La Presse Pontissalienne 288 - Janvier 2024
24 Mouthe - région des lacs
La Presse Pontissalienne n°288 - Janvier 2024
MONT D’OR
Ils surveillent les troupeaux la nuit pour les protéger du loup
Opération Vigie Jura : zéro prédateur, zéro incident
L’ installation des meutes de loups dans le massif du Jura ne laisse personne indifférent. Après une année 2022 très agitée suite aux multiples attaques sur troupeau, on est passé à la mise en place de différentes expéri mentations pour tenter de limiter la casse sur le bétail. C’est dans ce contexte qu’est née l’asso ciation Vigie Jura. Sa raison d’être : pri vilégier une cohabitation apaisée entre les loups et les activités d’élevage. “On veut proposer une aide bénévole pour protéger les troupeaux des risques de prédation du loup en faisant de l’effa rouchement par la présence humaine. Le déclic est venu suite à des échanges avec un berger” , observe Thierry Billey qui copréside l’association avec Lise Vur pillot et Angélique Didelot. Les créateurs de l’association partagent en commun une passion pour la vie sau vage. “On se réjouit de l’installation du loup sans pour autant occulter les pro blèmes. Cette surveillance nocturne, c’est
Créée en mai 2022, l’association Vigie Jura rassemble des bénévoles qui se sont relayés toutes les nuits en juillet et août pour venir surveiller un troupeau de génisses et de vaches taries en estive sur le Mont d’Or et se prémunir du loup.
où a été menée cette expérimentation. Les futures Vigies ont été sensibilisées à la biologie du loup, à la conduite à tenir vis-à-vis du bétail, aux moyens techniques de protection et aux règles de vie en moyenne montagne. S’ajoute
une façon de montrer qu’on peut agir vis-à-vis du monde agricole. L’effarou chement est un des moyens de protection parmi d’autres, bien sûr.” Vigie Jura fédère 87 adhérents dont 40 ont été formés à la ferme de la Batailleuse
Confort très spartiate au poste de surveillance où les vigies se retrouvent en binôme pour garder le troupeau de 17 heures à 6 heures du matin.
Les Pontets Un bilan pas vraiment rassurant pour le parc de contention Représentant de la F.D.S.E.A. au sein du comité de pilotage “Loup” mis en place à l’Agence Régionale de Biodiversité, Guy Scalabrino a pu tester l’efficacité d’un parc de contention utilisé pour protéger une douzaine de jeunes bovins. Retour d’expérience.
“On ne peut pas remettre en question toutes nos pratiques à cause de la menace du loup”, qui a aménagé un parc de contention pour protéger ses veaux des attaques lupoïdes. estime Guy Scalabrino
s’agissait de loups. Du coup, ils ont défoncé la clôture pour essayer de venir se réfugier près de la ferme. Aucun veau n’a péri. On a eu une seconde attaque le 11 novembre dernier, sur une génisse de 24 mois qui portait une quinzaine de blessures pro fondes. Cette génisse n’était pas à l’intérieur du parc mais elle a aussi cherché à revenir à la ferme en passant devant les pièges pho tographiques. L.P.P. : Quels sont les dégâts à l’échelle de l’exploitation ? G.S. : En 2022, on a perdu deux génisses et on a eu cette bête blessée cet automne. L.P.P. : Avez-vous bénéficié d’aides pour réaliser ce parc ? G.S. : Non, on l’a fait à nos frais car les bovins ne sont pas consi dérés comme protégeables, contrairement aux ovins. Cet équipement représente une semaine de travail à deux sans compter l’investissement maté riel. L.P.P. : Que comptez-vous faire avec ce parc l’été prochain ? G.S.: On va continuer même si les premiers résultats ne sont pas franchement encourageants.
