La Presse Pontissalienne 215 - Septembre 2017

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Pontissalienne n° 215 - Septembre 2017

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POLITIQUE

Patrick Genre, président de l’A.M.D. 25

“La suppression de la taxe d’habitation est une escroquerie intellectuelle” L’association des maires

L a Presse Pontissalienne : Les maires du Doubs ont-ils le moral en cette rentrée ? Patrick Genre : Lesmaires duDoubs restent motivés, impliqués et volontaires pour défendre leur territoire et leur population. Mais certains doutent réelle- ment et parfois se découragent clairement car ils ne se sentent bien souvent pas reconnus et ont l’impression d’être considé- rés comme des variables d’ajus- tement par rapport aux poli- tiques nationales. Il existe un véritable risque de rupture de confiance entre l’État et les élus locaux car depuis des années, les engagements pris par l’État en matière budgétaire ne sont pas tenus. Il y a de vrais déca- lages entre l’intention et l’ac- tion, si bien que les élus locaux ressentent une grande injusti- ce. L.P.P. : À quel niveau par exemple ? P.G. : Quand on accuse les col- lectivités locales de ne pas bien gérer l’argent public par exemple. Je ne connais pas un maire qui ne soit pas attaché à gérer au mieux les deniers publics et à la recherche d’économies. Les collectivités sont régulièrement accusées d’augmenter leurs effec- tifs. Or, ce sont justement les décisions de l’État en matière de transfert de compétences qui obligent à engager du person- nel. La dernière loi qui transfè- re aux intercom- munalités la considérés par l’État. Patrick Genre est très remonté contre le nouveau gouvernement. du Doubs (A.M.D. 25) présidée par Patrick Genre tenait son assemblée générale le 2 septembre. L’actualité est chargée et les inquiétudes nombreuses pour des élus locaux qui se sentent souvent mal

Patrick Genre : “Il faut

redonner de la confiance dans les relations entre l’État et les collectivités.”

des territoires, on apprend que la Dotation d’équi- pement des ter- ritoires ruraux (D.E.T.R.) va bais- ser de 300 mil- lions d’euros et qu’en plus,on pré- voit un tarisse- ment des contrats aidés alors que pour beaucoup de collectivités et surtout d’asso- ciations, la ren- trée est déjà orga- nisée. Ce que je remets en cause,

L.P.P. : Quel message veut faire pas- ser l’A.M.D. 25 avant l’assemblée géné- rale des maires de France qui se tien- dra en novembre à Paris ? P.G. : Nous avons notamment demandé le décalage dans le temps concernant le transfert de la compétence eau et assai- nissement qui est prévu pour 2018. Des systèmes marchent très bien sur le terrain, pour- quoi vouloir casser ce qui fonc- tionne ? L.P.P. : Une question plus locale pour terminer : il semble que l’idée que vous aviez lancée il y a un an et demi de créer une commune nouvelle entre Pontarlier et les communes proches ait du plomb dans l’aile ? P.G. : Je ne sais pas en effet si cette idée aboutira. On ne peut pas décider ce genre de choses de façon arbitraire, il faut que l’idée soit admise et non impo- sée. On ne forcera personne. Cet- te idée de commune nouvelle est peut-être une opportunité pour certaines communes de la C.C.G.P. Nous avons fait faire par les services fiscaux des simu- lations pour connaître l’impact fiscal que représenterait pour les communes l’intégration à une commune nouvelle. Ces simulations seront discutées avec les différents maires cou- rant septembre. La décision de faire ou pas une commune nou- velle, une solution qui est d’ailleurs à échelle variable, sera prise avant la fin de l’année. Et si ça ne se fait pas, ce ne sera pas un drame. n

libre, les collectivités locales n’en ont pas le droit. Il ne faut pas non plus que l’État oublie que les 4/5èmes des élus locaux sont bénévoles et que s’il fallait les remplacer par des agents publics, le coût serait exponentiel. L’État doit comprendre que les collec- tivités agissent au cœur des ter- ritoires, c’était d’ailleurs le thè- me principal de cette récente assemblée générale des maires du Doubs. Je le répète souvent : la commune est la brique de base de la Nation. L.P.P. : Qu’attendent les maires et les élus locaux du nouveau gouverne- ment ? P.G. : De la clarté dans les enga- gements, et de la stabilité. Il y en a assez que chaque Premier ministre ou président de la Répu- blique veuille marquer son pas- sage par une réforme territo- riale. L.P.P. : Estimez-vous néanmoins que sur ce point, le nouveau gouvernement fait mieux que le précédent ? P.G. : Pas du tout, au contraire ! On nous annonce par exemple au cœur de l’été que les écono- mies que les collectivités locales devront faire ne sont plus de 10 milliards, mais de 13 mil- liards d’euros.C’est 30%de plus ! Comment faire pour faire enco- re plus d’économies ? Va-t-on mettre en concurrence les col- lectivités entre elles, les ver- tueuses qui ont déjà fait des éco- nomies et qui sont déjà “au ras des pâquerettes” devront-elles encore faire plus d’efforts ? On a lancé les mutualisations, les regroupements de communes,

