Journal C'est à Dire 249 - Décembre 2018

J U S T I C E

“À un moment, j’ai eu peur de tout perdre” Sous les projecteurs de l’affaire Alexia Daval, l’avocat au barreau de Besançon Ran- dall Schwerdorffer revient sur cet emballement médiatique hors norme. Il se ver- rait bien enfiler un costume politique pour LaRem. Mais avant, il va défendre l’anesthésiste bisontin qu’il dit innocent. L’avocat Randall Schwerdorffer

C’ est à dire : Jona- thann Daval est revenu sur ses déclarations et avoue avoir tué sa femme Alexia, sans le vouloir. Tout semble plus clair. Selon vous, existe-t-il encore des zones d’ombre ? Randall Schwerdorffer : La plus grosse zone d’ombre n’exis- te plus ! Nous avons compris, il y a deux mois suite à des élé- ments revenus au dossier, que la position de Jonathann Daval n’était plus tenable. Sa derniè- re audition fut compliquée mais il s’accrochait à sa version car au mois de juin elle était - enco- re – crédible. Elle s’est effritée avec le travail de contre-enquê- te réalisé depuis. Càd : Lui avez-vous deman- dé d’avouer ? R.S. : Lors de sa dernière audi- ciée) qui avons demandé des ren- contres individuelles car nous n’avions aucun intérêt à le main- tenir dans une position sans issue pour lui. Càd : Que s’est-il dit lors de cette confrontation dans le bureau du juge au tribunal de Besançon où étaient pré- sents la famille Daval, Jona- thann, et les avocats le 7 décembre dernier ? R.S. : Ce qu’on a vu lors de cet- te confrontation, c’est l’intelli- gence de Maître Florand et l’hu- manité exceptionnelle d’Isabel- le Fouillot, la mère d’Alexia qui l’a complètement pris à contre- pied. Elle est venue sur les sen- timents. La maman d’Alexia a rappelé à Jonathann qu’il avait fait partie de la famille, elle lui a montré la photo du chat par exemple. Les deux premières confrontations furent stériles car elles étaient sur un ton très agressif notamment avec Gré- gory Gay (le beau-frère). On ne peut pas être agressif avec Jonathann, sinon il se renferme sur lui-même ! Càd : Émotionnellement, ce fut un moment fort de votre tion, nous lui avons expliqué que ce serait la meilleure solution pour lui. Ce sont nous (N.D.L.R. : il travaille sur ce dos- sier avec Ornella Spatafora son asso-

carrière de pénaliste. Une première ? R.S. : C’était fort ! Mais j’ai vécu par le passé une partie civile qui s’est levée pour serrer la main de l’accusé principal qui avait tué son père. L’aveu de Jona- thann Daval va peser très lourd dans son procès. Càd : Avez-vous des mots pour la famille d’Alexia ? R.S. : Oui, pour la maman. J’ai trouvé qu’elle avait fait preu- ve d’une humanité exception- nelle, d’une émotion sincère, d’une intelligence dans sa démarche alors qu’elle est pri- se dans un drame absolu. Càd : Comment expliquez- vous l’emballement média- tique ? R.S. : Nous n’avons absolument pas compris l’emballement du départ. J’en suis à ma centième le “ordinaire” qui a pris des pro- portions surréalistes. J’étais encore étonné qu’elle intéresse autant les médias nationaux. Il y a des personnalités qui ani- ment ce dossier, toutes très par- ticulières, des acteurs, avec leurs mensonges, puis leur mystère. Tout cela a créé un feuilleton judiciaire qui passionne au-delà de la réalité. Càd : Vos confrères ont cri- tiqué vos déclarations. Quel- le leçon tirez-vous de votre gestion médiatique de cette affaire Daval ? R.S. : La leçon, c’est qu’il faut éviter de parler dans l’émotion. Chaque mot est disséqué et pas forcément bien compris ou inter- prété. Les phrases sincères peu- vent être lapidaires par la sui- te. Au temps de l’émotion, il faut être prudent sur les déclarations que l’on peut faire. Je ne me trou- ve pas d’excuses mais lorsque vous recevez 200 appels jour au cabinet, qu’il faut gérer toutes les affaires courantes, vous pou- vez à un moment vous faire sur- prendre. Le jour où Jonathann passe aux aveux, j’ai plaidé trois autres dossiers dans la même journée. L’omniprésence des affaire criminelle et des affaires comme celles-ci, j’en ai plai- dé de nombreuses dont on ne parle qua- siment jamais. On est, et c’est dur à dire, sur une affaire criminel-

