Journal C'est à Dire 248 - Novembre 2018

V A L D E M O R T E A U

La Grande Guerre a révolutionné l’industrie horlogère Histoire

tage du soldat. Pour autant, pen- dant toute la Grande Guerre, les montres officiellement déli- vrées aux officiers et aux sol- dats britanniques et français étaient des montres de poche. Ceci perdurera jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre Mondiale. Ceux qui voulaient des montres- bracelets devaient soit les bri- coler eux-mêmes, soit les ache- ter sur les propres deniers. Les ventes de montres-brace- lets ont dépassé celles des montres de poche seulement en 1930. n F.C. Beaucoup de ces montres étaient livrées sans marque sur le cadran avec la simple men- tion “Swiss made” sur le mou- vement. Elles étaient souvent habillées de boîtes américaines ou anglaises. Lorsque la guer- re prend fin en 1918, le taux de production en Suisse est tel que le ralentissement brutal des com- mandes met en difficulté de nom- breux fabricants qui se retrou- vent avec d’importants stocks d’invendus. n Les riches heures de l’horlogerie helvétique Dès le début de la guerre, les fabricants du Haut-Doubs ont été comme partout privés des principaux chefs d’ateliers et du personnel mobilisés au front. À cela s’ajoutent les difficultés d’approvisionnement en matières premières et en pièces déta- chées. Sans oublier le besoin de participer à l’effort de guer- re en produisant des pièces d’ar- mement, des munitions, des détonateurs… Dans ces circonstances, même en travaillant 24 heures sur 24, tous ont dû se tourner vers la Suisse pour importer des mou- vements et des horlogers. Le volume exceptionnel et l’urgence imposés par les armées de tous les pays en guerre ont finale- ment contraint des maisons hor- logères suisses comme Ulysse Nardin ou Vacheron Constan- tin à se tourner vers la sous-trai- tance, chose inimaginable dans l’univers de l’horlogerie.

Ce conflit, dramatique sur le plan humain, fut aussi à l’origine de nombreuses avancées technologiques dans l’armement mais aussi dans l’horlogerie en accélérant par exemple le passage de la montre de poche à la montre-bracelet. Il confortera aussi l’avènement de l’in- dustrie horlogère suisse.

L a montre de poche ou montre-gousset fut déjà en soi une petite révolu- tion qui remonte à la deuxième moitié du XIX ème siècle. “Elle traduit une mutation sociale et technique de l’heure collective vers l’usage individuel de l’heu- re. La montre de poche déclenche alors un essor formidable de l’in- dustrie horlogère avec l’appa- rition d’unités de production mécanisées aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne, en France, en Suisse” , rappelle Jean-Claude Vuez, passionné d’horlogerie à l’origine de l’ex- position “De la poche au poi- gnet”. Au début du XX ème siècle, les impératifs militaires donnent une nouvelle impulsion à l’heu- re individuelle d’une part et à la montre-bracelet dont les pre- miers exemplaires ne sont que des adaptations de la montre de poche pourvue d’anses où se glisse une chaînette permettant le port au poignet. “On en ver- ra notamment lors de la guerre des Boers en Afrique du Sud qui se déroula de 1899 à 1902.” Plusieurs sociétés se partagent en quelque sorte la paternité de la montre-bracelet : “Dimier Bro- thers & Co”, la maison Cartier, Rolex… Dans les tranchées, la consultation de la montre de poche se révèle vite contrai- gnante. Pas facile à extraire ou à ranger dans le gousset, elle peut aussi aggraver d’éven- tuelles blessures si touchée par un éclat d’obus. Les soldats ont donc ressenti assez vite l’inté- rêt de la porter au poignet. “L’évolution s’est faite de façon progressive. Au départ, il s’agis- sait de mettre la montre-gous- set dans un bracelet porté sur le poignet droit tout simplement parce que l’on avait l’habitude de consulter sa montre de poche en la tenant au creux de la main droite. Une erreur car c’est sou- vent le bras le plus sollicité donc celui où la montre est la plus malmenée.” Le passage à la montre-brace-

let induit aussi une miniatu- risation du format. On adapte d’abord les montres féminines, ce qui n’est pas sans susciter quelques mâles réticences. La mise au poignet implique de basculer le remontoir de 12 heures à 15 heures D’autres détails vont peu à peu s’impo- ser. L’œil n’étant pas encore habitué à une lecture rapide sur une montre qui n’est pas tenue en main, d’où l’adoption du 12 ou XII en rouge pour faciliter l’orientation du regard. Les anses soudées sont remplacées par les cornes positionnées à 12 heures et 6 heures Les gros chiffres arabes plus lisibles se substituent aux cadrans à chiffres romains. Peu à peu se dessine le style de la montre militaire dite montre de tran- chée ou “trench watch”. Au début, les boîtes des pre- mières montres-bracelets ont des fonds à charnière comme les montres de poche. Certains points communs vont subsister comme la grosse couronne de remontoir très cannelée facile à actionner avec les doigts engourdis par le froid ou avec des gants. Le verre reste le point vulnérable de la montre-brace- let. Les fabricants vont mettre au point des dispositifs de protec- tion ingénieux : coque métal- lique, grille de protection plus ou moins ajourée. Autre évo- lution pratique avec l’appari- tion sur certains modèles d’un double marquage de taille et de couleur différenciés pour faci- liter la lecture de l’heure sur 24 heures. La question de lisi- bilité des montres se pose aus- si dans le fond des tranchées. La solution viendra en 1915 d’une invention de Marie Curie avec l’application de peinture au radium sur les aiguilles. Une trouvaille qui aura aussi de graves conséquences sur la san- té du personnel chargé d’ef- fectuer cette opération. La montre s’impose rapidement un élément indispensable du paque-

Jean-Claude Vuez passionné d’horlogerie fait découvrir les spécificités des montres des poilus à Grégory

Maugain, le conservateur du musée de l’horlogerie à Morteau.

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