La Presse Pontissalienne 275 - Décembre 2022

18 Le dossier

La Presse Pontissalienne n°275 - Décembre 2022

l Schrader

Une perte de rentabilité

“On va perdre 10 % du résultat cette année” La facture électrique va tripler chez le fabricant de valves pontissalien. L’impact est loin d’être anodin même si le poste énergie représente moins d’1 % du chiffre d’affaires. Décryptage.

L a Presse Pontissalienne : Comment le site pontissalien est impacté par la hausse de l’énergie ? DamienTournier : On va renouveler d’ici la fin de l’année le contrat avec notre fournisseur d’électri cité. Le cours est établi à partir du cours moyen calculé sur les 15 premiers jours de décembre. La facture va tripler sans toucher aucune aide.On n’est pas éligible au bouclier tarifaire car on est une E.T.I. (Entreprise de Taille Intermédiaire). Nos dépenses d’énergie représentent moins d’1 % du chiffre d’affaires donc on ne remplit pas les conditions pour bénéficier de l’aide au paie ment des factures d’électricité. Ce contrat est défini sur trois ans. Il aurait fallu sans doute renégocier bien avant les bou cliers. Avec cette hausse des tarifs de l’électricité, on va perdre 10 % du résultat. L.P.P. : Quelles conséquences sur l’ac tivité ? D.T. : 75 % de la production part à l’export, notamment en Amé rique du Nord, Amérique cen trale et en Asie dans des pays

qui ne sont pas concernés par l’énergie et où il s’avère donc difficile de faire passer les hausses. L.P.P. : Quelles actions ont déjà été menées en termes de maîtrise des dépenses énergétiques ? D.T. : On a été accompagné par l’A.D.E.M.E. pour effectuer des diagnostics et mettre en place des solutions de récupération, de transformation de chaleur, d’isolation des bâtiments. On est connecté au réseau de cha leur urbain de Pontarlier en sachant que l’eau chaude est aussi indexée sur le prix du gaz. Au niveau des installations, on n’a pas de grosses unités de consommation

D.T. : On subit la hausse du coût de l’énergie. Les matières pre mières qui sont achetées pour 90 % en Europe vont augmenter de 7 à 15 %. Ajouter l’impact de l’inflation sur les salaires. Au final, on va réduire notre ren tabilité d’entreprise et limiter les projets sur le futur. Sinon, dans trois ans, on sera en régres sion. L’entreprise ne peut mal heureusement pas tout compen ser entièrement. L.P.P. :Schrader a quandmême bénéficié du plan de relance ? D.T. : On a touché 800 000 euros du plan de relance en sachant que chaque mois on verse 700 000 euros de charges sociales et fiscales. Il faut relativiser le soutien de l’État. L.P.P. : Quel bilan d’activité peut-on dresser sur 2022 ? D.T. : C’est très mitigé. On a effec tué pas mal de dépenses en Recherche et Développement pour s’engager vers la transition énergétique de l’automobile. Depuis quatre ans, on a recruté 20 personnes au bureau d’études qui compte aujourd’hui 40 tech

“Avec la hausse de l’énergie, le surcoût des matières premières et l’inflation, on va pénaliser notre rentabilité et freiner les projets sur le futur”, analyse Damien Tournier.

niciens et ingénieurs. C’est assez important sur un effectif de 390 salariés en C.D.I. Ce volet R & D engendre aussi des dépenses supplémentaires qui représen tent au global entre 5 et 6 % du chiffre d’affaires. Soit l’équivalent du résultat de l’entreprise. Entre le rouge et le vert, on serait plutôt dans le vert pâle même si le groupe japonais Pacific continue à nous accompagner. Pour autant, on a décidé de tout faire en faisant donc abstraction du résultat. L.P.P. : Pourquoi cette stratégie ? D.T. : Il est impératif d’être présent au démarrage de nouveaux pro duits qui seront sur le marché d’ici 2025, 2026. On sera donc sur la corde raide pendant trois ou quatre ans avec des investis

sements importants non seule ment en R &Dmais aussi dans de nouveaux moyens de produc tion en sachant qu’il faudra aussi continuer à gérer la transition. L.P.P. : Quelques mots sur ce nouveau projet ? D.T. : On va construire un bâti ment de 3 000 m² qui abritera une nouvelle ligne de fabrication dédiée à la dépollution dumoteur thermique. Depuis quelques années, on travaille sur l’évolu tion de l’Euro 7 qui va faire ten dre les exigences du diesel vers les niveaux de l’essence. Cela représente un investissement de plus de 10 millions d’euros pour un site qui réalise 72 mil lions d’euros de chiffre d’affaires.

