Journal C'est à Dire 176 - Avril 2012
D O S S I E R
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Au lendemain des accords d’Évian
La tragédie des harkis laisse la plaie ouverte Les harkis avaient choisi de se battre pour la France. Elle les a abandonnés. Alors que Georges Pompi- dou déclarait à l’Assemblée nationale que “toutes les dispositions ont été prises pour qu’il n’y ait pas de représailles”, ils ont été massacrés par milliers après l’indépendance.
sant cela, ils s’exposaient à des sanctions, mais l’honneur était plus fort. Jean et Geneviève Gri- zard en ont fait l’expérience. Ils s’occupaient de harkis qui arri- vaient en France, cherchaient à les héberger et à leur trouver du travail. Cela leur a valu un rappel à l’ordre de la part du préfet de la région où ils étaient installés. “Les militaires comme moi n’ont jamais accepté le sort réservé aux harkis” raconte le colonel Grizard. “Reconnaissance et vérité sont indispensables aujourd’hui pour laver l’honneur de ces hommes et de ces familles que l’histoire et le pouvoir de l’époque ont injustement anéan- tis. En France comme en Algé- rie. Par les voix les plus auto- risées, le gouvernement ne leur avait-il pas promis la protection de la France ?” écrit encore le général Meyer. “Venez à la Fran- ce, elle ne vous trahira pas” avait déclaré le Général de Gaulle. Des paroles qui résonnent enco- re amèrement dans la tête de beaucoup de harkis qui ont dû attendre le 25 septembre 2001 pour obtenir de la France un cours d’une cérémonie, “rend solennellement hommage au patriotisme des harkis ainsi qu’à leur fierté de combattant” racon- te le général Meyer. Est-ce suf- fisant ? Non, car il reste beau- coup à faire pour que ces soldats qui se sentaient Français soient reconnus en tant que tels. Pour la plupart, ils avaient en exemple leurs pères qui s’étaient battus sous le drapeau tricolore lors de la dernière guerre mondiale. Ils ont payé de leur vie pour libé- rer la France. T.C. début de recon- naissance. Ce jour- là, le président de la République Jacques Chirac, au
que j’avais de m’en sortir. Les trois quarts des harkis et des supplétifs algériens n’ont pas eu cette chance. Ils ont été massa- crés au lendemain du cessez- le-feu et personne n’a bougé. Cela m’est resté en travers de la gor- ge” raconte le militaire en retrai- te dans le Doubs, qui n’est jamais retourné en Algérie. Le silence de la France sur le destin de ces soldats pèse com- me une chape de plomb sur le cœur de Mohamed qui s’est rési- gné à l’accepter car trop de temps s’est écoulé depuis les événe- ments. Mais une plaie reste ouverte. “Notre sacrifice n’a ser- vi à rien. C’est ce que je regret- te aujourd’hui” soupire le soldat qui a débarqué en France “avec le sac à dos de l’armée françai- se” et ses yeux “pour pleurer.” Les harkis ont pourtant tenu un rôle majeur dans ce conflit. Ils étaient des appuis importants des commandos qui crapahu- taient dans les montagnes de Kabylie. “Nous connaissions tous les secteurs, le terrain, les caches des rebelles. Nous étions au pre- mier rang” poursuit Mohamed. nés, livrés à la merci d’un adver- saire défait dans la lutte armée, mais vainqueur politique et qui naturellement les vouait à l’élimination” écrit le général François Meyer dans son livre “Pour l’honneur… avec les har- kis” (C.L.D. Édition). Beaucoup d’officiers français ont, comme lui, pris l’initiative de contour- ner la consigne qui avait été don- née, refusant d’abandonner à leur sort leurs compagnons de combat algériens, organisant leur rapatriement en France, clandestinement parfois. En fai- Les autorités fran- çaises auraient dû saluer leur engage- ment. “Au contraire, ils ont été abandon-
Les chiffres diffèrent, mais il semble que plus de 200 000 mili- taires musul- mans et sup- recrutés locale- ment pour ren- forcer l’armée française) ont combattu le mouvement indépendantis- te en Algérie. Environ 70 000 auraient été rapatriés. plétifs (des autochtones
