La Presse Pontissalienne 223 - Mai 2018

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Pontissalienne n° 223 - Mai 2018

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SANTÉ

L’affaire des salmonelles dans le mont d’or

“En imposant des contrôles plus stricts, on a sans doute sauvé d’autres personnes”

Responsable du centre national de référence des salmonelles basé à l’institut Pasteur à Paris, Simon Le Hello apporte un regard scientifique sur les contaminations à la salmonelle identifiées en 2015 sur les filières morbier et mont d’or et qui viennent d’être révélées par France Inter.

L a Presse Pontissalienne : Quel est votre sentiment sur cette affaire ? Simon Le Hello : Je suis surpris que cela sorte de manière médiatique. J’ima- gine que cela est en lien avec d’autres contaminations à la salmonelle qui ont aussi récemment défrayé la chronique. On se refuse de parler d’une épidémie finie depuis plus de deux ans. L.P.P. : Quel est le rôle du centre national de référence salmonelles comme celui de l’Ins- titut Pasteur ? S.L.-H. : Ce centre national de référen- ce existe depuis plus d’un siècle. On a cette chance en France d’avoir le réseau de laboratoires d’analyses bactériolo- giques le plus dense au monde. On tra- vaille en effet avec plus de 1 500 labo- ratoires dont 400 hospitaliers. Même les Américains nous envient cette cul- ture typiquement française de la bac- tériologie. L.P.P. : Comment fonctionne ce réseau en cas d’alerte ? S.L.-H. : Quand les laboratoires reçoi- vent une analyse salmonelle, ils envoient de façon volontaire, à leurs frais, la souche bactérienne au laboratoire réfé- rence pour que l’on puisse procéder à d’autres analyses plus poussées sur cette souche. On reçoit chaque année plus de 10 000 salmonelles. On couvre la France métropolitaine et les terri- toires français outre-mer. L.P.P. : Que se passe-t-il alors au centre de référence ? S.L.-H. : On a la chance de s’appuyer sur un réseau stable et historique avec plein de développements statistiques et épidémiologiques. On reçoit donc toutes les souches et on regarde de manière hebdomadaire si on observe une augmentation d’un cas, d’un type de salmonelle à l’échelle nationale, régionale, départementale…On a donc un moyen rapide et efficace de détec- ter tout événement anormal. Chaque

immédiatement du marché le produit concerné. Quand il s’agit d’un produit “artisanal” diffusé localement, l’am- plitude n’est plus la même. L.P.P. : Comment a été identifiée la contami- nation sur le morbier et le mont d’or ? S.L.-H. : On a observé une augmenta- tion de la salmonelle Dublin en fin d’année 2015. On sait depuis long- temps que cette salmonelle circule en Franche-Comté dans les cheptels lai- tiers utilisés pour la fabrication des fromages au lait cru morbier et mont d’or. Dès qu’on évoque le type Dublin, on pense automatiquement aux fro- mages au lait cru. C’est ensuite à San- té Publique France de procéder à des investigations épidémiologistes, à des interrogatoires auprès des patients affectés. Tout est parfaitement cadré. À la fin, on corrèle tous les résultats. Dans le cas présent, plusieurs fromages ressortaient et on se retrouve avec une épidémie un peu plus complexe. Le centre national de référence salmo- nelle a développé des techniques de pointe pour connaître par exemple l’empreinte génétique de chaque souche. On s’apparente alors à une police scien- tifique qui procède à l’analyse A.D.N. de ces bactéries. Grâce à ces méthodes, on a pu révéler pour plusieurs cas le lien avec le morbier et le mont d’or. On avait aussi d’autres cas inexpliqués mais en nombre insuffisant pour éta- blir un lien. À chaque enquête, la par- tie vétérinaire se mobilise également. L.P.P. : Pourquoi ne pas avoir retiré les lots de morbier ou mont d’or contaminés ? S.L.-H. : Pour cette enquête, on est arri- vé aux résultats un peu tard.Tout était terminé, y compris le risque de nou- velles contaminations vis-à-vis de la population humaine. Comme le pro- duit n’est plus en circulation, il n’y avait plus besoin de communiqué de presse qui doit avant tout servir à pro- téger la population. En revanche, un gros travail a été entrepris pour com- prendre comment cela s’est passé et des mesures sanitaires drastiques de contrôles ont été mises en place à tous les échelons, du producteur laitier à l’atelier de transformation. Quand le lait arrive par exemple dans les cuves, un filtre spécifique a été installé. Il permet d’effectuer des analyses quo- tidiennes et la fabrication est lancée seulement après résultats. C’est une mesure coûteuse mais nécessaire. L.P.P. : Comment se manifeste une contami- nation aux salmonelles ? S.L.-H. : Ces bactéries provoquent géné- ralement des gastro-entérites qui sur- viennent 24 à 48 heures après inges- tion. Cela se présente sous forme de diarrhées. En général, ces gastro-enté- rites se résorbent naturellement. Ce qui est vrai sur le corps humain se répercute aussi sur la partie vétéri- naire. Pour cette épidémie, il y a eu

