Le Doubs Agricole 38 - Novembre 2021

a G r I C u L t u r e Notre “Léon Zitrone” local, porte-voix de la ruralité roger rougeot est l’inénarrable

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S on “Tchépé” - chapeau en patois local - ne le quitte jamais ou presque. Son sourire non plus, sa cigarette encore moins. C’est le tabac qui a donné ce ton si gorgé à sa voix que les plus jeunes agriculteurs tentent d’imiter pour cham- brer le “Léon Zitrone” des comices, un sobriquet affectueusement attribué par les agriculteurs du pla- teau et du haut. Encore à Morteau le 9 octobre der- nier, ou aux Terres-de-Chaux le 3 octobre, la voix de Roger Rougeot (73 ans) a résonné entre les mamelles des montbéliardes et les grandes rasades de bières ou… de Pont. Cet homme, 73 ans, incarne le folklore et la ruralité du Haut-Doubs dont la ressemblance de la voix avec celle de Zitrone est frappante. Roger peut se targuer d’avoir partagé le micro avec la star Zitrone en 1984 lors du Festicheval à Chaffois. Il peut aussi se vanter d’avoir eu à son micro Joep Zoetemelk et Bernard Hinault lors d’une course cycliste à Maîche, les politiques comme Edgar Faure, des dizaines de préfets, députés… jusqu’au fêtard du coin. Ceci n’est qu’une ligne de l’impressionnant C.V. de notre homme que rien ne prédestinait à l’animation. Comptable de formation, Roger entre en 1968 au sein de l’entreprise familiale Thiébaud basée à rure et son sourire cachent un homme sensible ébranlé par le décès de son épouse, puis de sa fille. speaker des comices du Doubs, des concours de labours, de chevaux, fêtes de la saucisse, et ce depuis 45 ans ! un homme de Pont-de-roide adopté par tous les agriculteurs du haut. Sa voix rocailleuse, sa large car-

Roger Rougeot, le représentant d’aliments pour bétail devenu le speaker officiel des comices et fêtes rurales.

C’est en 1975 que Jules Boiteux, agriculteur à Valoreille et président du comice de Saint-Hippolyte, lui met le pied à l’étrier du micro. Il ne le lâchera plus. “Mon souhait, c’est d'animer l’an prochain le centenaire du comice de Saint-Hippolyte avec le président Pascal Bonvalot. On n’avait pas pu le faire en raison du Covid. Ainsi, la boucle serait bouclée car c’est là-bas que tout a commencé” lâche Roger. Le réduire aux seuls comices serait une erreur. Il y a eu les fêtes du cheval à Chaffois avec des invités de prestige comme Hugues Aufray, Thierry Roland, Maxime Le Forestier. Il était là-bas avec ses amis, Denis Roy et Jean-Marc Invernizzi. Il y a eu également les jeux intervillages animés dans les années quatre-vingt devant plus de 5 000 personnes voire plus, les jeux franco-suisses

de la première heure. Derrière ces années de rire se cache une vie marquée d’éléments douloureux. Il perd sa femme âgée de 42 ans. Seul avec sa fille Christèle, handicapée moteur, il se voue corps et âme pour la “Quinotte”, son sobriquet. Alors qu’il doit se faire opérer du dos à l’hôpital de Besançon, Roger, inquiet de laisser sa fille seule, demande et reçoit le soutien de ses voisins comme Laurence et de Daniel Prieur qui lui assurent qu’ils ne la laisseront pas seule.Le 18 mars 2019, Christèle meurt de la même maladie génétique que sa maman. Le papa est effondré. “Chez Roger, il y a les 110 kg de rire et 200 kg de sensibilité, résume Daniel Prieur. Le jour des obsèques de Christèle, tout le monde a vu qu’il n’avait pas que des clients, mais des amis. L’église de Pont-de-Roide était bondée. Roger a joué un rôle de pilier pour la ruralité. Quand un agriculteur n’allait pas bien, quand les choix d’investissement de ce dernier n’étaient pas les bons, Roger allumait le clignotant, travaillait avec les techniciens de la chambre pour aider cet agriculteur” détaille-t-il. Ce rural est un homme au grand cœur dont le plaisir est d’être admis par la jeunesse dans les manifestations agricoles. “J’ai pu le constater au comice à Morteau. Je n’ai pas l’impression d’être un vieux con. Cet amour, j’essaie de le rendre dans la mesure du possible” conclut le gars du “bas” adopté par ceux du haut. Dévot, Roger se rend à la messe. “Il peut faire curé à ses heures perdues” dit un proche. L’animateur l’avoue : il est serein avec lui-même et n’a pas peur de la mort. Il sait que sa femme et Christèle l’attendent. Mais comme le disait Thierry Roland qu’il a rencontré en 1985, “le plus tard sera le mieux !” La ruralité a encore besoin de Roger. n E.Ch.

Rosières-sur-Barbèche. Le garçon alors âgé d’une vingtaine d’années est assis à un bureau. Roger déteste cela. Il veut aller se rendre dans les fermes, vendre du tourteau, de la farine, et des aliments pour les vaches, les cochons. “Il souffrait d’être entre quatre murs, il préférait être

où Indevillers-Trévillers rencontrait Soubey-Épauvillers, les courses cyclistes, les fêtes de la Saucisse à Saint-Hipp, les fêtes de Laviron, ou les concours de labours qui l’ont conduit à s’exporter en Ardèche ou dans le Grand Est. “J’ai une “papamobile” mise à ma disposition par

“Il a l’intelligence du discernement.”

en quatre pâtures” image son ami Daniel Prieur, président de la Chambre d’Agriculture 25-90 et maire de Pierrefontaine-les-Varans. “Roger est reconnu comme le porte-voix naturel des agriculteurs. Il a l’intelligence du discernement entre ce qui est folklorique et hiérarchique” poursuit le président de la Chambre. Le patron de Thiébaud lui laisse donc sa chance de devenir “commercial” au début des années soixante-dix. Le salarié ne va pas la manquer. D’abord dans la vallée de la Barbèche, puis sur le Plateau de Terres-de-Chaux, Valoreille, Provenchère…, Roger se fait adopter. “Il venait au bon moment. Chez nous, il savait que le quatre-heures était prêt pour lui” dit un agriculteur de Terres-de-Chaux.

les organisateurs lorsque je fais les concours de labours pour me déplacer” explique le commentateur qui aurait rêvé de devenir journaliste. Puis, il y a eu le Téléthon dans lequel notre animateur s’est fortement impliqué pour sa fille Christèle, et pour tous les autres enfants malades. Roger, ce boute-en-train, fait marrer avec ses imitations de Giscard-d’Estaing, Zitrone évidemment, Chirac… “Il faisait aussi des blagues potaches. Il vendait des oligo-éléments pour les vaches dont la marque se nommait “Oligamine”. À certaines jeunes femmes, il disait “Au lit gamine”, ce qui lui a valu une paire de baffes” chambre gentiment un de ses amis qui rappelle la fine connaissance politique de l’homme, gaulliste

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