la suppression de syndicats inter- communaux… Si on continue, on va arriver à toucher à la qua- lité de l’offre de services publics. Que penseront les citoyens quand on leur annoncera qu’on est obli- gé de fermer des centres aérés, d’augmenter la cantine ou la pis- cine de 15 % ou de fermer des médiathèques ? À Pontarlier, on n’en est encore pas là car chaque année on essaie de baisser nos budgets de fonctionnement, on a regroupé des services comme les centres techniques munici- pal et intercommunal…Mais si on nous demande d’aller enco- re plus loin, à un moment, on ne saura plus faire. Soit le service public se dégradera, soit on aug- mentera les impôts, soit on bais- sera les investissements. Je n’ap- pelle pas cela une démarche vertueuse. L.P.P. : Ces contraintes nouvelles vous obligent-elles à décaler des projets ? P.G. : Bien sûr. Le projet demédia- thèque est un bon exemple. Au lieu de planifier des projets sur 5 ou 6 ans, on le fait désormais sur 7, 8 ou 9 ans. L.P.P. : À l’échelle de l’agglomération pontissalienne, que représentent les efforts financiers demandés par l’État ? P.G. : Sur les budgets Ville et C.C.G.P., nous avons perdu plus de 5 millions d’euros de dota- tion d’État. Sur la Ville par exemple, nous percevions enco- re 2,8 millions d’euros de D.G.F. en 2009. la D.G.F. est passée à 1,128 million en 2017. L.P.P. : La suppression annoncée de la taxe d’habitation ravira les ménages

modestes qui la payent. Qu’en pense le président des maires du Doubs ? P.G. : C’est du populisme et de la communication. C’est une escro- querie intellectuelle et c’est une mesure totalement inéquitable. Sachant que 80 % des ménages seront exonérés parce que soi- disant cette taxe n’est pas équi- table, elle le serait pour les 20 % restants ? Il y a déjà 42 % des ménages français qui ne la payent pas ou qui en sont par- tiellement exonérés. Et dire que l’État compensera à l’euro près, ce n’est pas crédible.Aucun gou- vernement n’a jamais respecté ce genre de paroles. De plus, cet- te mesure va aboutir à une véri- table ingérence, une mise sous tutelle des communes par l’État. Si 80 % de cette ressource se transforme en dotation de l’État, non seulement on perd le dyna- misme des bases fiscales, mais on perd notre autonomie. On touche là à la libre gestion des collectivités, à notre liberté. Au final, le contribuable qui en appa- rence sera gagnant, va y perdre car cette perte d’autonomie fis- cale va obliger les communes à utiliser d’autres leviers.Avec ce genre de mesures, le gouverne- ment transfère le singe de la fis- calité des épaules de l’État aux épaules des collectivités. Et au final, la suppression de la taxe d’habitation ne sera qu’une faus- se bonne nouvelle. L.P.P. : L’annonce de la baisse des contrats aidés vous a-t-elle également contrarié ? P.G. : C’est également catastro- phique. Au beau milieu de l’été, après la conférence nationale

“Le C.A.P. possède le plus grand palmarès de Franche- Comté.”

ce n’est pas la réflexion autour de la question des contrats aidés, qui est sans doute nécessaire, mais encore une fois c’est la bru- talité de la décision. L.P.P. : C’est la même chose pour les rythmes scolaires ? P.G. : C’est exactement pareil. On nous dit : “C’est une dérogation possible,et débrouillez-vous ensui- te !” Pour moi, c’est de l’ama- teurisme, ou uniquement des opérations de communication. Et qui est en première ligne ensuite pour entendre les ques- tionnements ou subir la colère des citoyens ? Ce n’est pas l’État, ce sont les élus locaux. Et en plus, ces mêmes élus locaux vont devoir justifier des décisions qu’ils n’ont même pas prises. À un moment donné, il faudra quand même qu’on redonne de la confiance dans les relations entre l’État et les collectivités. Au fil des dernières années, cet- te confiance s’est désagrégée.

“La commune reste la brique de base de la Nation.”

gestion de l’urba- nisme nous a obli- gés, ici à la C.C.G.P., de créer l’équivalent de 6 emplois. L’État se désengage de cer- taines missions, les confie aux col- lectivités et ce, sans compensa- tion financière et c’est à elles de se débrouiller. En plus, contraire- ment à l’État qui peut voter un bud- get en déséqui-

Propos recueillis par J.-F.H.

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