La Presse Pontissalienne 266 - Mars 2022
4 L’interview du mois
La Presse Pontissalienne n°266 - Mars 2022
FÉMINICIDES
Avec le Docteur Dominique Frémy
“Être le plus en amont possible pour recueillir la parole des victimes” Loi des séries ou engrenage funeste ? En seulement deux mois à Besançon, deux femmes ont perdu la vie sous les coups de leur conjoint et une autre a été blessée. France victimes 25 avait tenté d’accompagner l’une d’elles, qui a refusé de porter plainte. Un sentiment d’impuissance auquel l’association ne veut pas se résoudre. Le point avec le Docteur Dominique Frémy, pédopsychiatre et présidente de l’association France Victimes 25.
L a Presse Pontissalienne : Depuis le début de l’année, deux femmes ont été tuées par leur conjoint à Besançon, une autre a été grièvement blessée. Comment l’expliquer ? Dominique Frémy : Les associations, la justice, la police, font le maximum pour éviter d’en arriver là ! Le point de butée, c’est la volonté de la femme de s’extraire de l’emprise qu’exerce le conjoint violent sur elle. Pour que quelqu’un puisse la protéger, il faut que la victime passe par une dénonciation des faits, c’est à-dire qu’elle dépose plainte. L.P.P. : Pourtant, peu de femmes franchissent ce cap alors qu’elles ont déjà été battues. Elles passent sous les radars de la pro tection ? D.F. : Elles sont sous l’emprise de leur mari, une emprise qui consiste à les isoler, à les disqualifier, à leur demander des injonctions contra dictoires qui sont déstabilisantes. La violence fait partie d’un cycle. Souvent, elle s’accompagne une fois que l’acte a été commis d’un repentir de la part du conjoint qui demande
pardon, qui semble être apaisé, et qui fait penser à sa concubine que c’est un malentendu, que c’est acci dentel. Isolée, la femme ne peut pas confronter ce qu’elle vit, ce qui augmente son sentiment de culpa bilité. Elle se sent responsable de la colère de son mari. L.P.P. : À quel moment votre association intervient-elle ? D.F. : À tous les stades de la procé dure, et même en l’absence de plainte dans une démarche proac tive auprès de la victime : intervenir avec humanité et bienveillance pour écouter, accompagner, informer sur les droits grâce à une équipe pluridisciplinaire composée de la directrice, de quatre juristes, d’un psychiatre et d’un psychologue, d’une assistante sociale, et d’écou tants. L.P.P. : Le commissaire de Police de Besan çon lance un appel aux victimes de violence suite à la dernière tentative d’homicide qui a eu lieu à Besançon (lire par ailleurs). Il leur demande de porter plainte. D.F. : Ce n’est pas si simple que cela.
Encore une fois, des femmes sont tel lement isolées qu’elles n’osent pas aller frapper à la porte du commis sariat de Besançon… bien qu’elles habitent au centre-ville. L.P.P. : Comment détecter ces victimes poten tielles ? D.F. : Lorsqu’elles se rendent à l’hôpital pour se faire soigner par exemple. Souvent, elles racontent au médecin qu’elles se sont cognées contre un meuble. Ce dernier n’est pas dupe et remarque qu’il s’agit de coups. Il est important qu’il tende des perches afin de recueillir une parole ! Cela implique une formation des profes sionnels. L.P.P. : Cette formation n’existe-t-elle pas ? D.F. : Si, elle a progressé mais il faut la développer à tous les services des urgences, de l’interne jusqu’au per sonnel du S.A.M.U., aux pompiers. La première marque de ras-le-bol chez ces femmes, c’est de déposer une main courante. Nous nous appuyons désormais sur ces dernières pour être le plus en amont possible afin de recueillir cette parole qui nous per mettra de les protéger. L.P.P. : En quoi les mains courantes peuvent elles aider puisqu’elles ne sont qu’une simple déclaration de faits ? D.F. : Depuis un an, l’assistante sociale de France victimes intervient dans les commissariats de police de Besan çon et de Pontarlier, dans les brigades de gendarmerie de Morteau, Pontar lier, Valdahon, Besançon, Saint-Vit, École-Valentin, Ornans. La mise en place de l’intervenant social en com missariat et en gendarmerie (I.S.C.G.) au sein même des locaux de l’unité de gendarmerie et du commissariat assure une prise en charge sociale de la personne parallèlement au trai tement par le gendarme ou le policier de la situation l’ayant conduite à sol liciter les autorités d’enquête. Notre intervenante sociale intervient auprès de toute personne, majeure ou mineure confrontée à des violences de couple, violences intrafamiliales ou d’autres situations de vulnérabilité ou de détresse. Elle propose de ren contrer la victime, éventuellement de porter plainte. L.P.P. : Dans son travail, l’intervenante a d’ail leurs appelé une victime tuée par son conjoint quelques semaines plus tard à Besançon. D.F. : Effectivement. La victime n’a
Historique l Le 29 décembre
2021, une femme de 51 ans est égorgée par son mari à Besançon. l Le 17 janvier, c’est une femme de 20 ans qui meurt, poignardée de 18 coups de couteau, à Besançon. l Le 1 er février, c’est une jeune femme de 18 ans qui appelle la Police à 2 heures du matin. Son conjoint de 33 ans qui est aussi le père de son enfant a tout cassé dans l’appartement. La Police arrive rapidement sur les lieux. Elle lui demande de s’enfermer et de ne pas ouvrir. À 3 heures, elle appelle à nouveau les policiers. Elle a ouvert la porte. Son conjoint lui a assené plusieurs coups de couteau. Elle a été prise en charge au C.H.U. de Besançon, ses jours ne sont plus en danger.
