La Presse Pontissalienne 208 - Février 2017
La Presse Pontissalienne n° 208 - Février 2017 19
l Université
Professeur Thierry Moulin
“Un médecin dans chaque village, c’est terminé” Le numerus clausus fixant le nombre de futurs médecins passe de 176 à 186 à l’Université de Besançon. Suffisant pour attendre un effet à court terme ? Nouveau doyen de l’U.F.R. médecine, le Professeur Thierry Moulin répond.
interroger et savoir si l’Internet à haut débit arrive bien dans la Haut-Doubs (N.D.L.R. : le secteur va accueillir la fibre optique). Les U.R.P.S. doivent favo- riser les regroupements et la création d’un tissu de médecins généralistes qui collaborent pour irriguer le territoire. L.P.P. : Grâce à leur position de force, on a l’impression que les jeunes médecins pren- nent en otage les territoires en demandant toujours plus. T.M. : Ce n’est pas très bon de com- mencer son exercice en faisant mon- ter les enchères. C’est un peu comme les médecins qui vont en Suisse : c’est l’utilisation de la santé dans un but commercial. Il faut donc trouver le bon équilibre. L.P.P. : L’équilibre, c’est une augmentation de la consultation ? T.M. : Il faut probablement un peu plus que les 25 euros mais sans doute pas les 150 francs suisses. Il y a un delta à trouver. Mais ce n’est pas à la facul- té d’y répondre. L.P.P. : Vous êtes donc contre la régulation des installations. T.M. : Obliger quelqu’un à exercer à un endroit n’est pas la réponse miracu- leuse. Il vaut mieux des mesures inci- tatives positives, c’est à chaque facul- té qui forme, d’irriguer son territoire. Quand vous êtes formé à Marseille, il y a peu de probabilité de tomber amou- reux du Haut-Doubs au point de s’y installer définitivement. C’est possible, mais rare. De même que quand vous êtes Franc-Comtois, vous voyez peu d’étudiants aller s’installer en Corse.
santé ? T.M. : Oui. Il faut que la faculté antici- pe et forme les jeunes médecins dans ce domaine d’autant que le temps d’exer- cice partiel va s’intensifier avec la fémi- nisation. C’est un constat et il faut le prendre en compte. Là où il fallait deux personnes, il en faudra trois à l’avenir. L.P.P. : Cette augmentation du numerus clau- sus n’est donc qu’un pansement. En aucun cas un remède. T.M. : Cela va atténuer. Il faut que les professionnels montrent une solidari- té entre eux pour compenser les manques. Le monde libéral doit s’or- ganiser comme s’organisent les éta- blissements publics. L.P.P. : Les mesures des collectivités comme les exonérations de charges sont-elles connues des étudiants ? T.M. : Oui, c’est très bien et nous com- muniquons aux internes en lien étroit avec l’A.R.S. pour expliciter ces inci- tations depuis plusieurs années déjà. Mais cela montre des limites. L.P.P. : Lesquelles ? T.M. : Même s’il y a des aides, les petits villages ne sont pas attractifs. Que chaque village ait son médecin à l’an- cienne, c’est terminé. L.P.P. : Comment faire alors pour attirer ? T.M. : Encore une fois, il faut des mai- sons médicales, des points de relais, comme avec des pharmacies équipées de cabines de télémédecine. Le numé- rique va nous aider à rendre l’accès plus équitable possible. Maintenant, ce sont aussi les politiques qu’il faut
L a Presse Pontissalienne : Près de 1 200 étudiants sont inscrits en pre- mière année à Besançon. Combien de places leur sont réservées cette année en médecine ? Thierry Moulin (Professeur de neurologie, doyen de l’université de sciences médicales et pharmaceutiques depuis janvier) : En 2017, le numerus clausus est de 186. Il a augmenté pour les médecins de 10 places (176 en 2016) mais ne devrait pas changer pour les kinési- thérapeutes, les pharmaciens. C’est une bonne chose que ce chiffre aug- mente car nous savons que nous aurons moins de médecins dans les années à venir. L’effet du numerus clausus est à long terme. À court terme, on res- sent les effets sur les internes qui sont environ 700 à Besançon, un chiffre qui augmente. Les gens qui ont 60 ans aujourd’hui seront soignés par les élèves que nous formons. L.P.P. : Ouvrir des postes, c’est bien. Cela ne risque-t-il pas d’abaisser le niveau ? T.M. : Non, on ne peut pas considérer que c’est une formation au rabais ! Il faudra simplement dispenser les stages pour chacun des internes, et disposer des enseignants qui vont avec. L.P.P. : Comment expliquer le désintérêt des internes à s’établir comme “médecin de cam- pagne” ? Quel message glissez-vous ?
