La Presse Pontissalienne 282 - Juillet 2023

4 L’interview du mois

La Presse Pontissalienne n°282 - Juillet 2023

MASSIF DU MONT D’OR

Le point de vue de Gérard Vionnet, éleveur

“Il faut protéger nos troupeaux, sans pour autant dézinguer le loup”

Éleveur de vaches allaitantes, et berger qui n’a jamais caché ses penchants pour une agriculture raisonnée et respectueuse de la biodiversité, Gérard Vionnet s’implique à fond pour tester, analyser des solutions permettant de protéger les troupeaux les plus vulnérables. Entretien.

buffles ou de gnous en Afrique. Quand les prédateurs arrivent, les veaux se regroupent en cercle, les adultes les entourent pour les protéger et les plus forts chargent les prédateurs. On doit jouer cette carte. L.P.P. : Et le chien patou ? G.V. : Les patous ont leur place dans ce dispositif car ils sont capables d’écarter la menace du loup. On est en train de tester cette combinaison patou-vache allaitante gardienne de nurserie dans un troupeau de veaux à la Batailleuse. Dans l’absolu, on pourrait aussi intégrer des vaches taries dans les lots de veaux. L.P.P. : Êtes-vous surpris par le nombre d’attaques enregistrées l’été dernier ? G.V. : Qui ne le serait pas ! On arrive pra tiquement à 80 bovins tués par les loups. C’est une mortalité exceptionnelle dans le Jura. En plus du problème de l’allo tement, il y a peut-être une spécialisation des meutes sur le bovin. L.P.P. : Que s’est-il passé cet hiver pour anticiper le retour des bêtes au champ ? G.V. : L’État a mis en place des mesures incitatives pour soutenir la solution du patou. Une vingtaine de chiots ont été introduits dans des troupeaux. On dénom bre une centaine de parcs à veaux sur le secteur le plus touché. Un quart de ces parcs ont fait l’objet d’attaques. On

L a Presse Pontissalienne : Que retenir des attaques de loups qui se sont multipliées au cours de l’été 2022 ? Gérard Vionnet : La plupart de ces attaques ont eu lieu en plaine sur des troupeaux de veaux séparés des adultes. C’est l’iti néraire d’élevage classique dans les filières A.O.P. du massif jurassien. On constate qu’il n’y a pratiquement pas eu d’attaque sur des troupeaux en alpage, sauf au Marchairuz où les éleveurs suisses mettent aussi des veaux en pâture. L’allotement est sans doute le principal facteur de vulnérabilité. C’est là qu’on doit agir. L.P.P. : En faisant quoi ? G.V. : Des choses ont été mises en place après les attaques. Certains ont placé des ânes avec des jeunes bovins sans avoir à déplorer des attaques même si cette solution a aussi ses limites. Plu sieurs ânes dans un troupeau peuvent avoir tendance à vivre leur vie ensemble sans plus de soucier de protéger les bovins. L’âne peut aussi être la cible

d’une meute déterminée. Comme j’ai un mulet, je l’avais monté sur l’alpage des Grangettes. Il était seul avec des veaux de l’année. On sait qu’un troupeau de vaches allaitantes est peu vulnérable au loup car, à la différence des moutons, les bovins ne fuient pas forcément devant une meute de loups. Ils ont les moyens de se défendre même si cela ne les rend pas invulnérables. L.P.P. : Comment exploiter cette capacité de défense ? G.V. : On teste la solution d’introduire une vache allaitante dans un troupeau de veaux. La vache doit agréger son petit aux autres. Quand le groupe est formé, la vache a l’instinct de s’interposer pour le protéger en cas d’attaques. Je ne dis pas non plus que cela fonctionne à tous les coups mais le principe est dissuasif. Rien n’empêche d’introduire plusieurs vaches allaitantes en supposant qu’elles soient capables d’agréger les veaux qui ne sont pas les leurs. On retrouve ces comportements dans les troupeaux de

lution des eaux. L’autre est axé sur les plantes aromatiques et médicinales. Celui qui nous intéresse et dont je fais partie travaille sur les thèmes de l’élevage de plein air et de la protection des trou peaux. Le technicien qui nous accom pagne est mis à disposition par Inter bio. L.P.P. : Quel est le fonctionnement de ce G.I.E.E. ? G.V. : On est engagé dans une démarche très transversale qui s’intéresse à la pro tection des troupeaux dans les systèmes d’exploitation globaux. On considère par exemple que le loup fait partie de la bio diversité au même titre que le campagnol, la vache ou l’homme. On veut tenir compte de tout ça pour promouvoir des systèmes permettant de se nourrir. Pré cisons qu’il n’est pas nécessaire d’être installé en bio pour nous rejoindre. Ce G.I.E.E. est en perpétuelle interaction. Les champs de réflexion sont multiples. On manque encore de connaissance sur le loup. Dans toute bataille, mieux vaut connaître son adversaire, prendre le temps de l’étudier pour le maîtriser. On appelle de nos vœux que le bovin devienne

a toujours le même nombre de parcs avec, en plus, une vingtaine de chiens de protection. C’est intéressant. L.P.P. : Le patou fait bon ménage avec les veaux ? G.V. : Tout à fait. On s’aperçoit que la mise en place du chiot est même plus facile avec des veaux car les brebis ont parfois tendance à écarter les chiots de leurs agneaux. Le problème ne se pose pas en filière comté où les veaux sont séparés très vite des mères. L’appropriation s’avère plus facile avec les chiots. Mettre en place des patous sur des groupes de veaux isolés, c’est facile. L.P.P. : Et la crainte des randonneurs de se faire charger par un chien de protection ? G.V. : Je la comprends parfaitement, d’où l’importance de sociabiliser très tôt le jeune patou vis-à-vis des humains. L’hiver a aussi été mis à profit pour instaurer plus de dialogues entre les acteurs : État, chasseurs, syndicats agricoles, Région, protecteurs de la nature… L’Agence régio nale de biodiversité a recruté un média teur. Il aura pour principales missions de tester les moyens de protection et de faire de la conciliation entre toutes les parties. Autre action hivernale avec la création d’un Groupement d’intérêt éco nomique et environnemental (G.I.E.E.). Ce G.I.E.E. regroupe actuellement sept éleveurs, bientôt dix, du Haut-Doubs et des alentours. L.P.P. : Quel sera son rôle ? G.V. : Le G.I.E.E. est un dispositif doté de fonds. Son intérêt réside sur le fait qu’il part du terrain avec des paysans assistés par des techniciens. Ce nouveau G.I.E.E. repose sur un groupe de paysans qui se connaissent. Pour info, il y a déjà deux autres G.I.E.E. sur le secteur. L’un est basé à Labergement-Sainte-Marie en étant spécialisé sur la prairie et la pol

une espèce protégeable dans le prochain plan national d’action loup 2024-2029 L.P.P. : Le G.I.E.E. a-t-il une vocation expérimentale ? G.V. : Bien entendu, on met en place différents dispositifs. On joue le jeu pour être moins vul nérable aujourd’hui qu’on ne l’était l’an der nier à la même époque. Cela repose sur l’obser vation par le biais de pièges photos et de sur veillance des trou

La combinaison patou et vache allaitante gardienne de nurserie dans un

“L’allotement est sans doute le principal facteur de vulnérabilité.”

troupeau de veauxpeut donner une solution de protection

suffisamment dissuasive en cas d’attaques.

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