E ncore aujourd’hui, pour beaucoup d’Algériens, ils restent des traîtres. Quant à la France, elle peine à faire son travail de mémoi- re sur son rôle dans l’abandon de ces hommes qui furent massacrés
par milliers, victimes d’une épu- ration sauvage, au lendemain des accords d’Évian. On estime que plus de 70 000 d’entre eux (les chiffres diffèrent selon les sources), ont été traqués et assassinés dans leur pays par le F.L.N. en signe de
représailles.Une double peine sor- dide pour ces combattants. Eux, ce sont les harkis, les grands per- dants de la guerre. Ces Algériens avaient fait le choix de se battre aux côtés de la France contre les rebelles. Ils
ont payé cher et pour longtemps le prix de leur loyauté. “Lorsque des familles avaient été persé- cutées par le F.LN., souvent les fils devenaient des harkis. Ain- si nous avons constitué des équipes de harkis dans les com- pagnies” raconte le colonel Jean Grizard. Des sections de harkis armés s’organisaient aussi dans les villages pour en assurer leurs protections suivant le principe de l’auto-défense. S’ils se battaient sous le dra- peau tricolore, la majorité de ces combattants n’avaient pas le statut de soldat français à l’inverse de Mohamed (le pré- nom a été changé) qui s’est enga- gé en 1957 dans l’armée à la sui- te de son service militaire. “Si je ne m’étais pas engagé, et si je n’avais pas été aidé par des officiers, jamais je n’aurais pu rentrer en France au lendemain de la guerre. C’était le seul moyen
“Reconnaissance et vérité indispensables.”
Mada gas car Invité d’honneur
Association F.C.R.T.G. Vers le partage d’une histoire commune Président de l’association des francs-comtois rapatriés toute génération, Djilalli Sahlaoui souhaite qu’un jour, Français et Algériens puissent réfléchir sereinement à cette guerre pour partager une histoire commune admise par tous.
D ans le Doubs, on recen- sait environ 500 familles de harkis. “Nous en gérons près de 80 sur tout le département. Une quarantai- ne de harkis sont encore en vie” précise Djilalli Sahlaoui. Lui-
naturellement l’association, “c’était pour donner un coup de main aux anciens qui ne savaient pas toujours lire ou écrire. Ils avaient besoin de la deuxième génération. Je me suis engagé aussi pour connaître mon histoire.” des harkis à travers des struc- tures associatives telles que la F.C.R.T.G. Avec le temps, les objectifs ont changé. “Avant, les harkis étaient mobilisés, sur- tout pour obtenir une indem- nisation de la part de l’État français, consécutive à leur engagement. Maintenant, nous C’est justement à la seconde génération que revient désormais la tâche de porter la voix
travaillons plus sur la mémoi- re et la reconnaissance.” Un demi-siècle vient de s’écouler depuis la fin de la guerre d’Algérie. Ce que sou- haiterait Djilalli Sahlaoui, c’est que de part et d’autre de la Méditerranée, chacun fasse un travail de réflexion sur cette guerre, et que chacun recon- naisse ses responsabilités, “afin que Français et Algériens puis- sent s’entendre sur une his- toire commune partagée et admise par tous. Alors nos deux peuples pourront se regarder en face et repartir sur de bonnes bases.” Un chantier lourd, mais c’est à ce prix que sera éta- blie la vérité lavée d’amertume, de silences, et de passions.
même fils de harki, il est président de l’association des francs- comtois rapatriés toutes générations
“Se regarder en face.”
(F.C.R.T.G.) Il avait cinq ans lorsqu’il est arrivé au camp de Valdahon au lendemain de la guerre d’Algérie avec son père militaire et toute sa famille. Djilalli Sahlaoui a été sensi- bilisé à la cause dès harkis dès son plus jeune âge. Au départ, lorsqu’il a rejoint
©Créditphotos:MalagasyMahay-P.E.Féga
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