La Presse Pontissalienne 263 - Décembre 2021

L’événement 7

La Presse Pontissalienne n°263 - Décembre 2021

l Défenseur des prédateurs Le naturaliste Alain Prêtre “J’ai basculé dans l’illégalité pour

défendre le loup” Journaliste et photographe animalier originaire du Haut-Doubs, Alain Prêtre est un activiste “pro-loup et pro-lynx” et un anti-chasse de la première heure. Domicilié à La Chaux-de-Fonds, il est devenu la bête noire des autorités suisses. Accompagné d’autres personnes, il gêne la progression des gardes-faunes chargés d’éliminer deux louveteaux dans le massif du Marchairuz. Pour l’instant, ça marche.

loup. Je risque une amende et des pour- suites judiciaires mais ce n’est pas grave. Le canton de Vaud vient officiellement le 15 novembre de prendre un arrêté pour interdire l’accès à certaines routes. C’est soi-disant pour l’hiver…mais c’est surtout pour nous empêcher de circuler et de les gêner. Ce n’est pas grave, on va continuer même si je risque 200 francs d’amende. L.P.P. : Votre veille fonctionne-t-elle ? A.P. : Depuis le 31 août, ils n’ont pas réussi à tirer ces deux jeunes loups : c’est une petite victoire pour notre équipe composée d’une trentaine de personnes car toutes les nuits, on se relaie. Il y a des personnes qui viennent de Suisse et de France pour nous aider.Ce ne sont pas comme certains veulent le dire des citadins hors-sol mais des gens de terrain ! Ça génère de la tension chez les gardes-faunes mais nous n’allons pas attenter à l’intégrité des personnes. Je ne suis pas dans l’éco-ter- rorisme. Alain Prêtre, photographe animalier, est un fervent défenseur de la nature et plus particulièrement des grands prédateurs.

L a Presse Pontissalienne :Depuis le 31 août, la Suisse a validé le tir de deux louveteaux dans la zone dite du Marchairuz (canton deVaud) après l’attaque par cettemeute composée de onze individus de treize veaux dans les alpages. Pourquoi dénoncez-vous ces tirs ? Alain Prêtre : On comptabilisait 1 500 veaux cet été en estive dans les alpages duMar- chairuz dont 130 sontmorts au printemps de pneumonie suite aux conditions cli- matiques… et 13 prédatés par le loup. C’est peut-être treize de trop pour les agriculteurs mais bon, ça reste peu ! Si on ne veut aucune prédation, on tue tous les loups. Demain, la meute du Risoux (composée de six animaux) va peut-être s’attaquer à des veaux… mais ce n’est pas ça qui va mettre en danger la filière comté ou celle du mont d’or. Ceux qui diront cela vont se ridiculiser. Ce que je dénonce en Suisse, c’est l’impréparation face à l’arrivée du loup. On savait qu’il était implanté ici mais aucune mesure d’accompagnement n’a été prise. Il a trouvé un territoire giboyeux et s’est logi- quement implanté. J’ai d’ailleurs traité

la conseillère d’État Béatrice Métraux, ministre écologiste vaudoise, “d’amatrice” dans ce dossier. J’espère que le Doubs se prépare et anticipe. L.P.P. : Ce dossier est explosif à quelques kilomètres de notre frontière. Le 8 octobre, vous avez réuni 250 manifestants pour dénoncer ces tirs pro- grammés. Le photographe animalier a troqué son appareil pour l’action… A.P. : J’ai choisi de prendre une orientation plus radicale dans mon combat face à l’urgence écologique que nous vivons et à la dégradation des milieux. L.P.P. : Êtes-vous prêt à basculer dans l’illégalité pour défendre le loup ? A.P. : J’ai déjà basculé dans l’illégalité et je suis prêt à la refaire. La nuit, en binôme, nous cherchons où sont postés les gardes-faunes pour les empêcher de tirer les deux louveteaux. Nous sommes munis d’une caméra thermique pour les repérer dans la nuit.Quand on les repère, on se met dans leur ligne de mire. Je suis prêt à m’interposer entre eux et le

population pour “une battue aux loups”. Il est de retour en France depuis 1992 avec l’arrivée de loups venus d’Italie. Des éclaireurs sont venus jusque sur lemassif jurassien et se sont installés depuis 2017 dans leMarchairuz, 2019 pour le Risoux et Mont d’Or. L.P.P. : Comprenez-vous l’inquiétude des éle- veurs ? A.P. : Je comprends leur désarroi.Trouver ses bêtes égorgées au petit matin, ça fait mal au cœur mais des dispositifs existent comme les chiens de troupeaux, ou placer des ânes avec des veaux ou génisses, lais- ser pousser les cornes des vaches, etc. n Propos recueillis par E.Ch.

