Le Doubs Agricole 38 - Novembre 2021

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t e r r o I r Michel Delacroix, la saucisse chevillée au corps

L’appellation “I.G.P. saucisse de morteau” fête en octobre ses 10 ans après un long combat mené notamment par michel Delacroix. À 76 ans, l’agriculteur retraité qui n’est ni du Haut-Doubs, ni producteur de porcs, a fédéré toute une interprofession. Il transmet le flambeau.

viande de gasoil. On n’y allait pas avec le dos de la cuillère.” La gendarmerie confisque les herses mais n’entame aucune poursuite. “Le président de la F.D.S.E.A. de l’époque - Michel Jeannerot - nous avait évité des poursuites” convient Michel. Quelques années plus tard, rebelote avec un camion d’équar- rissage suite à un différend sur le prix de l’enlève- ment des carcasses au sein des exploitations. Michel et ses acolytes subtilisent alors le camion au conduc- teur et déversent le chargement au rond-point d’Éta- lans. “Le chauffeur avait alors demandé qu’on l’at- tache à un arbre… car il nous disait que son patron n’allait pas le croire. C’est ce que l’on a fait… sauf que les gendarmes ont pensé que nous l’avions séquestré. Heureusement, il a avoué mais j’avais fini à la gendarmerie de Valdahon.” Tout ce qu’il a entrepris, Michel l’a fait pour le col- lectif au point parfois de placer sa ferme au second rang. Heureusement, Bernadette sa femme, était là, ainsi que le service de remplacement. Ensuite, Chris- tophe, Delphine, Sylvain et Mickaël, ses quatre enfants, ont pris le relais. “Je tiens à les remercier” dit-il avec humilité. Tous sont devenus agriculteurs. C’est sa plus grande fierté de papa. Outre sa passion, Michel a transmis sa vision d’avenir. Lorsque Christophe, l’aîné, a souhaité s’installer en 1992, l’agriculture vivait sous les quotas laitiers. Il ne pouvait donc pas vivre sur l’exploitation. “En tant que président de la F.D.S.E.A. et élu à la Chambre d’agriculture durant douze ans, j’invitais mes col- lègues à se diversifier car on ne pouvait pas étendre la production de lait. Quand mon fils m’a dit qu’il voulait se lancer dans la production… d’escargots, je l’ai encouragé” se souvient-il. Vingt-deux ans après, l’entreprise du fiston intitulée “L’escargot des Cha- zeaux” est une référence. Elle emploie six personnes à la “belle” saison. Michel Delacroix, homme de combat pour le collectif nommé Chevalier de la Légion d’Honneur (2005), sera incité par la D.R.A.A.F. à travailler sur ce fameux cahier des charges de la saucisse de Morteau. Il met les pieds dans un milieu hostile. À l’époque, un dif- férend oppose les producteurs du “bas” à ceux du “haut” car il est question que l’indication géogra- phique ne soit réservée qu’au haut du département. Après dix ans de combat, l’I.G.P. est officialisée en 2010, signe officiel de qualité européen. Son aire géographique de production s’étend à toute la Franche-Comté avec un cahier des charges à res- pecter avec des porcs nourris au petit-lait, du fuma- ge au bois de résineux, des boyaux naturels de porc, une cheville en bois… Son nom est protégé, son savoir-faire également. Michel, en tant que défen- seur de la saucisse, devrait être désigné président d’honneur à l’issue de la passation de pouvoir. De “la Morteau”, il est accro. n

D ans son congélateur, une place est toujours réservée à une saucisse de Morteau ou de Montbéliard. Michel détesterait être en ruptu- re de stock en cas d’arrivée impromptue d’amis. Car avant d’être un produit que l’on consomme le midi ou le soir, la saucisse est un produit chaleureux qui se partage entre amis et en famille. Elle est à l’ima- ge de Michel Delacroix, homme souriant, au carac- tère bien trempé, qui a voué une partie de sa vie à faire connaître ce produit devenu l’emblème d’un ter- ritoire, de nos traditions, de nos savoir-faire. Rien ne prédestinait ce fils d’agriculteur issu d’une famille de six enfants à devenir “le” président de l’as- sociation de défense et promotion des charcuteries et salaisons I.G.P. de Franche-Comté (A2M). En effet, le paysan qui a repris la ferme de son père en 1967 n’a jamais élevé de porcs. “Il n’avait aucun intérêt personnel dans ce combat d’I.G.P. de la Morteau car il n’était ni fabricant, ni salaisonnier ! J’ai beaucoup d’admiration pour lui car en 20 ans, il a su prendre de la hauteur et a fait preuve d’abnégation pour réunir tout le monde autour de la table et assurer que l’I.G.P. fasse vivre notre terroir” déclare Richard Paget, pré- sident de la société Jean-Louis Amiotte, spécialisée dans la fabrication de salaisons à Avoudrey. Retraité du monde agricole, Michel Delacroix rend son tablier de président de l’association avec le sen- timent du devoir accompli. La filière emploie 1 200 personnes, produit 5 655 tonnes de saucisses de Morteau par an dont 235 en “label rouge” (et 6 070 tonnes de Montbéliard), fait vivre 160 éleveurs de porcs, 14 fabricants d’aliments, 15 abatteurs-décou- peurs et 30 transformateurs.

À 76 ans, l’agriculteur des Chazeaux (commune de Gonsans) cède le flambeau à Jean-François Nico- let, ancien directeur du Tuyé du Papy Gaby. La trans- mission se déroule officiellement le 15 octobre au stade Florence-Baverel d’Arçon lors de la journée anniversaire des 10 ans de l’appellation I.G.P. de la saucisse de Morteau. En le nommant au début des années 2000 président, l’interprofession mise sur le bon cheval, certes moins fougueux qu’à ses débuts, lui qui s’est formé adolescent au militantisme au sein de la Jeunesse agricole catholique (J.A.C.). Dans les années soixante-dix avec la F.D.S.E.A., Michel s’illustre par des coups d’éclat. “On irait en prison aujourd’hui… même si nous n’avons jamais été violents” estime le septuagénaire. Michel et ses collègues se rendent, en pleine crise agricole, chez le député du Doubs Jacques Weinman pour lui sub- tiliser un taureau et des génisses (N.D.L.R. : le dépu- té possédait des animaux) qu’ils libèrent au centre- ville de Besançon. “Au cou de chaque animal, on avait accroché une pancarte avec ce slogan : “Mes patrons n’ont plus les moyens de me donner à man- ger, alors je fais le trottoir” se souvient-il avec un lar- ge sourire. Quelques années plus tard, autre action coup de poing, en pleine période de crise du prix de la vian- de. Toujours avec une trentaine d’agriculteurs, ils interceptent un poids lourd venu d’Allemagne à hau- teur de Baume-les-Dames. “Nous ne comprenions pas que la France importe de la viande d’Allemagne alors que nous n’avions plus de débouchés. Nous avons repéré le camion allemand, mis une herse sur la route, l’avons arrêté, et aspergé les 15 tonnes de

Michel Delacroix, une vie dédiée à la défense des intérêts collectifs du monde rural et paysan.

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