La gestion au quotidien demande pas mal de manipulations et de temps pour rentrer les veaux le soir, les sortir le matin. En pleine canicule, les bovins ne pâturent pas le jour mais la nuit quand les conditions sont plus propices pour se nourrir. Du coup, on est contraint de donner du foin aux veaux qui sont enfermés la nuit dans le parc. L.P.P. : Pour autant, aucune bête n’a été tuée ou blessée ? G.S. : Oui, c’est vrai mais il demeure un sentiment de vul nérabilité et on reste très inquiet sur les solutions efficaces qu’on pourrait mettre en place. L.P.P. : Vous n’êtes pas convaincu par les patous ? G.S. : Le G.A.E.C. du Bougnon compte 130 bovins répartis en cinq lots. Il faudrait donc entre 15 et 20 chiens pour protéger effi cacement notre élevage. Et ce sera pareil dans les exploitations voisines. C’est difficilement conce vable surtout dans une région comme la nôtre avec tous les ran donneurs, cyclistes, promeneurs susceptibles de croiser les patous. L.P.P. : Votre point de vue sur Vigie Jura ? G.S. : Ils étaient une quarantaine
La Presse Pontissalienne : A quel titre représentez-vous la F.D.S.E.A. ? Guy Scalabrino : Je suis responsable de la commission faune sauvage et prédation à la F.D.S.E.A. C’est en cette qualité que je suis au Comité de pilotage. L.P.P. : Quels sont les moyens de pro tection à disposition des éleveurs ? G.S. : Il y a les chiens de protection, des boîtiers avec des phéromones qui doivent éloigner les loups, les colliers ultrasons équipés de flashs lumineux en cas d’attaque. Certaines exploitations ont eu recours à des vigies pour surveil ler le bétail de nuit. Au G.A.E.C. du Bougnon aux Pontets, où je travaille avec mon fils Loïc, on a pris la décision d'installer un parc de contention destiné à une douzaine de génisses âgées de 6 à 14 mois, cela représente 12 bêtes. D’une surface de 40 ares, ce parc est équipé de cinq fils électriques “censés” protéger les animaux à l’intérieur. Ce parc a aussi des boîtiers à phéromones et douze pièges photo. L.P.P. : Avez-vous subi des attaques de loups ? G.S. : En octobre, les veaux ont été pris d’un mouvement de panique sans que l’on sache s’il
comme des vaches allaitantes ou des moutons. L.P.P. : Si ces dispositifs ne sont pas efficaces à 100 %, comment agir ? G.S.: On sait qu’il faudra sans doute cumuler plusieurs solu tions. L'autre levier d’action repose sur l’évolution du cadre réglementaire. On apprécie la réactivité du Préfet du Doubs et des services de l’O.F.B. quand on signale une attaque. On voudrait néanmoins avoir des tirs de défense plus faciles à mettre en place. On sait que ce type de tir met les meutes dans une situa tion d’insécurité. C’est très dis suasif. Il y a entre 1 200 et 1 500 loups en France et cette popula tion augmente de 25 % chaque année. La protection c’est bien, mais il faudrait aussi réguler car le loup n’est plus une espèce en danger en France. Les Suisses viennent de décider de réduire de 40 % le nombre de meutes. La Finlande a décidé de diviser par deux sa population de loups.
de bénévoles pour une seule ferme. On ne peut que saluer ce qu’ils ont fait. On dénombre envi ron 110 exploitations entre Cha pelle-des-Bois et le secteur du Mont d’Or. Où trouver autant de bénévoles prêts à venir chaque année garder nos bêtes au pâtu rage ? L.P.P. : Certains expliquent que l’allote ment est un facteur de risque face aux attaques. Impossible de faire autre ment ? G.S. : Avec deux traites par jour, on est obligé de séparer les mères des veaux. À chaque stade de vie, les bêtes ont besoin de traite ments particuliers, de nourriture adaptée. On isole par exemple les vaches taries pour qu’elles se refassent une santé. On les place alors sur les parcelles les plus éloignées de la ferme. On ne les mettrait avec des veaux car ils pourraient les téter et provoquer des infections. Les génisses sont plutôt placées à l’alpage. On n’élève pas un troupeau laitier
L.P.P. : Les agriculteurs ne semblent pas satisfaits du contenu du prochain Plan national d’Actions sur le loup et les activités d’élevage. Pourquoi ? G.S. : On voudrait que ce soit les activités d’élevage qui soient au cœur du dispositif de protection et non la pérennité du loup. Pour mieux prendre en compte le mor cellement des parcelles agricoles dans le massif jurassien, on demande la territorialisation des tirs de défense qui sont pour l’ins tant limités à l’unique parcelle où le bovin a été attaqué. On pourrait par exemple élargir cet espace à l’échelle d’une ou plu sieurs communes. On voudrait aussi que la vulnérabilité de nos élevages soit plus reconnue comme le stress et la détresse des éleveurs dont les bêtes ont été victimes d’attaques. Des groupes de parole sont mainte nant organisés dans ce sens à la M.S.A. Le loup est un sujet très clivant. n Propos recueillis par F.C.
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