Journal C'est à Dire 176 - Avril 2012
D O S S I E R
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Parcours Ils ont laissé un peu de leur cœur en Algérie Lorsqu’ils ont quitté l’Algérie en 1961, c’était avec l’idée d’y revenir
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pour s’y installer plus durablement. L’histoire en a décidé autrement. Les accords d’Évian du 19 mars 1962 ont anéanti les espoirs de Geneviève et de Jean-Roch Grizard de retrouver la Kabylie, une région avec laquel- le ils avaient noué des liens indéfectibles malgré la guerre. “J’ai laissé la moitié de mon cœur en Algérie. La plus belle” confie Geneviève d’une voix pleine d’émotion. Un demi-siècle s’est écoulé, mais leurs souve- nirs sont intacts. Ils n’ont pas oublié l’Algérie où ils se sont connus “sur le piton kabyle.” Lui était officier dans un bataillon du génie. Elle faisait partie d’une équipe médico-sociale itinérante (E.M.S.I.). Installés à Besan- çon, le colonel Grizard, 80 ans, et son épouse Geneviève, 83 ans, entrou- vrent la porte de leur mémoire pour nous faire partager leur histoire dou- loureuse à bien des égards. Témoignages croisés.
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Geneviève Grizard Sa vie d’E.M.S.I. Pendant la guerre d’Algérie, Geneviève Grizard faisait partie d’une équipe médico-sociale itiné- rante. Elle avait pour mission d’aider les femmes et les enfants dans les villages les plus reculés.
avait l’habitude de cultiver, de ses moutons qu’elle n’avait pas pu emmener. Bien que protégés et aidés sur le plan matériel, ces gens subissaient la situa- tion” estime Geneviève. En revanche, dans ces grands centres, la vie des femmes et des enfants semblait plus heu- reuse. “Il y avait des écoles ani- mées par des instituteurs qui étaient des militaires du contin- gent. Il y avait aussi un centre féminin où les femmes venaient pour se retrouver avec leurs amies kabyles. C’était pour elle des lieux d’ouverture” raconte Madame Grizard. Là, elles ren- contraient aussi des E.M.S.I. qui leur donnaient des conseils pour soigner les enfants, sur les règles d’hygiène, leur appre- naient à coudre, à tricoter. Leur mission était de donner aux femmes les moyens d’améliorer leur quotidien. “Les échanges se passaient magnifiquement entre les “autochtones” et les équipes.” Plus tard, Geneviève Grizard s’est enfoncée au cœur de la Kabylie pour intervenir, tou- jours dans le cadre de sa mis- sion médico-sociale, dans des villages de montagne isolés mais sécurisés par l’armée françai- se. “Il y avait à chaque fois un centre féminin où les femmes venaient librement. L’ambiance était joyeuse. Je me souviens m’être baladée un jour dans un village avec mon tricot. Cela intriguait les hommes qui rapi- dement ont voulu un pull. Je leur ai dit qu’il fallait que leurs femmes filent la laine, et que de leur côté ils devaient leur fabri- quer des aiguilles à tricoter. Et nous avons tricoté des pulls avec de la très jolie laine. Les femmes
m’ont dit qu’elles voulaient elles aussi un pull. Je leur ai dit : non Mesdames, pour vous, nous tri- coterons des vestes” se souvient avec plaisir Geneviève en ajou- tant : “L’action des E.M.S.I. était très positive. J’étais heureuse au milieu de ces gens-là.” Très vite, ces équipes itinérantes ont accueilli comme nouvelles collaboratrices des jeunes filles algériennes après qu’elles aient suivi une formation. “Elles avaient décidé de venir travailler avec nous. Elles étaient motivées et intelligentes. On les appe- lait les “harkettes” par opposi- tion aux harkis.” Malheureuse- ment, au lendemain des accords d’Évian, beaucoup de ces femmes musulmanes qui avaient été en contact avec l’armée française et les E.M.S.I. connaîtront le même sort que les harkis. “Elles ont été violées, torturées, assassinées déplore Jean-Roch Grizard. Certaines ont pu venir en France.” La mission des équipes s’est arrêtée en 1962, laissant dans l’amertume beaucoup de ces E.M.S.I. Elles ont eu le senti- ment d’avoir œuvré pour rien à créer du lien social et à amé- liorer la condition des femmes. Quand elles l’ont pu, certaines ont encore organisé le rapa- triement de harkis. “Je me sou- viens qu’à cette époque-là, alors que nous étions en France, nous recevions tous les jours des appels au secours d’Algérie.” Un sou- venir douloureux pour le couple Grizard qui a aidé comme il le pouvait les harkis lâchés par la France. Ces deux Bisontins sont encore très proches de la com- munauté harkie de Franche- Comté.
