Journal C'est à Dire 174 - Février 2012

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Lausanne L’école suisse face à l’afflux d’élèves français Reconnue mondialement, l’école polytechnique fédérale de Lausanne attire des étudiants étrangers toujours plus nombreux. Ils sont 1 300 Fran- çais à y préparer un diplôme d’ingénieur. L’E.P.F.L., financée par le contri- buable suisse, revoit à la hausse les conditions d’entrée.

Vie entre étudiants Axelle, de Xavier-Marmier à Polytechnique À 21 ans, la Pontissalien- ne ne regrette surtout pas son choix éducatif. Elle n’a jamais ressenti de tensions avec les Suisses. L es partiels terminés, Axel- le va souffler. Peut-être dans sa famille, à Pontarlier. À 21 ans, la jeune femme termi- ne sa troisième année en sciences du vivant à lʼE.P.F.L., école découverte lors dʼun forum dʼinformation à lʼorientation alors quʼelle était en terminale au lycée Xavier-Marmier de Pontarlier. Entre médecine ou lʼE.P.F.L., son choix a été vite tranché. Les points positifs ont eu tôt fait de la convaincre : “Proximité avec Pontarlier, école réputée, cadre de vie, tuteurs pour conseiller” étaient autant dʼéléments garan- tissant un apprentissage de qua- lité pour elle. “Mon père, ingé- nieur en Suisse, mʼa poussé également vers cette école” ajou- te Axelle Vallet. Française, elle a pu louer un appartement à Ouchy, dans la banlieue de Lau- sanne pour un loyer de 700 C.H.F. par mois. Si elle avoue peu fréquenter les Suisses une fois les cours terminés, elle nʼévoque aucune tension des Suisses envers les Français. “Il y a plein de nationalités ici. Aucun problème avec cela. Tout se passe très bien” dit-elle. Lʼannée prochaine, elle pourrait quitter la Suisse pour les États- Unis afin dʼy faire un stage en entreprise en bio-ingénierie avant de revenir, pourquoi pas, dans un grand groupe basé en Suis- se. La Française pourrait, à son tour, devenir frontalière. Ici et plus quʼailleurs, les étudiants savent que lʼavenir économique est ici, en Suisse.

Le centre d’études de l’école polytechnique de Lausanne offre d’excellentes conditions de travail, financées en partie par le privé.

U n bâtiment futuriste, telle une soucoupe volante posée délica- tement au bord du magnifique Léman. C’est ici, à Lausanne, que 7 762 élèves révi- sent leurs cours dans le “Rolex learning Center”, nomdonné à ce lieu d’études de 900 places et abri- tant une bibliothèque de 500 000 ouvrages. Dans un cadre unique, L’école polytechnique fédérale de Lau- sanne forme des ingénieurs et architectes de niveau Master (Bac + 5) encadrés par près de

Yale et au 2 ème rang des insti- tutions européennes. Normal donc qu’un élève y décrochant un diplôme ait 98 % de chances de trouver un job d’ingénieur dans les 6 mois suivants. Mieux, le premier salaire dépasse les 65 000 euros par an. Visiblement, les élèves français sont séduits. L’entrée se déci- de sur dossier : il faut au mini- mum avoir eu son Bac Scienti- fique avec une moyenne égale ou supérieure à 14/20 dans les branches de maths, physique, français et une langue vivante. “Les Français sont 1 300 étu- diants et doctorants” rapporte Maya Frühauf, responsable du domaine de la promotion des for- mations Bachelor. “Ce sont de bons élèves qui ont un niveau plus élevé que les Suisses lors- qu’ils arrivent. Au cours des années, cette différence de niveau s’estompe… Soit les Suisses se mettent au niveau des Français ou inversement” déclare de son côté Daniel Chuard, responsable du domaine de la formation.

3 000 scientifiques. Personne ne cache qu’une partie des bâti- ments a été financée par des entreprises privées com- me Rolex, mais aussi Nestlé, le Crédit Suisse, Novartis, Bouygues et Logitech. En Suis- se, la vie étudiante se fait à la méthode américaine, à l’image d’un campus. Qualité de vie et qualité de travail donnent à cet- te école publique une renommée mondiale. L’école est classée 32 ème dans la hiérarchie des univer- sités au monde, derrière Cam- bridge, première, Harvard ou