L.P.P. : Avez-vous déjà vu le loup dans le massif du Jura ? A.P. : Non, je l’ai entendu chanter début novembre. C’était magnifique. J’ai localisé leur tanière mais j’ai bien pris garde à vite me retirer et je n’ai pas posé de piège-photos. Je me dois d’être irrépro- chable : je suis là pour défendre la nature, je ne suis pas là pour la gêner ! Lorsque nous avons fait notre manifestation à 250, nous sommes restés sur un bord de route, on ne gênait pas l’animal. L.P.P. : Espérez-vous que le loup s’implante chez nous, dans les gorges du Doubs, du Dessoubre ? A.P. : Oui, il a sa place. Je rappelle qu’en 1875 aux Bréseux, la mairie appelait sa

l Chaux-Neuve Agriculture “On sent poindre une vraie inquiétude chez les éleveurs du Haut-Doubs” Agriculteur à Chaux-Neuve, Pierre-Henry Pagnier préside

“On sent poindre une vraie inquiétude chez les éleveurs du Haut-Doubs”, constate Pierre-Henry Pagnier, agriculteur à Chaux-Neuve très investi dans le développement du pastoralisme sur le massif jurassien.

chiens de protection des troupeaux, les fameux Patous. Qu’en pensez-vous ? P.-H.P. : Je ne suis pas sûr que cela soit compatible avec le tourisme grandeur nature plutôt estival qui fait l’attrait du Jura. Cela posera un vrai problème de coha- bitation. L.P.P. : Les autorités suisses suggèrent aussi l’idée de regrouper chaque nuit les veaux de plusieurs alpages dans des grands enclos clôturés. P.-H.P. : Avec le morcellement du prébois, cette solution me semble elle aussi complexe à mettre en œuvre. Je ne suis pas convaincu de l’intérêt environnemental de ces concentrations. Son mon alpage, je pourrais rentrer les veaux assez facilement mais c’est loin d’être aussi évident à l’échelle du massif. Je ne suis pas opposé à l’adaptation mais elle a aussi ses limites. L.P.P. : Comment lemonde paysan perçoit l’arrivée du loup et ces récentes attaques

L.P.P. : En Suisse, les attaques de loup concernaient surtout des veaux qui sont isolés des génisses. Les éleveurs français procèdent-ils de façon identique ? Si oui, pourquoi cette séparation ? P.-H.P. : Oui, et cela s’explique par les particularités des alpages jurassiens qui sont très boisés et cloisonnés. On y trouve majori- tairement des élevages bovins, même s’il ne faut pas négliger quelques exploitations ovines qui ont toute leur place dans le pay- sage agricole. On travaille donc sur des petits allotements où il est très difficile de mélanger des veaux et des génisses car les uns comme les autres ont des besoins différents, ce qui implique un suivi spécifique. C’est comme si on mélangeait des maternelles et des primaires dans une même classe. Cette séparation, c’est aussi un risque supplémentaire qui complique la mise en place des mesures préventives.

l’Association Régionale de Développement Agricole et Rural du Massif du Jura, chargée entre autres de mener une politique de soutien vis-à-vis du pastoralisme. Il est forcément attentif à l’arrivée du loup et aux conséquences induites chez les cheptels ovins et surtout bovins du Haut-Doubs. Entretien.

faire de la prévention. Pour l’ins- tant, ce n’est qu’une application à l’étude. Ce sera à chaque cham- bre départementale d’agriculture d’investir ou pas dans la réalisa- tion de l’outil auquel je suis très favorable. L.P.P. : Des raisons donc d’être inquiets ? P.-H.P. : Tout dépendra de l’évolution des populations de loups sur le massif jurassien. En France, le nombre de loups a progressé de 8 % en 2021. Il ne faut pas oublier de se mettre à la place des éle- veurs. Tôt ou tard, je pense qu’il faudra se poser la question du statut du loup aujourd’hui protégé par la Convention de Berne. On constate aujourd’hui que c’est une espèce en voie de colonisation. n Propos recueillis par F.C.

sur bovins ? P.-H.P. : On sent poindre une vraie inquiétude chez les éleveurs du Haut-Doubs qui sont très attachés à leurs bêtes. On vit dans une région de passionnés d’élevage où la moindre perte dépasse le cadre purement agricole et éco- nomique. L.P.P. : Difficile donc de faire de la pré- vention ? P.-H.P. : Il y a quand même des choses qui me semblent efficaces. J’ai présenté au comité départe- mental Grands Prédateurs l’ap- plication “Maploup” qui permet de cartographier les attaques de loups et d’en informer les éleveurs avec des données sous contrôle de la D.D.T. Ce projet a été déve- loppé sur l’arc alpin en vue de

L a Presse Pontissalienne :À quand remonte la dernière attaque du loup sur le secteur ? Pierre-Henry Pagnier : Une attaque sur moutons a eu lieu à Chaux- Neuve au printemps dernier. L.P.P. :Aucun bovin n’a donc été attaqué par le loup dans le Haut-Doubs ? P.-H.P. : Pas pour l’instant, mais aujourd’hui la problématique loup s’étend sur tout le massif. Avec l’installation assez rapide de deux meutes en frontière franco-suisse, on sait que durablement, ils sont là. On redoute, bien sûr qu’ils s’at- taquent à des bovins comme ils l’ont fait côté suisse sur le massif

du Mont Tendre.

L.P.P. : Cela peut-il remettre en cause le travail effectué en faveur du pastora- lisme ? P.-H.P. : C’est trop tôt pour le dire. La politique de soutien vis-à-vis du pastoralisme a évolué et les risques de déprise agricole sur ces espaces sont plus limités aujourd’hui.Avec le réchauffement climatique, les alpages attirent de nouveau les éleveurs. Aujourd’hui, dès qu’un alpage se libère, il trouve vite preneur. Les mesures s’articulent davantage sur la problématique de l’eau.

L.P.P. : Certains préconisent l’usage des

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