O n parle peu des équipes médico-sociales itiné- rantes (E.M.S.I.). Pour- tant, la mission huma- nitaire des E.M.S.I. était essen- tielle jusqu’à la fin de la guer- re. Créées en 1957, ces unités composées de jeunes filles
“métropolitaines” surtout allaient dans les villages pour aider les femmes et les enfants, pour se consacrer aux malades et aux vieillards, et plus tard aux har- kis et à leurs familles. Un tra- vail souvent harassant, mené dans des conditions difficiles, parfois au péril de leur vie, mais qu’elles faisaient avec leur cœur. Geneviève Grizard faisait par- tie d’une de ces équipes. Fille de militaire, elle est arrivée enAlgé- rie en 1947. Son diplôme d’éducatrice en poche, elle a com- mencé par travailler à l’hôpital d’enfants de Beni Messous, avant de rejoindre en janvier 1960 un camp de regroupement en Kaby- lie de plusieurs milliers de per- sonnes. Ces camps avaient été amé- nagés par les autorités fran- çaises pour accueillir les popu- lations évacuées des zones inter- dites “pour qu’elles n’aient pas à subir les exactions des rebelles” précise Jean-Roch Grizard. Vider les villages de leurs habitants, et démonter les toits des habi- tations était aussi une maniè- re de priver les combattants du F.L.N. de moyens logistiques sur lesquels ils auraient pu s’appuyer. “J’ai découvert beau- coup de misère due au déraci- nement de cette population pay- sanne coupée de ses terres qu’elle
Jean-Roch et Geneviève Grizard ont vécu plusieurs années en Algérie durant la guerre.
pour parfaire sa formation dʼofficier, il rejoint le 14 juin 1957 un bataillon de génie “qui faisait du combat et de la pacification en Kabylie.” La situation sʼest apaisée en Kabylie à partir de juillet 1959. Officier en charge de la pacification, Jean-Roch Grizard sʼest investi dans de nouvelles missions qui avaient pour objectif dʼaméliorer la vie des populations. “On relançait lʼagriculture, on faisait des travaux forestiers, on ouvrait des pistes. Jʼétais bien accepté” se souvient Jean-Roch Gri- zard. Cʼest avec cette image quʼil a quitté lʼAlgérie en 1961 pour Angers. Il aurait voulu revenir dans ce pays avec son épouse pour rejoindre une sec- tion administrative spécialisée. Les S.A.S. avaient été créées en 1955 pour apporter une assistance sociale, scolaire et médicale aux populations rurales au nom de lʼAlgérie Française.
Jean-Roch Grizard “Nous avons établi des contacts très forts” E n 1956, lʼofficier Jean-Roch Grizard part dans le Nord Constantinois, région montagneu- se et boisée, avec un bataillon du génie. “Jʼy ai passé huit mois. Jʼai participé à la construc- tion dʼune piste de 15 km en pleine montagne, à plus de 1 000 mètres dʼaltitude, pour permettre aux hélicoptères de se poser pour ravitailler les troupes qui opéraient dans le secteur. Nous étions 200 gars perdus dans la nature” se souvient-il. Son parcours ne sʼest pas arrêté au bout de cet- te piste. Après un bref retour en France, à Angers
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