T.M. : Nous sommes face à une évolu- tion sociétale. Nous allons de plus en plus vers un exercice en regroupement. Il y a les maisons médicales qui sont une réponse. Cela favorise l’installa- tion à plusieurs. Les étudiants sont formés également à cet exercice de groupe. L.P.P. : Les encouragez-vous à se regrouper ? T.M. : C’est un tournant irrémédiable. On ne peut plus exercer la médecine comme on le faisait à la fin du XIXè- me siècle. Vu la densité des connais- sances, l’exercice est partagé. Les patients souhaitent aussi avoir plu- sieurs avis. Le médecin seul, coupé de tous, c’est terminé. Une réponse vient également avec le numérique et la télé- médecine. L.P.P. : La révolution numérique peut-elle répondre aux déserts médicaux selon vous ? T.M. : Imaginons des maisons médi- cales pluridisciplinaires dans le Haut- Doubs. Si les médecins ont besoin d’un avis avant de déplacer le patient à l’hô- pital de Pontarlier ou de Besançon, c’est plus simple d’avoir un lien Inter- net pour faire une téléconsultation. Cette révolution favorise le partage, conforte les prises en charge et ras- sure aussi les patients.
L.P.P. : Espérons que le nombre d’étudiants haut-doubiens soit élevé… T.M. : Les facultés ont été faites pour drainer des étudiants du territoire plu- tôt que de tout concentrer dans les grandes villes. Quand vous avez pas- sé 7 ans dans une ville, vous avez créé votre tissu et avez tendance à rester là où vous êtes. Il faut donc un U.F.R. fort et attractif. n Propos recueillis par E.Ch. Professeur de neurologie au C.H.R.U. de Besançon, Thierry Moulin est depuis janvier le doyen de la faculté de médecine.
L.P.P. : Vous êtes donc pour les maisons de
l Métabief
Un discours revendicatif La station a trouvé un médecin à son image, tout en relief
A rrivé à 11 ans de sa Turquie natale, élevé au grand air du Val d’Usiers, formé à la faculté de médecine de Besan- çon, Serdar Cavan ne renie rien et surtout pas sa double cultu- re. “Je suis Français d’origine turque et j’en suis fier.” Il doit à sa mère l’expression de sa voca- tion médicale. “Quand j’étais enfant, nous avons assisté au spectacle” d’une personne victi- me d’une crise d’épilepsie sans savoir que faire. Elle m’a dit, “si tu es médecin plus tard, tu sau- rais comment intervenir.” J’ai toujours gardé ces mots en mémoire” , rappelle celui qui n’est pas resté insensible au dévoue- ment d’un certain Docteur Gre- nier, le médecin des pauvres converti à l’islam, qu’on ne pré- sente plus. Avec le doctorat, il a mis ses connaissances en application notamment en travaillant à S.O.S.Médecins. Une bonne éco- le avant de poursuivre son ini- tiation par des remplacements en cabinet individuel et en mai- sonmédicale. Sans oublier, entre- temps de compléter son bagage par diverses spécialités en san- té de l’enfant, traumatologie, médecine du sport.Un jeune doc- teur tout-terrain comme en rêvait Gérard Dèque le maire deMéta- bief, bien embarrassé du départ en retraite du Docteur Quinnez.
