La Presse Pontissalienne 242 - Décembre 2019

DÉBAT

La Presse Pontissalienne n°242 - Décembre 2019

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NATURE

Dialogue

Le loup : mieux le connaître

pour mieux s’en protéger

La formation d’une meute de loups dans le massif du Jura suscite beaucoup de craintes, d’espoirs et d’interrogations. Le canton de Vaud en Suisse voisine et le Parc naturel régional du Haut-Jura ont mandaté Jean-Marc Landry et son équipe, un scientifique spécialiste du loup pour apporter de la connaissance et favoriser l’accompagnement des éleveurs.

“L a meute se porte bien. Les louveteaux ont atteint 80 % de leur taille adulte. On a récemment repéré un indi- vidu inconnu, d’aspect très juvénile, probablement un subadulte (adulte non reproducteur) qui a peut-être dis- paru une partie de l’été. Les résultats de nos recherches dans le sud des Alpes suggèrent que des subadultes peuvent avoir une relation très élastique autour du noyau central associant le couple reproducteur.” Plusieurs indices montrent la présence d’au moins un loup mâle du côté fran- çais, mais nous ne savons pas encore s’il y a un lien avec la meute du Mar- chairuz. Ce secteur s’inscrit dans la zone de présence permanente du loup dite du Marchairuz et qui s’étend à cheval sur la frontière entre le Risoux et leMont Tendre. Le scientifique utilise plusieurs outils pour mener à bien son travail d’observation : relevés d’em- preintes, crottes, pièges photogra- phiques, suivi par caméra thermique sur les lieux de rendez-vous où les lou- veteaux viennent attendre leur pitance et les pâturages occupés par les trou- peaux de bovins… “On a collecté 180 indices, 132 vidéos dont 8 réalisées en caméra thermique. On ne s’attendait pas du tout à recueillir autant d’infor- mations. On a même réussi à avoir des

images uniques au monde. Au fil des observations, on commence à compren- dre comment ces loups utilisent leur territoire. Ce qui nous intéresse, c’est de pouvoir partager ces informations” , poursuit Jean-Marc Landry sans oublier de rappeler qu’il n’est pas man- daté pour réaliser des films animaliers mais d’abord pour accompagner les éleveurs et bien travailler sur la rela- tion à l’élevage. C’est un rôle d’écoute et d’échange. “On discute beaucoup. Aujourd’hui, on ne sait pas si on peut protéger un trou- peau de bovins dans le Jura. De façon générale, il y a beaucoup moins de pré- dations de loup sur du bétail. À la dif- férence des zones alpines, il y a plus d’activités humaines dans la zone à loup du Jura. Pour aller chasser, les

loups passent sur les pâturages occupés par les bovins et continuent de le faire après la des- cente des bêtes. Il n’y a pas eu d’attaques avé- rées. Pour l’instant, cela se passe plutôt bien.” Il n’en va pas de même des deux troupeaux ovins présents sur ce secteur qui subissent des attaques depuis quelques années. En

“On a réussi à avoir des images uniques au monde.”

Les loups passent à quelques dizaines de mètres des troupeaux. (photo F.M.L.J.).

août dernier, Xavier Broquet, éleveur de brebis à Trélace dans le secteur des Rousses a perdu 9 brebis suite à une attaque, sans compter les bêtes muti- lées ou tout simplement effrayées. Son troupeau avait déjà été attaqué en 2013. “Il faut réfléchir pour trouver des solutions plus efficaces” , admet Jean-Marc Landry qui travaille à la mise en place d’un Plan Initial de Pro- tection qui sera établi à partir d’un diagnostic de vulnérabilité. La pré- vention passe par la communication entre tous les acteurs qui cohabitent sur la zone à loup. Il existe par exemple l’application “Proxyloup” pour informer tous les éleveurs inscrits des agisse-

ments du loup.À chacun de renseigner au mieux cette plateforme. “On a orga- nisé le 3 octobre une séance d’informa- tion qui a réuni d’une vingtaine d’éle- veurs et de bergers. Ils ont apprécié qu’on soit là pour les écouter et les aider si nécessaire, leur dire aussi la vérité.” Le loup peut aussi avoir un rôle de régulation sur des populations de cerfs dont se plaignent les forestiers et peut- être sur les sangliers qui causent aussi des dégâts en zone agricole. “Aujourd’hui, les gens sont plutôt dans l’attente de voir ce qui va se passer. Il y a beaucoup d’inquiétudes et de craintes. On doit travailler en parte- nariat avec les éleveurs, tenir compte

