La Presse Pontissalienne 213 - Juillet 2017

MOUTHE - RÉGION DES LACS

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La Presse Pontissalienne n° 213 - Juillet 2017

REMORAY-BOUJEONS

Casse-cailloux

Bronca dans les communaux Le traitement au casse-cailloux d’un communal de 4 hectares sur les hauteurs de Boujeons, chantier qui a fait l’objet d’une récente vidéo Youtube grandiloquente, s’apparente pour les défenseurs de l’environnement à une catastrophe écologique. L’ampleur des travaux et leur localisation interpellent aussi le monde agricole et les responsables de la filière comté globalement plutôt sceptiques sur l’intérêt d’une telle initiative. Débat.

P our un coup de pub, c’est un fameux coup de pub. Avec plus de 86 000 vues, la vidéo mon- trant le chantier assure une bel- le promotion à l’entreprise Lonchampt T.P.A.F. de Sarrageois qui a exécuté les travaux pour le compte des agri- culteurs locataires de ces terrains com- munaux. Si l’important c’est de faire causer, en bien ou en mal, l’objectif est atteint. Grande musique, beaux ralen- tis, nuage de poudre de calcaire en sus- pension, vues prises au drone : un vrai travail de pro. Au départ plutôt avantageux sur les performances mécaniques, les com- mentaires prennent une tournure plus virulente quand certains dénoncent l’impact écologique désastreux. On retombe inévitablement dans ce dia- logue de sourds qui oppose depuis des lustres le monde des “écolos” à celui des agriculteurs qui revendiquent tou- jours, sans doute à juste titre, la pater- nité de nos paysages. Les faits. L’opération exécutée fin mai concerne une parcelle communale de 4,2 hectares dont 1,6 hectare environ figure en zone Natura 2000. Ajoutons qu’on est dans le périmètre du parc naturel régional du Haut-Jura, à l’amont de la réserve naturelle natio- nale du lac de Remoray et bien sûr en terre à comté. Jusqu’à présent, rien d’illégal. Le chantier a fait l’objet d’un signalement administratif par l’Offi-

ce National de la Chasse et de la Fau- ne Sauvage à destination de la D.D.T. et de la D.R.E.A.L. “On est en train de procéder à des vérifications par rap- port à la réglementation” , nous explique- t-on au service communication de la D.D.T. L’administration peut éven- tuellement contrôler si les change- ments induits par les travaux n’in- terfèrent pas avec les déclarations P.A.C. qui donnent lieu à des aides. “Les agriculteurs sont tenus d’entrete- nir leurs parcelles dans le respect des éléments de biodiversité : haies, buis- sons, identifiés en 2015. Ces primes sont conditionnées aux bonnes pra- tiques agro-environnementales. Si des

il y a certainement eu destruction d’ha- bitats et d’espèces protégées en pério- de de reproduction ou de nidification” , avance Christophe Morin qui préside la C.P.E. À la commune de Remoray-Boujeons, on ne sait plus trop sur quel pied dan- ser. La collectivité a bien donné son accord aux agriculteurs sans que cela ait été fait de façon concertée comme le déplore le maire Jean-Paul Vuillau- me visiblement très mal à l’aise car placé devant le fait accompli. Sans se dévoyer de ses responsabilités, il attend d’en savoir plus avant de se pronon- cer clairement. Un habitant du villa- ge qui ne tient pas à s’afficher s’affli- ge de la mauvaise pub pour Remoray en signalant que ces pratiques ten- dent à se généraliser sur l’ensemble du Haut-Doubs. “Il faut mettre les pieds dans le plat” , estime-t-il néanmoins. Le passage du casse-cailloux s’obser- ve en effet sur d’autres espaces agri- coles. Cette pratique tend-elle à se généraliser ? Faut-il y voir une inten- sification liée au dynamisme des filières A.O.P. : comté, morbier, mont d’or ? Plus de fromages, plus de lait, plus de vaches, plus de foin en sachant qu’au- jourd’hui les possibilités foncières sont de plus en plus restreintes. Certains pourraient donc chercher l’herbe qui leur manque sur des espaces jusque- là peu productifs comme les commu- naux ou les alpages. Ce qui suppose-