“On reçoit 10 000 souches de salmonelle par an”, indique Simon Le Hello qui dirige le Centre National de Référence Salmonelle à l’institut Pasteur (photo Institut Pasteur).

vaut se reporter sur des fromages pas- teurisés. L.P.P. : Plus de comté non plus ? S.L.-H. : Sur le plan humain, je crois qu’on n’a très peu, voire pas du tout identifié de cas liés à des comtés conta- minés à la salmonelle. Le process de fabrication d’une pâte pressée cuite offre plus de garanties sanitaires. La contamination est probablement plus faible mais sur une personne très fra- gile, cela peut suffire. L.P.P. : D’autres remarques ? S.L.-H. : Oui. Il est important d’insister sur les contrôles en amont, côté vété- rinaire, pour éviter de mettre en ven- te les produits. On travaille pour mettre en place les mesures les plus adéquates. Cette démarche est toujours en cours notamment au niveau de l’approche scientifique du phénomène pour être plus applicatif en termes de mesures. L.P.P. : On peut donc être encore plus précis dans le ciblage des sources de contamina- tion ? S.L.-H. : Les technologies sont aujour- d’hui d’une telle puissance qu’on serait techniquement capable d’aboutir à l’identification géographique avec coor- données G.P.S. et signature A.D.N. de la source permettant de suivre l’évo- lution de la contamination. Ces tech- niques sont déjà maîtrisées mais elles impliquent une participation totale. Sur les filières morbier et mont d’or, on peut aussi se féliciter d’une réelle prise de conscience, à mon sens, exem- plaire. Les acteurs de ces filières se sont engagés à fond pour que cela ne recommence plus. n Propos recueillis par F.C.

sant des contrôles plus stricts, on a sans doute sauvé d’autres personnes. L.P.P. : Le risque zéro n’existe donc pas ? S.L.-H. Sur des filières comme le mor- bier et le mont d’or, tout le process de fabrication est en lien avec le process de contamination. Malgré toutes les mesures de contrôle, à unmoment don- né, quelque chose peut toujours échap- per aux mailles du filet. Et là, on inter- vient en renforçant les mesures. Les sources évoluent.À nous de nous adap- ter grâce à la sécurité sanitaire. Mais effectivement, le risque zéro n’existe pas. Aujourd’hui, on reçoit 10 000 souches par an alors qu’il y a 10 ou 15 ans on était plus près de 20 000.Aujour- d’hui, il n’y a clairement plus de cas lié à la consommation de fromages au lait cru. En revanche, je ne peux pas prédire l’avenir, ce qui implique de res- ter en vigilance. L.P.P. : Quelles sont les caractéristiques de la salmonelle Dublin ? S.L.-H. : Comme son nom l’indique, elle a été isolée en 1929 chez un homme en Irlande. Cette bactérie est un peu particulière dans le sens où elle n’est pas du tout pathogène chez les per- sonnes en bonne santé mais peut s’avé- rer très dangereuse pour les personnes les plus fragiles. On ne le redira jamais assez mais la consommation de fro- mages au lait cru est vivement décon- seillée aux personnes qui souffrent de maladies chroniques, ou en santé déli- cate. C’est une évidence et peut-être le message à faire passer dans les régions de production où la consom- mation de fromages au lait cru s’ins- crit dans les habitudes alimentaires. Quand on a une maladie grave, mieux

une consommation de fromages au lait cru. Les personnes en bon- ne santé qui en ont été victimes n’ont pas for- cément consulté leur médecin. Celles qui l’ont fait se sont sans doute vues prescrire des analyses et c’est seulement à partir de ce moment-là que le labo va trouver une sal- monelle. Entre l’ana- lyse, l’isolement et l’en- voi de la souche, cela prend entre 6 à 8 jours. Il faut compter enco- re plusieurs jours d’analyses au niveau

“Quelque chose peut toujours échapper aux mailles du filet.”

du centre national de référence. Le cumul de tous ces délais explique pour- quoi les lots contaminés de morbier et de mont d’or n’étaient plus en rayon quand on est parvenu à identifier plus précisément la source de contamina- tion. On ne va pas non plus pousser les investigations s’il n’y a pas d’ano- malie. On détecte les épidémies les plus importantes. Quand l’épidémie a été identifiée fin 2015, on a pu décou- vrir en quelques semaines qu’il n’y avait déjà plus de fromages contami- nés en circulation. L.P.P. : Pourquoi une telle épidémie aux sal- monelles est plus complexe à identifier qu’une autre ? S.L.-H. : Quand il s’agit d’un produit axé sur une tranche d’âge bien définie, la source de contamination est plus faci- le à trouver. Dans le cas du morbier et du mont d’or, la procédure d’identifi- cation n’a pas été vaine car en impo-

anomalie fait l’objet d’une notification aux instances publiques pour qu’ils puissent engager des investi- gations et remonter à la source afin de reti- rer les plus rapide- ment possible l’ali- ment contaminé.Tout cela prend un angle différent quand la souche présente une amplitude commer- ciale importante. Sur un produit comme une poudre de lait infan- tile avec une date limi- te de vente sur plu- sieurs années distribuée à l’échelle planétaire, on com- prend facilement l’im- portance de retirer

“Plus besoin de communiqué de presse.”

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