La Presse Pontissalienne 234 - Avril 2019

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Pontissalienne n°234 - Avril 2019

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POLITIQUE

La France Insoumise

“Le droit social suisse n’est sans doute pas un modèle à suivre” De passage à Pontarlier fin

L a Presse Pontissalienne :Quelle bonne parole êtes-vous venu porter dans le Haut-Doubs ? Alexis Corbière : Simplement les pro- positions de La France Insoumise alors qu’on est désormais à moins de deux mois des élections euro- péennes et que cette échéance est habituellement ignorée des citoyens. De notre côté, nous avons un pro- gramme et une liste ficelés depuis la fin de l’année dernière et nous sommes en ordre de marche. Mais il est clair que beaucoup de per- sonnes ont dumal à saisir les enjeux de ces élections. L.P.P. : Qu’est-ce qui explique cette désaf- fection ? A.C. : Beaucoup estiment que l’Europe est la source de bien des maux ou de malheurs et il faut reconnaître que l’actualité est plus occupée par les moments de turbulence que tra- verse la France avec ce mouvement des gilets jaunes que par les enjeux européens qui sont absents du débat public. C’est la raison pour laquelle il est plus que nécessaire de faire campagne en sachant que nous nous adressons à un public qui est forte- ment abstentionniste. Les gens qui nous ont fait confiance lors des pré- cédentes élections sont pour l’es- sentiel issus des milieux populaires, souvent éloignés de la chose publique, et c’est donc à nous de leur montrer que cette élection est impor- tante. L.P.P. :Avec moins de 10 % d’intentions de vote, L.F.I. n’imprime pas encore suffisam- ment ! Les sondages donnent la liste de La République En Marche en tête des inten- tions de vote. C’est paradoxal en plein mou- vement des gilets jaunes ? A.C. : Si les intentions se confirment, on serait en effet totalement à contre- courant de ce qui se passe actuel- lement en France. Mais on sait que mars, le député insoumis Alexis Corbière, bras droit de Jean-Luc Mélenchon, est venu soutenir Laurence Lyonnais, seule candidate aux Européennes du Haut-Doubs. Avec quels messages ?

avec le traité de Lisbonne, avec les accords de libre-échange, avec la perception qu’ils ont de la bureau- cratie européenne et ces personnes- là se tournent vers les partis popu- listes. Il faut donc expliquer notre position et parler des vrais enjeux de l’Europe. C’est la raison de ma venue à Pontarlier. L.P.P. : On ne peut pas dire que La France Insoumise soit un parti pro-européen ! A.C. : On ne cherche pas à réconcilier les gens avec l’idée européenne. On veut leur montrer que l’Europe sociale qu’on veut nous vendre ne fait qu’exacerber la concurrence entre les pays à l’intérieur même de l’Europe et que les principales délocalisations des entreprises se font au sein même de l’Europe. Et que sur la question des travailleurs détachés, malgré les annonces et les beaux discours, rien n’a changé. L.P.P. : Quelles sont alors vos orientations et priorités sur la question européenne ? A.C. : Notre message principal, c’est que les peuples retrouvent leur sou- veraineté sur les prises de décision. Les traités européens ont été signés contre la volonté des peuples et, on le voit en ce moment en France, on n’imposera rien au peuple par la force.On consulte de temps en temps le peuple,mais on se fiche du résultat de cette consultation. Ce système ne peut pas durer. L.P.P. :Vous prônez donc la désobéissance aux traités européens ! A.C. : Si on veut aller par exemple vers une harmonisation fiscale et sociale entre les pays européens, les traités actuels nous l’interdisent. Alors, oui, nous souhaitons rompre avec les traités européens. On sait qu’il n’y aura pas d’Union euro- péenne sans la France. Alors c’est à la France de créer de nouveaux partenariats avec des pays qui refu- seront également de se soumettre aux traités actuels. Si nous sommes élus, nous assumons complètement le fait que nous ne respecterons plus les traités européens. Nous sommes dans un moment où ceux qui sont guidés par des soucis de justice sociale, écologique et d’amitié entre les peuples contribuent à faire sortir l’Europe de cette concurrence per- manente. Nos candidats à cette élec- tion européenne, et nos prochains élus au Parlement européen seront donc ceux qui lutteront contre les mesures anti-sociales et anti-écolo- giques prises depuis des années à l’échelle européenne. Ce seront des élus de combat. L.P.P. : On ne va pas se mentir : vous faites aussi clairement de ces élections prochaines un enjeu national ! A.C. : Oui, et on ne s’en cache pas. On incite déjà les gens à aller voter car ce serait terrible que par l’effet des élections européennes le prési-

Alexis Corbière était dans le Haut-Doubs fin mars. Il a également fait une halte dans la cellule de Toussaint

Louverture au château de Joux.

le modèle des grandes concentra- tions et des domaines immenses n’est pas le bon.On ne crée pas ainsi les conditions d’une bonne valori- sation de la production comme les agriculteurs du Haut-Doubs ont su le faire avec les A.O.P. fromagères et la valorisation de leur lait. C’est la raison pour laquelle il faut abso- lument sur le plan européenmettre un terme aux traités de libre- échange C.E.T.A. (avec les États- Unis et le Canada) et J.E.F.T.A.(avec le Japon) notamment qui concur- rencent nos produits de qualité fran- çais. En cela, les A.O.P. comme ici sont des îlots de résistance. L.P.P. : Dans cette campagne, la gauche semble une nouvelle fois très divisée. Pour- quoi ? A.C. : Il y a actuellement six listes testées dans les sondages. En 2014, il y avait 12 listes de gauche et habi- tuellement il y a toujours entre 6 et 8 listes de gauche. Mais aujourd’hui, les gens ne se latéra- lisent plus politiquement. Le pro- blème, c’est aujourd’hui que la tota- lité des listes de gauche sont créditées de 27 % des intentions alors qu’en 1999, les listes de gauche avaient totalisé 53 %. On est dans une crise profonde et c’est d’autant plus important de parler à ces gens, abstentionnistes ou autres et leur forger une vraie compréhension de ce qu’est l’intérêt général. Il est clair que la crise actuelle touche également les partis politiques qui sont victimes d’une énorme méfiance. Le grand défi sera de réussir à fédérer le peuple autour d’objectifs communs : l’urgence sociale, l’urgence écologique, l’ur- gence démocratique. Pour cela, il faut reforger les institutions. L.P.P. : Vous voulez nous reparler de cette fameuse VIème République ? A.C. : Oui, elle est nécessaire. Elle comporterait un système de contrôle des élus, une vraie proportionnelle,