Dominique Frémy, pédopsychiatre et présidente de l’association France victimes 25, au chevet des femmes violentées.
en place un site Internet (mémodevie) qui permet aux femmes d’archiver des preuves en vue d’une procédure comme une attestation médicale ou des témoignages qui l’aideront par la suite. Désormais les enfants sont considérés comme victimes à part entière de ces violences et non plus simples témoins. L.P.P. : Depuis 2019, des téléphones graves dangers et des bracelets anti-rapprochement sont déployés dans le Doubs. Sont-ils effi caces ? D.F. : Ils ont permis à des femmes de reprendre confiance. Ils ont sauvé des vies. Il y a 14 téléphones graves dangers en service, dont 12 qui sont attribués pour le ressort du tribunal de Besançon. Il y a 4 bracelets anti rapprochement, tous utilisés. L’auteur est prévenu s’il se rapproche géogra phiquement du domicile ainsi que la victime. Ce dispositif est à mon sens plus efficace que le téléphone grave danger. Si ce téléphone rassure la victime, il ne la protège pas si l’auteur la surprend et qu’elle n’a pas le temps de saisir le téléphone. Nous avons l’exemple de cette femme tuée par son mari en pleine rue à Besançon en 2018. L.P.P. : Votre métier de médecin vous conduit à rencontrer ces personnes violentées. Quel est le profil d’une victime ? D.F. : Ce sont souvent des femmes qui ont vécu un passé difficile, dès leur jeunesse, où elles ont été violentées voire violées par un père, un grand père, un oncle… Elles sont vulnéra bles et choisissent un conjoint vul nérable en pensant qu’elles vont se
pas donné suite à nos appels. C’est cela l’obstacle majeur : ces femmes sont ter rifiées et sont convaincues qu’elles auront plus d’incon vénients à engager une procédure judi ciaire qu’à ne rien faire. Elles refusent notre aide. L.P.P. : N’est-ce pas décourageant ? D.F. : C’est désolant parce qu’il existe une
“Ce n’est plus à une femme battue de quitter le domicile.”
Une association engagée Pontarlier : un nouvel espace pour les femmes en danger L’ association “Travail et vie” basée 8, rue Mon trieux à Pontarlier s’in Mélanie Dulize et Claude Bouffet
limite : la liberté individuelle. Vous ne pouvez pas forcer quelqu’un à por ter plainte ou débarquer chez lui parce qu’il a évoqué de la violence. D’ailleurs, de nombreuses victimes reviennent sur leurs déclarations. L.P.P. : Vous semblez démunis ! D.F. : Les enfants peuvent être repérés comme des victimes. Ils peuvent être ainsi signalés par l’école ou ils peuvent eux-mêmes dénoncer les actes de vio lence. C’est tout de même assez rare car l’auteur des faits tient en silence la famille. Souvent, dans une fratrie, l’aîné prend d’ailleurs le parti du père et c’est lui qui va faire taire les autres enfants et faire respecter la loi du silence. L.P.P. : Pour briser cette loi du silence, quel message délivrez-vous ? D.F. : Si une mère ne veut pas faire la démarche pour elle, qu’elle le fasse pour ses enfants bien que ce message ait ses limites. France victimes a mis
vestit quotidiennement en faveur des personnes en pré carité en leur offrant un repas chaud, une écoute, ou encore de l’aide sociale. Elle finalise un grand chantier pour accueillir les femmes victimes de vio lences. Au troisième étage de la maison qu’elle occupe, l’as sociation a rénové un espace de 100 m 2 qui servait jadis de débarras. “Nous construisons ici une pièce de vie pour les femmes en danger. Il fonction nera comme notre accueil de jour. Les femmes, avec leurs enfants, pourront bénéficier d’un lieu cocooning, sécurisé, où elles pourront s’isoler mais
dans le lieu destiné aux femmes qui doit ouvrir en avril.
aussi un espace collectif où elles pourront parler, être aidées. Elles trouveront ici une béquille sur laquelle s’appuyer” , rapportent Claude Bouffet, le président, et Mélanie Dulize, coordinatrice. L’espace doit ouvrir en avril. À Pontarlier, les femmes violen tées sont abritées la nuit dans des chambres d’hôtels. Il n’y avait pas de lieu pour les
accueillir la journée. Ce nou veau service est vivement attendu dans le Haut-Doubs. L’association qui a investi 200 000 euros dans ce projet a bénéficié d’aides. Néanmoins, il lui manquait environ 5 000 euros. Elle fait un appel aux dons (l’association est déclarée d’intérêt général). n
Rens. : 03 81 39 33 23
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