caméras fait que chaque mot est enregistré, chaque image, com- me celle quand je suis pris en train de fumer dans un bar… Je ne fais pas attention et là les gens disent : “Mais il se prend pour qui lui ?” Càd : Il y a un an jour pour jour, vous étiez traîné dans la boue par vos collègues parisiens au motif que vous n’aviez pas respecté le Code pénal. Comment l’avez-vous vécu ? Que leur répondez-vous aujourd’hui ? R.S. : Je ne réponds rien. J’ai rencontré beaucoup de collègues depuis et avec qui nos relations sont devenues cordiales. À l’époque, ceux que l’on n’enten- dait pas m’ont apporté leur sou- tien à l’instar de Maître Bil- ger, Clarisse Serre, Francis Vuillemin (ancien avocat de Mau- rice Papon), le bâtonnier Pier- re-Olivier Sur notamment. Càd : Y a-t-il de la jalousie de la part de vos confrères bisontins ? R.S. : Avec mes confrères bison- tins, c’est compliqué. Mais aujourd’hui, j’ai de très bonnes relations avec le bâtonnier de Besançon alors que c’était très tendu il y a encore quelques mois. Il a compris que ce dossier était complexe. Càd : Vous confirmez avoir mal géré la pression ? R.S. : On a géré comme on a pu. Je n’ai pas compris que l’on soit sur B.F.M. T.V. en boucle. C’était du délire. Càd : Quelles conséquences pour les affaires du cabinet ? R.S. : J’ai eu peur sur le coup car j’étais très critiqué ! À un moment, j’ai eu peur de tout perdre. J’ai obtenu 15 acquitte- ments depuis le début de ma carrière, ce qui est reconnu régio- nalement, mais on se rend comp- te qu’une seule phrase peut tout détruire. Les gens vous ostraci- sent alors que je fais ce métier depuis 19 ans et on ne m’a rien donné pour en arriver là ! Càd : Qu’est-ce qui vous a le plus déstabilisé ? R.S. : Je n’ai jamais vu sur une affaire autant d’éléments sortir même ces dernières semaines. Ce n’est pas une chose à laquel- le nous sommes habitués régio- nalement. Càd : Vous êtes connu pour avoir soutenu des causes indéfendables, les petits voyous également. Cela res- te votre marque de fabrique ? R.S. : Tous les dossiers sont importants et je ne les nivelle pas. J’ai de la chance d’avoir des associés brillants. À Besançon, nous sommes 16 dans notre cabi- net. Et nous allons ouvrir un autre cabinet à Vesoul en février.

Maître Randall Schwerdorffer

dans son cabinet à Besançon.

plaidé en cour d’assises à Lons-Le-Saunier en novembre pour l’affaire du brocanteur de Thise séquestré et tué. Que pensez-vous de cet avocat sur- nommé “Acquittator” ? R.S. : Il y a lui… et les autres avocats. Ce n’est pas un modè- le pour moi, c’est Jacques Isor- ni mon modèle, l’avocat de Pétain. Dupond-Moretti est quel- qu’un de brillant. Je ne vais pas le critiquer même si lui m’a cri- tiqué, mais cela le regarde. Càd : Que doit-on attendre dans la suite de l’affaire Daval ? R.S. : Une audition, un trans- port sur les lieux, une experti- se psychiatrique, un procès à l’automne 2019. Càd : Si vous aviez installé votre cabinet à Paris, la cais- se de résonance aurait été autre ? R.S. : C’est vrai que nous avons été traités comme des bouseux cé, c’est d’être traité comme si j’étais un avocat commis d’offi- ce. Càd : Vos honoraires ont-ils augmenté depuis tout cela ? R.S. : Ils étaient déjà suffisam- ment élevés. L’affaire Daval n’a rien changé. Càd : Beaucoup de travail en perspective pour votre cabi- net, d’autant que vous êtes chargé de défendre également le Docteur Péchier, soupçon- né d’empoisonnements de patients à Besançon. Qu’en est-il ? R.S. : C’est le dossier le plus lourd que nous avons à traiter pour le cabinet. Je suis convain- cu de l’innocence de ce profes- sionnel de talent dont Besançon est privé ! La justice fait ce qu’el- le veut sur cette affaire et rien mais aujourd’hui c’est fini. C’est scandaleux. Ce parisianisme est pénible mais je n’ai pas peur des avocats pari- siens. Ce qui m’a aga-

