Journal C'est à Dire 176 - Avril 2012

D O S S I E R

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Maîche Guy Vergon a fait partie des rappelés Quand il rentre à Maîche en janvier 1955 après 18 mois de service national, Guy Vergon ne se doute pas que la France va à nouveau avoir besoin de lui quinze mois plus tard. Direction l’Algérie où ce que l’on appelle pudiquement “les événements” ressemble à s’y méprendre à une guerre.

À son retour du service, Guy retrouve sa vie d’avant dans le civil. Ses parents sont commerçants à Maîche où ils tiennent le maga- sin “Au bon accueil. Aîné de la famille, lui a choisi l’horlogerie après un apprentissage chez Relliac. En janvier 1955, c’est donc ce métier qu’il retrouve.

Mais quinze mois plus tard, en mai 1956, une lettre arrive

Marseille dans un train qui cir- culera de nuit, sous escorte,

idée en tête : “Qu’est-ce qui nous attend là-bas ?” Il ne va pas tarder à le savoir. Dès la première nuit, les sol- dats français sont placés dans des wagons, à même la paille, sous haute surveillance. Et là, au cœur de la nuit, cinq gardes vont être égorgés, indiquant très vite aux nouveaux arrivants qu’ils sont arrivés dans une zone de guerre. De la ville de Tlem- cen, le jeune homme part pour le djebel Meffrouch où, avec ses compagnons d’armes, il est char- gé de surveiller le tunnel reliant l’Algérie au Maroc. Objectifs, éviter que celui-ci soit détruit et contrôler d’éventuels pas- sages suspects. Les missions sont nombreuses, qu’il s’agisse d’être héliporté sur des sites sensibles ou d’escorter la légion étrangère, avec à chaque fois le danger qui est bien présent. La preuve, plus bas, en ville, dou- ze soldats sont tués dans une embuscade rappelant à tous qu’il faut être très vigilants et que les attaques peuvent arri- ver de partout, tout le temps. Alors, le sous-officier Guy Ver- gon accomplit sa mission de sur- veillance avec efficacité et pru- dence, multipliant les arres- tations, les confiscations d’armes,

demandant à Guy Ver- gon de regagner Metz, sans plus de précisions. Là, il retrouve d’autres jeunes gens du secteur, rappelés comme lui et

preuve de la tension qui règne à l’époque et du climat d’insécurité que cela implique. Embar- qué sur le bateau “Vil- le de Tunis”, Guy pas-

Confisquer couteaux et miroirs.

qui après quelques jours en caserne vont être convoyés à

se sans encombre les 26 heures de traversée avec toutefois une

Témoignage Les copains de Pontarlier se souviennent Eux aussi avaient à pei-

L eur visage alterne entre sourires et gravité. Leurs souvenirs entre anecdotes légères et drames enfouis. Comme tous les autres Français envoyés de l’autre côté de laMédi- terranée pour “maintenir l’ordre”, ils ne savaient pas bien ce qu’on attendait d’eux. “À 20 ans, on n’était pas mécontents de par- tir” note le Pontissalien Marcel Bianqueti pour illustrer l’insouciance de ces jeunes sol- dats dont certains auront pas- sé plus d’un an en Algérie. D’autres, à l’image de Camille Martin, ont été rappelés là-bas. “J’ai fait mon service militaire en Autriche pendant un an, puis six mois en France. La quille est arrivée en avril 1954 et en mai 1956 on me rappelait pour partir en Algérie !” dit le retrai- té pontissalien. “On venait de se marier” ajoute discrètement son épouse Ginette. Pour tous, ce fut donc la sur- prise et la découverte d’un conflit qui les dépassait. Les premiers appelés l’ont été en 1954, au sor- tir de la guerre d’Indochine, les derniers après les accords d’Évian du 19 mars 1962 aux moments terribles des attentats perpétrés par l’O.A.S. Certains de ces Pontissaliens étaient pos- tés au plus près des conflits, dans le djebel algérien. D’autres, ne plus de vingt ans quand on les a envoyés sur le front algérien. Le journal C’est à dire a réuni ces Pontissaliens qui racontent, ensemble, leur guerre d’Algérie.