D.T. : Si on voulait rester compé titif à l’international, on n’avait pas d’autre choix que de rogner sur nos marges. L.P.P. : Cette nouvelle ligne de production va-t-elle générer des recrutements ? D.T. : Elle sera opérationnelle fin 2024. On mise en partie sur la formation interne pourmonter en compétence même s’il nous faudra aussi intégrer de nou veaux métiers en soudure, connectique… L.P.P. :Toujours rassurant de s’engager dans l’avenir ? D.T. : Oui, c’est motivant mais ce développement se fait à marche forcée.Rappelons pour finir qu’on fêtera les 125 ans de Schrader à Pontarlier en 2023. n Propos recueillis par F.C.

“Notre facture d’électricité va tripler.”

comme des fours. On utilise avant tout des moteurs. On a changé tous nos transforma teurs électriques de 20 000V ou 400 V. Tous les éclai rages sont en leds.

L.P.P. : Les coûts de pro duction s’envolent ?

L.P.P. : Un chiffre qui est en baisse ?

l Fédération patronale française

“On n’est pas dans un cycle de réindustrialisation” Damien Tournier est aussi le président de l’Union des Industries et des Métiers de la Métallurgie du Doubs. Il est assez dubitatif sur la politique de soutien du gouvernement à l’ensemble des entreprises

L a Presse Pontissalienne : Les coûts de l’énergie pourraient davantage tenter les entreprises à délocaliser tout ou partie de leurs usines dans les pays peu concernés par les hausses. Pour vous, c’est grave ? Damien Tournier : Tout à fait. C’est même contre-productif avec l’idée de réindus trialiser un pays où l’énergie devient rare et les menaces de coupures se font de plus en plus pressantes. On est sur le fil. L.P.P. : La situation devrait s’améliorer avec la remise en route des centrales nucléaires et le développement des énergies alternatives ? D.T. : Les décisions politiques ont été prises à l’envers : 5 ans pour développer une voiture électrique, 10 pour mettre en place du photovoltaïque et 15 pour une centrale nucléaire. Et nous avons commencé par la voiture électrique en cassant le modèle économique qui aurait pu financer les autres transitions de production d’énergie. Tout comme je ne suis pas convaincu de l’efficacité des solutions alternatives qui n’ont pas encore montré leur efficacité outre-Rhin

avec un retour aux centrales à charbon.

L.P.P. : Comment expliquez-vous cette frilosité ? D.T. : C’est une question de perception. Les politiques ont du mal à soutenir les entreprises car pour la plupart des citoyens, entreprise rime avec gros pro fits, style Total. On n’est pas tous au C.A.C. 40. La plupart des entreprises françaises ont moins de 50 salariés et sont loin de faire des bénéfices farami neux. L.P.P. : Et le tout électrique automobile d’ici 2035, vous y croyez ? D.T. : C’est beaucoup trop court pour bas culer dans l’électrique. C’est dommage, on essaie de discuter mais on ne nous croit pas. Les lobbies écologiques font très bien leur travail sans apporter un nouveau modèle énergétique viable. Ce n’est pas aux politiques de décider des solutions technologiques,mais aux entre prises. Le rôle des politiques, c’est de fixer un cap et de construire un plan en concertation avec les entreprises. Les industriels sont des êtres humains sen sibles comme les autres aux enjeux cli matiques. n Propos recueillis par F.C.

L.P.P. :Vous estimez que les entreprises françaises subissent davantage l’envolée des coûts éner gétiques ? D.T. : Oui. On est pratiquement les seuls en Europe à avoir ce problème-là, alors que notre énergie électrique ne dépend qu’à la marge du gaz. Je suis assez scep tique sur l’ambition du gouvernement de vouloir réindustrialiser le pays en n’ayant qu’en réponse de couper l’énergie alors que les Allemands font tout pour sauvegarder leurs outils industriels. Ils

Damien Tournier est le directeur du site pontissalien de Schrader Pacific, il est aussi le président de l’U.I.M.M. du Doubs.

ne se posent pas de questions et soutien nent l’industrie coûte que coûte. La volonté du gouvernement fran çais ne se traduit pas dans les faits. La situa tion dont tous s’émeu vent, tardivement, n’apporte cependant pas de réponse pérenne pour la compétitivité de notre industrie.

“On est pratiquement les seuls en Europe à avoir ce problème-là.”

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