péennes ? R.S. : Ce qui m’intéresse en effet, c’est l’Europe. Je souhaite m’en- gager, mais c’est un peu tôt pour se déclarer. Cette élection m’in- téresse, mais la décision ne m’ap- partient pas. Càd : Il faudra pourtant aller vite. Quels contacts avez- vous ? R.S. : Il y a des gens avec qui je parle comme Jean-Louis Fous- seret ou Alexandra Cordier, la référente départementale d’En Marche. J’accorde tout mon sou- tien à Jean-Louis Fousseret car c’est quelqu’un de très impliqué dans la vie des Bisontins, un homme sincère. Son avis comp- te beaucoup pour moi. Càd : Vous ne discutez pas avec Éric Alauzet, candidat déclaré aux municipales à Besançon ? R.S. : Je n’ai pas de contacts avec lui. Je pense que c’est un bon député mais je ne le vois pas autrement qu’en bon député. Càd : Si c’était Alexandre Cor- dier la candidate aux muni- cipales, vous la soutiendriez ? R.S. : Ce ne serait pas ininté- ressant que Besançon ait une femme à la mairie. Pourquoi pas une femme jeune, ancrée sur le territoire. Si cette femme vou- lait se présenter, je la soutien- drai. Càd : Quid d’Emmanuel Macron. Vous a-t-il déçu ? R.S. : On fait tous des erreurs, des erreurs de communication et je sais de quoi je parle. On les paye. Il a pu donner l’image d’un homme qui méprisait les Fran- çais et je ne pense pas que ce soit la réalité. On lui reproche l’état de la France : mais ce n’est pas la faute d’Emmanuel Macron. Je lui maintiens mon soutien. J’ai déjeuné avec lui quand il n’était pas encore can- didat : il m’a laissé l’impression de quelqu’un de très brillant avec une vraie énergie. n Propos recueillis par E.Ch.

ne se sait contrairement à l’af- faire Daval. Je l’ai dit : l’accu- sation est à charge, de façon orientée selon moi. Nous sommes au cœur d’une erreur judiciai- re. Autant dans le dossier Daval, on ne m’a jamais entendu crier “Daval est innocent”, autant dans le dossier Péchier je n’ai pas l’ombre d’un doute sur son inno- cence. C’est très dur d’accom- pagner une personne que l’on sait innocente dans la violence judiciaire destructrice. La per- sonne perd tout. Ce type de dos- sier, c’est l’essence même de notre métier. Càd : Pourquoi le dossier du Dr Péchier est-il verrouillé ? R.S. : Il est dangereux. Les enquêteurs, les magistrats, le parquet de Besançon ont cau- tionné un dossier fou. Ils jouent très lourd professionnellement et en perdent leur objectivité. Nous avons des relations ten- dues avec le parquet, les magis- trats. Mais on ne pliera pas. Càd : Vous aimez les combats. C’est pour cela que vous vous lancez en politique ? R.S. : J’adore la politique mais je ne m’y lance pas. Je suis adhé- rent En Marche au comité d’Or- nans, car j’aime la proximité, la Franche-Comté, Besançon… Je suis heureux d’être un Franc- Comtois adopté. On m’a pro- posé d’ouvrir un cabinet à Paris, j’ai refusé. J’ai des idées, des convictions. La politique doit être au service du citoyen et je suis sensible au combat des gilets jaunes. Je vois des gens qui ont du mal. La politique est là pour améliorer la vie des gens et nos politiques ont perdu la notion de la chose publique. Càd : C’est pour cela que vous vous présenterez aux Euro- Càd : Comment va-t- il ? R.S. : Mal ! Il est bri- sé. Et il n’y a pas que lui, sa famille est très touchée également.

“Avec l’affaire Péchier, nous sommes au cœur

d’une erreur judiciaire.”

“On nous a traités comme des bouseux.”

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Càd : Éric Dupond-Moretti a

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