La Presse Pontissalienne 213 - Juillet 2017

HISTOIRE

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La Presse Pontissalienne n° 213 - Juillet 2017

LIVRE

Aux éditions du Belvédère “Notre avenir, c’est la Suisse !” Après quatre ans de recherche et d’écriture,

Daniel Lonchampt publie aux éditions du Belvédè- re “Histoire économique et sociale de Pontarlier. L’odyssée d’une aventure humaine.” Entretien.

L a Presse Pontissalienne : Qu’est- ce qui vous a poussé à vous enga- ger dans ce projet littéraire ? Daniel Lonchampt : J’y vois trois rai- sons. D’abord mon propre par- cours. J’ai commencé comme ouvrier spécialisé sur une chaî- ne de production à Pontarlier avant de travailler à la S.N.C.F. Comme j’adorais l’histoire, j’ai suivi des cours à l’Université de Besançon pour devenir finale- ment professeur certifié d’his- toire-géographie. Toutes ces expé- riences m’ont permis d’avoir une bonne vision sur le monde éco- nomique. En second lieu, je suis toujours surpris par le manque de culture économique des Fran- çais. Dans ce pays, on a encore du mal à accepter que les gens s’enrichissent par le travail. Ce livre peut donc s’appréhender comme une initiation à l’écono- mie tout en restant un ouvrage historique grand public. Enfin, troisième motivation, Pontarlier possède un patrimoine écono- mique très développé qui mérite qu’on s’y intéresse de plus près. L.P.P. : Vous avez quelques exemples en tête ? D.L. : Avec l’absinthe, Pontarlier a vécu à partir de 1875 une sur- prenante saga industrielle. C’est quand même devenu la capitale mondiale de l’absinthe. On peut évoquer l’aventure de Zurcher et Luthi venus fabriquer desmoteurs puis des voitures à Pontarlier. À l’époque, Z.L. était le cinquième fabricant français, équivalent de Peugeot. Z.L. avait participé et

terminé le premier tour de Fran- ce automobile. Un vrai exploit. Un peu moins connus, les cycles Mervil qui produisaient des vélos utilisés au Tour de France. Après guerre, l’entreprise avait sa propre équipe professionnelle dans laquelle on trouvait un certain Jean De Gribaldy. L.P.P. : Il ne reste plus grand-chose de ce glorieux passé… D.L. : En général, les sagas se ter- minent souvent dans la douleur, comme ce fut le cas avec la C.I.T. De 1958 à 1979, cette entreprise a connu l’âge d’or avant de péri- cliter inexorablement jusqu’à sa fermeture en 2003. C’était l’en- treprise des Trente Glorieuses par excellence. Du pur capitalis- me colbertisme sans risque avec pour seul client les P.T.T. Les plus anciens se souviennent certai- nement des C.P. 400. 1 100 ouvriers travaillaient à la C.I.T. L’année 1979 marque une rup-

Autre fleuron du patrimoine industriel pontissalien, la C.I.T. Alcatel. Vue sur l’atelier de montage des fameux C.P. 400 (source C. Bertin).

Daniel Lonchampt est le premier auteur à s’intéresser à l’histoire économique et sociale de Pontarlier.

sont d’ailleurs le tendon d’Achil- le de Pontarlier. Il y a beaucoup d’échecs. Je pense par exemple au projet E 23 avec ce grand iti- néraire européen qui devait pas- ser par Pontarlier. Seuls les Suisses ont joué en jeu et inves- ti dans des autoroutes qui abou- tissent à Vallorbe. Il n’y a pas eu de continuité côté français. Idem pour le transport ferroviaire de marchandises et de passagers. On doit conjuguer avec des enjeux qui dépassent largement les élus locaux. L.P.P. : Si elle se trouve un peu isolée, Pontarlier reste néanmoins une ville frontalière. D.L. : Exact. Pontarlier a toujours été plus tournée vers la Suisse que vers la France. LeHaut-Doubs a profité par exemple du savoir- faire des fromagers suisses qui ont contribué à l’émergence de la filière comté. Idem avec le major Dubied venu en 1805 ouvrir la première distillerie d’absinthe. D’autres suivront son exemple comme Dubied, Husy (tricotage mécanique), Z.L., les chocolatiers P.C.K. qui deviendront Nestlé… Cette colonisation helvétique s’ex- plique par la fermeture des fron- tières entre la France et la Suis- se suite à une grave crise économique. Les entrepreneurs suisses viendront s’installer en France pour contourner les droits de douane exorbitants et se posi- tionner directement sur le mar- ché français. À la différence de Morteau, Pontarlier ne prendra jamais le virage horloger. L.P.P. : Puis le sens des flux s’est inver- sé avec le développement du travail frontalier. D.L. : Ce mouvement a débuté vers 1950, encouragé par ce slogan “Nous avons les emplois, vous avez les hommes”. Aujourd’hui, la Suisse est le premier employeur du Haut-Doubs. Le travail fron- talier mobilise un actif sur trois. La notion de frontière est très permissive. Elle n’est ni géogra- phique, ni linguistique, mais monétaire. Tout repose sur un

auMoyen-Âge.À partir des XIII è- me -XIV ème siècles, c’est une éta- pe incontournable sur un axe com- mercial majeur entre l’Europe du Nord et du Sud. On peut parler de mondialisation avant l’heure. C’est l’époque où l’Italie se met à commercer avec le monde musulman et exporte beaucoup de produits vers les Pays-Bas. Les échanges se font sur les foires de Champagne mais tout tran- site par Pontarlier où prospère d’ailleurs une communauté jui- ve active sur les changements de monnaies. Il y a donc une dyna- mique commerciale périphérique et internationale. L.P.P. : Une ville, une route… D.L. : Les voies de communication

ture avec l’émer- gence de la télé- phonie électronique. Cet- te évolution per- met de réduire l’effectif par quatre pour la même production. À partir de ce moment-là, la C.I.T. est soumi- se au marché concurrentiel. Son destin s’achèvera sous la dénomi- nation F.C.I. Are- va qui répond à la

“Pontarlier reste une ville industrielle.”

passé à Saint-Claude. Cette carac- téristique est toujours d’actuali- té avec des entreprises présentes dans les branches alimentaire, mécanique, bois…Pontarlier res- te une ville industrielle. L.P.P. : Le commerce a pris le dessus ! D.L. : Pontarlier a toujours été une ville commerciale. C’est la conjonc- tion de trois atouts : la cluse, une route, un pont. Relais postal à l’époque romaine, Pontarlier devient la capitale duHaut-Doubs

logique des grands groupes axés sur le profit des actionnaires. L’en- treprise qui fut l’un des fleurons de l’industrie pontissalienne fer- mera ses portes en 2003 avec Anne Lauvergeon. L.P.P. : Qu’en est-il de l’industrie actuel- le ? D.L. : La chance de Pontarlier rési- de dans la diversification de son tissu industriel, ce qui lui a per- mis d’éviter les catastrophes éco- nomiques à l’instar de ce qui s’est

L’histoire économique de Pontarlier est marquée par de grandes sagas

comme ce fut le cas avec les automobiles Donnet-Zedel. Atelier de montage des châs- sis (source archives municipales).

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