L’utilisation du casse-cailloux à grande échelle sur des espaces à faible valeur agronomique remet en cause le modèle agricole développé jusqu’à présent dans le Haut-Doubs.

rait d’y passer le casse-cailloux et le gyrobroyeur à grande échelle. Dans la sphère environnementaliste, cela ne fait plus aucun doute. Daniel Prieur le président de la Chambre d’agriculture du Doubs joue l’apaise- ment. “Ceux qui font de l’aménagement foncier ou parcellaire sont confrontés à de plus en plus de contraintes. Pour autant, on ne va pas être en opposition par rapport à la réglementation. Il y a à mon sens un vrai problème de métho- de. Nous, à la Chambre d’Agriculture, nous disons que vis-à-vis du Grenelle, il y a des choses défendues et d’autres possibles. On dit surtout qu’il ne faut pas oublier de discuter avec l’admi- nistration. Il peut y avoir des mesures de substitution, que les agriculteurs replantent par exemple. On sait aussi que les environnementalistes détestent le casse-cailloux. Il faudra bien qu’on arrive à trouver une solution.” Beaucoup d’agriculteurs estiment que le casse-cailloux n’a rien d’une aber- ration quand il s’agit de briser des

têtes de roche qui mettent à mal le matériel. Rien d’anormal si l’on son- ge que toutes les bonnes terres, anciennes parcelles céréalières ou prai- ries de fauche, ont été traitées de cet- te manière. Sauf qu’il a fallu des géné- rations de paysans montagnons pour faire ce qu’un casse-cailloux réalise maintenant en quelques jours. Point de vue très attendu sur ce type de chantier, celui de la filière comté. “C’est clair qu’on souhaite que les exploi- tations soient plus autonomes mais il ne s’agit pas non plus de faire n’im- porte quoi et de transformer de grandes surfaces pâturées en prairies de fauche. Ce serait de la pure folie. Pour autant, ce n’est pas à la filière comté de tout endosser. Si des agriculteurs dérogent à la loi, ils doivent rendre des comptes. Tout comme je ne suis pas horrifié de voir qu’ils utilisent de moyens méca- niques pour endiguer l’avancée de la forêt” , commente Claude Vermot-Des- roches, le président du C.I.G.C. n F.C. port aux aides P.A.C., les agricul- teurs duHaut-Doubs disposent enco- re d’une confortable marge de manœuvre avant d’être inquiétés. Si l’on poursuit dans cette logique pro- ductiviste, on risque de s’orienter à plus oumoins long terme vers un éle- vage hors sol. Les tolérances accor- dées avec les mélangeuses, l’affou- ragement en vert confirme cette tendance. Pour moi, le comté va droit dans le mur. Il est condamné aujour- d’hui à aller chercher des marchés vers l’export.” Partie des premiers plateaux, cette course à l’intensification prend de l’altitude. Pour autant, et Gérard Vionnet ne peut qu’approuver, le goût du comté va plutôt en se boni- fiant. D’autres facteurs autres que la diversité floristique interviennent, notamment le savoir-faire fromager et le rôle de l’affineur. “Aujourd’hui, on arrive à faire du bon comté avec seulement 25 espèces de plantes. C’est cela qui est dangereux car le poids de la biodiversité est moins pris en compte, sans oublier les 1 800 kg de concentré par vache laitière et par an autorisés par le cahier des charges de l’A.O.P. comté. C’est dommage de le dire, mais force est de constater qu’aujourd’hui, ce n’est pas la qua- lité du comté qui protège la flore. On est vraiment à un tournant avec le risque de détruire tout un patrimoi- ne floristique qu’on ne pourra jamais transmettre.” n

manques sont constatés, il peut y avoir obligation de compensation, de substi- tution ou d’autres solutions alternatives” , précise Gilles Schellenberger, chef du ser- vice Espace et Territoire à la Chambre d’agriculture du Doubs. La consternation est de mise à la Commission de Protection des Eaux où l’on attend d’en savoir plus avant de se positionner. “Affligeant. Il faut qu’on étudie la question pour savoir de quelle manière on va réagir. Vu la période et les moyens mis en œuvre,

“Il faut mettre les pieds dans le plat.”