dent Macron sorte vainqueur et puisse dire à tous les Français que la politique qu’il mène depuis deux ans est la bonne. On nationalise clairement cette élection en effet. Car notre discours et notre pro- gramme portent les mêmes choses au niveau européen qu’au niveau national. L.P.P. :Vous êtes venu plaider votre cause dans le Haut-Doubs,un territoire où nombre de salariés touchent plus de 3 000 euros par mois grâce à la Suisse voisine. Ne vau- drait-il pas mieux s’inspirer du système suisse avec des charges sociales beaucoup plus légères ? A.C. : Le droit social suisse n’est sans doute pas un modèle à suivre. Si un jour un salarié vient à être licen- cié, il aura beaucoup moins de pro- tection qu’en France. Et la Suisse a bâti sa richesse et sa réputation sur le fait d’être un paradis fiscal. Nous ne voulons pas de ce modèle. De plus, les salariés frontaliers ris- quent aussi de se retrouver un jour dans une situation de précarité, concurrencés par des travailleurs venus d’Europe de l’Est, avec moins de compétences certes, mais qui pourront un jour remplacer ces actuels frontaliers. L.P.P. : Il n’empêche que la Suisse est un pays prospère sur le plan économique… A.C. : Il faut aussi mesurer du point de vue français ce que représente l’évasion fiscale, notamment vers la Suisse. C’est 80 à 100 milliards d’euros par an. Si on donnait véri- tablement les moyens de lutter contre cette évasion, le problème du déficit public français serait déjà réglé. L.P.P. : L’Europe a ses faiblesses, elle a aussi ses bienfaits. Ce ne sont pas les agriculteurs du Haut-Doubs qui diront le contraire ! A.C. : Ici, l’agriculture a sans doute su se défendre mieux qu’ailleurs. C’est un exemple qui montre que

la prise en compte du vote blanc, moins de pouvoirs concentrés sur le président, plus de transparence sur la rémunération des élus notam- ment, un recours à la démocratie directe plus régulier, etc. On ne peut pas continuer ainsi. Imaginez que dans ma circonscription de Seine- Saint-Denis, j’ai certes été élu à 58 % des suffrages mais 80 % des électeurs de la circonscription ne s’étaient pas déplacés aux urnes ! Il faut trouver un système où l’avis du peuple est beaucoupmieux repré- senté. L.P.P. : Vous êtes un gilet jaune ? A.C. : Ce serait manœuvrier de dire que j’en suis un,mais je les soutiens et je les comprends. L.P.P. : Y compris la frange violente ? A.C. : Bien sûr que non, car cette vio- lence invisibilise tout. Mais face à la stratégie du pourrissement, quels moyens ont les gens de réagir ? L.P.P. : Le grand débat était un de ces moyens ? A.C. : Ce n’était ni grand, ni un débat, c’était un monologue du président de la République.Tout cela ne rime à rien. Cette stratégie du pourris- sement produit hélas des effets pourris. L’autre moyen efficace est donc d’utiliser son bulletin de vote. L.P.P. : Les frasques récentes de Jean-Luc Mélenchon en ont déçu beaucoup dans votre camp ? A.C. : Certains nous en parlent, c’est vrai, mais cela ne change rien à nos convictions et à notre engagement. L.P.P. : Un objectif pour ces Européennes sachant que votre candidate Laurence Lyonnais est finalement la seule candidate du Haut-Doubs aux Européennes qui pourrait être éligible ? A.C. : Pour l’instant, on est à 8 à 10 % d’intention de vote. On vise 12 ou 13 %. n Propos recueillis par J.-F.H.

Bio express

Alexis Corbière est

l

né le 17 août 1968 à Béziers.

l Membre de la Ligue communiste révolutionnaire de 1993 à 1997, il est ensuite membre du Parti socialiste (P.-S.) jusqu'au congrès de Reims de 2008. Il devient alors secrétaire national du Parti de gauche (P.G.). 12 ème arrondissement de Paris de 2001 à 2014, et conseiller de Paris entre 2008 et 2014. de Jean-Luc Mélenchon et de La France insoumise, française de 2017, il est élu député dans la 7ème circonscriptio n de la Seine-Saint- Denis lors des élections législatives de 2017. Alexis Corbière est membre de la commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’Assemblée nationale. l Porte-parole pour l’élection présidentielle l l Il est premier adjoint à la maire P.-S. du

l’électorat EnMarche est composé essentiel- lement de gens mobi- lisés, appartenant à des catégories sociales plutôt supérieures et c’est ce qui explique les intentions de vote actuelles. On sait aussi que ce sont d’abord les pro-euro- péens qui se dépla- cent aux urnes pour ce scrutin. Parallèle- ment, il y a ceux qui estiment qu’ils ont été bernés par nos gou- vernants en 2005

“On n’imposera rien au peuple par la force.”

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