de leurs contraintes et peut-être mieux cadrer certaines pratiques, comme arri- ver à mieux préciser les dates de vêlage, ce qui facilite le travail du berger.” Le scientifique ne serait pas contre la pose d’un collier sur l’un des membres de la meute, histoire d’affiner le suivi sur les déplacements. Qu’en sera-t-il demain ? Tous les scénarios sont pos- sibles. “L’évolution reste très aléatoire. On peut très bien imaginer qu’il n’y ait plus de loup ou le contraire. Il faut rester prudent, prévoir un suivi régulier, un accompagnement aux éleveurs et surtout ne pas couper le cordon du dia- logue.” n F.C.

Zoom “À tout prix éviter le débat pro contre anti-loup” D epuis plusieurs saisons berger au chalet du Pré Loin situé au cœur du Risoux entre Mouthe et la Vallée de Joux, Gérard Vionnet qui milite depuis longtemps pour la cause environnementale suit de près l’arrivée du loup dans le Jura. “Les premiers signalements du loup dans le massif remontent au début des années 2000. Il aura donc fallu vingt ans pour avoir une meute” , explique celui qui a déjà relevé des indices de passage sur son alpage français. Si la cohabitation se passe plutôt bien avec les bovins, ce berger estime qu’il faut se prémunir pour empêcher le loup de passer à l’action. Un comportement pour l’heure imprévisible. “Il y a plusieurs façons d’agir. On peut avoir des patous capables d’éloigner le loup sans s’en prendre aux promeneurs et chasseurs. Il est très compliqué d’éduquer un tel chien mais il existe des référents même dans le Doubs. La présence du loup impose à mon avis qu’un berger soit sur place. La garde sans l’homme, c’est compliqué. On peut également si le besoin s’en fait sentir, procéder à des tirs sélectifs d’éloignement qui sont très efficaces quand ils sont bien ciblés.” Pour suivre de près ce qui se passe dans d’autres massifs, Gérard Vionnet sait que la confrontation ne mène à rien. “Si la situation se radicalise, il faut qu’on puisse mettre des mesures de protection et éviter d’entrer dans un débat stérile entre pro et anti-loup.” Il met aussi en avant l’importance de l’échange d’informations, notamment avec une application comme Proxyloup qui a déjà fait ses preuves. n “Cela impose qu’un berger soit sur place.”

RÉACTION “Ce n’est pas juste aux éleveurs de s’adapter”

P roducteur de lait à comté ins- tallé à Chaux-Neuve, Pierre- Henri Pagnier, élu à la chambre d’agriculture du Doubs et pré- sident de l’Association Régionale de Développement agricole duMassif du Jura ne cache pas ses craintes. “C’est une situation à prendre avec une extrême importance pour les éleveurs notamment ceux travaillent en ovin ou caprin. Le loup est une source supplé- mentaire d’inquiétude et de stress. On sait que partout où il y a du loup, il y a de la tension.” La configuration des alpages ou pré-

bois jurassiens, combinaison de forêt et de pâturage complique selon lui la mise en place de mesures de protection efficaces. Des espaces également fré- quentés par l’homme : bergers, chas-

cle 2 du plan loup éligible aux mesures de protection, de tirs d’effarouchement et de prélèvement si nécessaire. Il faut absolument être en capacité de réagir vite si des débordements sont consta- tés.” Avec le réchauffement climatique et le souci de ressource fourragère, les alpages représentent une solution de pâturage de plus en plus prisée par les éleveurs du Haut-Doubs. “Je suis favorable au dialogue mais sous réserve que chacun soit entendu et que ce ne soit pas juste aux éleveurs de s’adap- ter.” n

seurs, promeneurs, spor- tifs… Ce qui pourrait soulever des problèmes de cohabitation avec les chiens de protection. “On a voté une motion à la chambre d’agriculture pour que les départements du Doubs et du Jura soient inscrits dans le cer-

La configu- ration des alpages complique la donne.

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