PÉDOLOGIE

PROSPECTIVE

Casse-cailloux : le cauchemar des vers laboureurs Pédologue à la chambre d’agriculture du Doubs, Christian Barnéoud est assez critique sur l’impact du casse-cailloux qui déstructure toute la microbiologie des sols.

Le comté va droit dans le mur Éleveur et berger très branché sur la biodiversité, Gérard

Vionnet estime que le chantier de Remoray préfigure l’évolution d’une filière condamnée à l’intensification au détriment de la richesse d’un terroir dont elle se revendique. Poil à gratter.

L ui non plus ne fait pas dans la demi-mesure en évoquant ce qu’il considère comme unemuta- tion progressive des pâtures en prai- ries de fauche. “Il y a déjà eu un pré- cédent il y a une trentaine d’années avec la transformation des prairies de fauche où l’on ne recense plus que 25 espèces contre 70 à 80 autrefois. Aujourd’hui, on remet la seconde couche sur les communaux qui consti- tuent avec les alpages le dernier espa- ce agricole préservé de tout traite- ment. À titre d’information, on y trouve encore 180 espèces de plantes.

Grâce au casse-cailloux, on va au- devant d’un vrai massacre écologique en détruisant des associations végé- tales, la faune, les insectes et les oiseaux.” Impossible selon lui de concilier la diversité floristique avec les rende- ments fourragers de 45 à 50 quin- taux par hectare, récoltés en pre- mière coupe en terre à comté. Avec les outils actuels, tout va vite, trop vite par rapport à la résilience des cycles naturels. “Rien ne peut contraindre cette mutation engagée depuis une dizaine d’années. Par rap-

L e spécialiste des sols n’est pas tendre avec le casse-cailloux. “Dans nos régions d’élevage, c’est claire- ment une aberration. En plus de fracasser les pierres, une utilisation à grande échelle de cet outil met à mal tout ce qui concerne lamicrobiologie.” Il évoque notamment le travail des vers labou- reurs, les anéciques, ces lombrics qui font l’ascenseur. Toutes les nuits, ils remontent chercher de la litière, font demi-tour, vident leur intestin à l’exté- rieur de la galerie pour former des tur- ricules. Ce sont eux qui brassent quoti- diennement le sol de profondeur riche en argile avec le sol de surface riche en humus. Ces grands vers de terre man- gent leur poids de terre par jour. Cela fait 300 à 1 000 tonnes de terre par hec- tare qui passent chaque année dans leur tube digestif, soit trois à dix centimètres de terre. “Ils labourent une parcelle en quelques années et avec leurs excréments font remonter la terre. Le casse-cailloux

anéantit tout ce mécanisme. Si on sup- prime ces vers, le sol va subir la gravité. À chaque pluie ou chute de neige, les par- ticules les plus fines vont descendre et à la longue faire remonter les pierres. Consé- quence : on est condamné à repasser le casse-cailloux tous les trois ou quatre ans.” Christian Barnéoud conseille générale- ment aux agriculteurs de remonter les charrues pour éviter d’aller trop profond et donc de faire remonter inutilement les cailloux. Jamais avare de conseils, il préconise à ceux qui souhaiteraient retrouver de la ressource fourragère de réfléchir d’abord à l’intérêt ou pas de passer le casse-cailloux. “Article deux : passer un outil à dents pour faire remon- ter les plus gros cailloux. Article trois : trouver une solution de réimplantation à base de graminées, légumineuses dans un couvert de céréales. Les formules sont différentes selon qu’on soit dans une prai- rie de fauche ou dans un pâturage.” n

On inventoriait jadis 70 à 80 plantes dans les prairies de fauche pour un rendement fourrager qui était deux fois plus faible qu’aujour- d’hui dans des champs à 25 espèces végétales.

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