Entre toutes les solutions qui s’offraient à lui aussi bien en ville qu’à l’étranger, Serdar Cavan a semble-t-il été convain- cu de l’intérêt de venir exercer à Métabief où il s’est installé depuis quelques semaines. La perspective du coup de bourre des vacances de février ne semble nullement l’affecter. “Rien ne m’effraie du moment que je suis dans mon élément profession- nel” , sourit celui qui s’est ins- tallé dans un local mis à dispo- sition par la commune près du stade. Conscient de la charge de travail grandissante confiée aux généralistes, il insiste sur la nécessité de faire de la pré- vention, de ne pas s’affoler au moindre soupçon de fièvre. “On peut prévenir aussi sa santé en adoptant une bonne hygiène de vie, une alimentation équilibrée, du repos.” Il regrette la trop grande déconsidération affichée vis-à-vis des généralistes. “On a d’abord un rôle multidimen- sionnel qui ne se réduit pas à la prescription de médicaments. La médecine générale doit être recon- nue et valorisée comme une spé- cialité à part entière, y compris dans la tarification. On récla- me une égalité de traitement. Quand on songe qu’il est sou- vent plus cher d’aller chez son coiffeur que de consulter son médecin, cela me laisse assez perplexe. On n’a pas besoin qu’on
Par sa spontanéité et sa liberté d’expression, Serdar Cavan, jeune docteur fervent défenseur des cabinets individuels détonne dans la profession tout en mettant son dynamisme au service d’une passion : la médecine générale.
Mont d’Or-Deux Lacs : une ou deux maisons de santé ?
sons de santé sans affirmer pour autant que cela soit la solution unique, au risque de déshabiller le tissu rural. En France, gar- dons cette médecine rurale. Il est urgent de préserver et reva- loriser la relation médecin- patient et d’arrêter de mettre des rustines.” n F.C. Conscient qu’il y a aussi une demande au niveau du lac, l’élu n’écarte pas l’idée d’une secon- de Maison de santé. “La porte n’est pas fermée à la réflexion.” Tout comme rien n’interdit à des généralistes de s’organiser entre eux pour porter un projet privé ou de s’entendre sur un fonctionne- ment basé sur le principe des mai- sons de santé. n lules de consultation pour des spécialistes. Certains généralistes nous sont passés sous le nez fau- te d’avoir quelque chose à leur proposer. C’est toujours la même histoire. On s’est fixé un budget de 2 millions d’euros pour mener à bien la construction du bâtiment sur le site de l’ancienne gare de marchandises.”
nous abreuve sans cesse de direc- tives. Le tiers payant devrait être, à mon sens, laissé à l’apprécia- tion du praticien.” À contre-courant des aspirations de son temps, il défend l’intérêt des petits cabinets individuels, les seuls à garantir un mailla- ge homogène de l’offre médica- le. “Je ne suis pas contre les mai- La communauté de communes Mont d’Or-Deux Lacs peine enco- re à trouver des médecins et des professionnels de santé prêts à s’investir dans l’écriture du projet de santé local. “Certains sont par- tis ou sont sur le point de prendre leur retraite, d’autres ont déjà été engagés en cabinets. C’est com- plexe de les faire travailler ensemble” , reconnaît Lionel Che- vassus, l’élu en charge du dos- sier. Faute de lisibilité, le projet de construction d’une Maison de santé vers l’ancienne gare des Hôpitaux-Neufs a finalement été révisé à la baisse. “On est passé de 800 à 400m2. Le projet concer- ne des médecins, mais aussi d’autres professionnels ortho- phonistes, infirmiers avec des cel-
Serdar Cavan, le nouveau médecin de Métabief, revendique la liberté de prescription, d’installation et l’égalité de traitement vis-à-vis des autres spécialistes.
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