Leur nombre fait parfois réagir nos voisins. L’école, publique, est en effet financée par les impôts des contribuables suisses per- mettant à l’E.P.F.L. d’offrir un coût d’inscription beaucoup moindre qu’une grande école. Comptez 630 C.H.F. par semestre (environ 1 000 euros par an). Ajoutez à cela les frais annexes que sont le logement, très cher ici, la nourriture, et vous obte- nez une année d’étude à envi- ron 22 000 C.H.F. C’est le prix à payer pour bénéficier de filières généralistes et spécialités introu- vables en France, comme celles proposées dans le domaine de l’environnement, le niveau de l’école, des professeurs parmi les meilleurs chercheurs, 190 possibilités d’échange avec les meilleures universités euro- péennes, américaines, russes ou asiatiques, des stages en entre- prise, etc. “Selon les retours qu’on a d’entreprises comme IBM, Nokia, Google, nos étudiants sont très appréciés lorsqu’ils y vont en stage” ajoute Maya Frühauf qui se réjouit que les accords bilatéraux aient facilité les choses. “Aujourd’hui, 125 natio- nalités sont représentées sur le campus” , calcule-t-elle. Les ten- sions sont inexistantes. Si les jeunes se chambrent, c’est réglo. En revanche, la question du loge- ment demeure l’un des points noirs de l’école qui construit néanmoins en ce moment près de 500 chambres, financées par l’entreprise Crédit Suisse qui

(re)louera ses logements aux étudiants. L’occasion de pal- lier ce déficit tout en créant un immense centre de congrès. Pour ceux ne maîtrisant pas la langue française, il leur est plus difficile de trouver un appar- tement loué par un résident suis- se. “Nous tentons de communi- quer dans ce sens-là afin d’ouvrir la location à plus de monde.” Au début d’année, il est arrivé que des jeunes dorment quelques jours au camping, en bord de plage, faute d’avoir trouvé un lit où dormir. Il n’empêche, l’établissement a compris que sa diversité faisait sa force. “Le bouche à oreille fonctionne très bien et c’est vrai que nous avons toujours plus de demandes d’étudiants. Si cette part d’étudiants étrangers est visible, c’est une force car ils participent à la valeur ajoutée. Pour les trois quarts d’entre eux, ils dévelop- pent des start-up dans notre pays et assurent 8 % de croissance. C’est une chance” avoue la res- ponsable de la promotion de la formation, qui vient prêcher pour son école dans les lycées de Besançon ou de Pontarlier. Bons élèves, les Français ont fait leur place ici et donné l’envie à d’autres. Une fois leur diplô- me en poche, beaucoup sont embauchés dans les grandes entreprises mondiales. La rigueur suisse séduit mais le tic- ket d’entrée à l’E.P.F.L. sera de plus en plus dur à oblitérer. E.Ch.

“A leur arrivée, les élèves français sont un peu meilleurs que les Suisses” déclare Daniel Chuard (à droite).

Emploi Une charte de bonne conduite avec Swatch Les autorités françaises se mobilisent pour que l’implantation annoncée d’une nouvelle usine Swatch à la frontière franco-suisse de Boncourt (Jura suisse) ne vide pas les usines françaises de leurs salariés.

Axelle Vallet termine sa troi- sième année à l’école poly- technique de Lausanne.

L a méfiance, elle existe par- fois des deux côtés. Ici, ce sont les autorités françaises qui veulent se prémunir contre les risques que pourrait repré- senter l’arrivée de Swatch en 2013 à Boncourt (vers Delle), celui de vider les entreprises françaises de samain-d’œuvre qualifiée. Car à d’ici 2020, c’est près de 1 000 nouveaux emplois que le groupe Swatch devrait créer ici, à la lisiè- re du Doubs et du Territoire- de-Belfort. Dès 2013, 200 sala- riés devraient déjà travailler dans ce nouveau site et l’activité devrait croître, selon les prévisions de l’horloger suisse, durant plusieurs années, “pour atteindre 800 à 1 000 emplois à l’horizon 2020.” Pour la première fois dans les relations franco-suisses, un dia-

logue a été engagé pour anti- ciper cette création massive d’emplois qui paradoxalement effraie les industriels français. “L’idée est que cette implanta- tion se fasse dans de bonnes conditions des deux côtés de la frontière : en créant une offre de formation nouvelle qui pourrait être destinée aux demandeurs d’emploi français, qui évite ain- si à Swatch de venir “piquer” les salariés dans les entreprises fran- çaises” résume un acteur de ce dossier. Tous les organismes de forma- tion positionnés sur la méca- nique (C.F.A.I., etc.) seront donc mobilisés pour adapter rapide- ment leurs offres de formation. Swatch est partenaire de cet- te initiative originale pilotée

côté français par les services de l’État et le Conseil régional de Franche-Comté. Cette nouvel- le offre de formation à mettre en place avant la fin de cette année comprendra deux volets : un socle de compétences géné- raliste et un volet de spéciali- sation conduisant à des quali- fications propres aux besoins des entreprises. “Parallèlement, la piste d’un groupement d’employeurs sera étudiée, et l’élaboration conjointe avec nos partenaires suisses d’une “char- te de bonne conduite” sera enga- gée” assurent de concert l’État et la Région.

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