plus loin, à l’image d’Alain Barthe qui aura passé 8 mois tout au Sud de l’Algérie, “la région du pétrole et des essais nucléaires français” en tant que responsable de la poste d’un vil- lage du Sahara. Il était égale- ment chargé de payer leurs pen- sions de retraites aux anciens combattants algériens qui étaient aux côtés de la France en 39-45. Il a connu la derniè- re période de la guerre d’Algérie. “On n’avait pas le choix, il n’y ces jeunes avaient pourtant été “conditionnés poursuit M. Barthe. On était dans l’esprit de nos parents qui avaient fait 39-45 avec l’esprit de patrie. Jamais on n’aurait envisagé de ne pas faire notre service mili- taire. De toute façon c’était obli- gatoire pour celui qui voulait faire un concours de l’administration” précise l’ancien postier. “On nous a dit il faut aller là-bas, alors on y est allé” ajoute Michel Arrigoni qui a pas- sé un an en Algérie, entre 1958 et 1959. C’est une fois sur le sol algérien que ces jeunes appelés ont vite pris conscience de la réalité de la guerre. Sans pour autant en saisir les enjeux. “On n’avait aucune information sur l’évolution du conflit” dit Mar- cel Bianqueti. “En France, le gouvernement changeait tous les trois jours, c’était incompré- avait pas à discuter dit- il lui aussi. Un mot de trop et on nous envoyait en arrêt de forteresse à Bitche en Moselle.” Appelés dans l’innocence de leurs vingt ans, tous

Guy Vergon avec en main une photo de lui en Algérie dans les années cinquante.

hensible. Et pas sûr qu’on com- prenne tout encore aujourd’hui” ironise Alain Barthe. Michel Bez, lui, sera resté deux ans là- bas. De quoi engranger des sou- venirs qu’il garde pourtant bien enfouis, et qu’il a eu peu l’occasion de raconter dans sa vie, comme ses camarades d’ailleurs. Pierre Barthod, autre Pontissalien, était en Algérie de septembre 1958 à juin 1959. 28 mois de service militaire dont 10 en guerre. Il était chargé l’ont donc tous vu en face, ou à côté. “Dans une embuscade, on a perdu une douzaine de nos camarades” raconte Camille Martin. Là aussi, le culte du silence et de la discrétion pré- valait. “Quand il y avait un mort, les gendarmes venaient au domi- cile des parents à la tombée de la nuit en demandant de ne pas ébruiter les choses. “Vous vou- lez qu’on rapatrie le corps en France ? Alors ne dites rien” disait-on aux parents” poursuit Alain Barthe. Cette chape de silence a duré pendant tout le conflit. Le silence, ces Pontissaliens ten- tent de le briser 50 ans plus tard, même si, reconnaît M. Arrigoni, “on n’a jamais eu envie d’en par- ler et on ne le fait jamais.” “Nos proches n’ont même jamais su ce qu’on était allé faire là-bas” ajoute Michel Bez. La plupart d’entre eux ont eu à se servir de leur arme. “On tirait, on n’avait pas le choix non plus” lâche un de ces anciens combattants. “Dans certaines situations, c’était le gars en face, ou moi. Alors quand on est derrière un mur et qu’on voit bouger, on tire” ajou- te cet autre Pontissalien le regard encore troublé. La guerre d’Algérie aura fait 30 000 morts côté français, sur 1,340 million de jeunes Fran- çais appelés là-bas. Du côté algé- rien, le bilan est beaucoup plus lourd : plus de 500 000 victimes, civiles ou militaires. Pour quel résultat ? Les Pontissaliens témoins de ce conflit se le demandent encore. J.-F.H. de surveiller les “zones d’insécurité”. “Il pouvait se passer six mois sans aucun accrochage et tout d’un coup, notre lieute- nant a été tué par une grenade.” La mort, ils

couteaux mais aussi les miroirs, petits objets anodins qui per- mettaient aux fellaghas de com- muniquer entre eux dans les montagnes algériennes. Le jeune soldat quittera l’Algérie pour la Tunisie en sep- tembre 1956 puis rejoindra la France deux mois plus tard, défi- nitivement cette fois. Il retrou- ve alors le Haut-Doubs en se

posant beaucoup de questions sur cette guerre et sans hésiter à en parler autour de lui. Guy, qui a reçu la croix du combat- tant a aujourd’hui encore ces mois en Algérie bien gravés dans sa mémoire. Des mois qu’il pour- rait résumer en une phrase : “On n’avait pas demandé à aller là-bas…” D.A.

“On tirait, on n’avait pas le choix.”

De gauche à droite, Alain Barthe, Marcel Bianqueti, Michel Arrigoni, Pierre Barthod, Camille Martin et Michel Bez. Tous ont combattu en Algérie.

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