembre, quatre bébés lynx (ce qui est assez rare) ont été filmés dans la vallée de la Loue. À Grand’Combe-Cha- teleu, un habitant a photographié depuis ses escaliers un lynx -
“Il faut que les populations communiquent.”
Le lynx est chez lui dans le Haut-Doubs (photo A. Prêtre).
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