La Presse Pontissalienne 198 - Avril 2016

L’INTERVIEW DU MOIS

La Presse Pontissalienne n° 198 - Avril 2016

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SYNDICALISME

Jean-Manuel Fernandez “Il n’y a aucune preuve que la flexibilité du droit du travail crée de l’emploi”

L a Presse Pontissalienne : À quelle mobi- lisation des syndicats faut-il s’attendre à Pontarlier le 1 er mai ? Jean-Manuel Fernandez : Traditionnelle- ment le 1er mai, on organise toujours un rassemblement à Pontarlier qui dépend du nombre de participants. En 2015, nous étions la seule ville en Fran- ce à rassembler autant d’organisations syndicales. On s’en réjouit. Cette année, nous souhaitons convier nos amis suisses à la manifestation. L.P.P. : La mobilisation du 1er mai devrait être l’occasion de protester contre le projet de loi travail. Que reprochez-vous à ce texte de la ministre Myriam El Khomri censé réformer le droit du travail ? J.-M.F. : Outre les maladresses du gou- vernement que je ne veux pas com- menter, ce projet de loi remet en cau- se le droit des salariés car il permet de déroger aux dispositions légales en matière de congés payés, de rémuné- ration et de temps de travail. Cette loi fait suite aux lois Macron et Rebsa- men qui diminuent le rôle des repré- sentants du personnel. Elle n’a pour seul objectif que de répondre aux exi- gences du patronat. L.P.P. : Le gouvernement a reculé sur le pla- fonnement des indemnités prud’homales. Pour le représentant syndical que vous êtes, cet- te évolution est-elle un point positif ? J.-M.F. : L’idée du plafonnement était une honte car elle enlevait au juge des prud’hommes la souveraineté d’ap- précier une situation. Le retour en arrière sur ce point est une bonne cho- se, mais instaurer à la place un barè- me “indicatif” des indemnités, auquel vont se référer les prud’hommes n’est guère mieux. Tout cela n’a pas de sens. J’ai été pendant 13 ans conseiller pru- d’homal. Il est très rare qu’une entre- du travail que l’on va créer des emplois. Un tacle à la loi El Khomri à un mois de la mobilisation du 1 er mai. Retraité de l’industrie, le secrétaire de l’Union locale de la C.G.T. est certain que ce n’est pas en assouplissant le droit

Jean-Manuel Fernandez se dit favorable “à une simplification de l’aspect bureaucratique du contrat de travail.”

Nous sommes dans un processus d’évolution du syndicalisme. L.P.P. : Seriez-vous favo- rable à sécuriser l’emploi jusqu’à interdire les licen- ciements comme le sug- gèrent des syndicats ? J.-M.F. : On peut com- prendre qu’une entre- prise rencontre des dif- ficultés économiques. Il existe justement dans ce pays des dis- positifs sociaux qui per- mettent d’éviter les licenciements. Il y a par exemple le recours au chômage partiel, des

ment de la protection sociale ne serait pas aussi difficile. L.P.P. : Finalement, quelle définition idéale donneriez-vous du mot “emploi” en France ? J.-M.F. : L’emploi est une occupation professionnelle, bien rémunérée et qui permet de bien vivre dans son envi- ronnement social. La rémunération doit permettre de se loger, de couvrir ses besoins alimentaires, de financer l’éducation, la culture, les loisirs. Si l’on se réfère à l’Observatoire natio- nal de la pauvreté et de l’exclusion sociale, cette rémunération devrait être de 2 000 euros bruts par mois. Nous en sommes loin ! De son côté, notre syndicat demande qu’il n’y ait pas de retraite inférieure au S.M.I.C. pour les personnes qui ont fait une car- rière professionnelle. Nous souhaitons également que le principe des pensions de réversion soit revu car en l’état, il est scandaleux. L.P.P. : Début avril, vous quittez les locaux de la rue de la Fontaine pour emménager dans la Maison des associations. C’est une bonne nouvelle ? J.-M.F. : Si je fais l’état des lieux de nos locaux actuels, il est évident que les bureaux que nous occuperons dans la Maison des associations, près de la pis- cine, seront en meilleur état. Cepen- dant, on occupe ici 62 mètres carrés, une surface suffisante pour faire de l’accueil, des réunions, etc. Là-bas, nous disposerons de 23 mètres carrés. C’est plus petit mais nous aurons accès à une grande salle de réunion. Notre regret est que l’on quitte le centre-vil- le. Considérant que nous sommes un service public, il est regrettable que les syndicats soient repoussés en péri- phérie. n Propos recueillis par T.C.

contraire ! Àmon sens, elle est un outil pour augmenter la pression sur les salariés en place. Des employés seraient sans doute demandeurs car, par ce pro- cédé, ils pourraient augmenter leur rémunération en travaillant plus.Mais je ne crois pas que la flexibilité per- mette de créer des emplois pérennes. En revanche, je suis favorable à une simplification de l’aspect bureaucra- tique du contrat de travail. En dehors de toutes ces considérations, la vérité est que si un employeur a besoin de main-d’œuvre, il embauche, même si les démarches sont difficiles. J’ajoute encore que la disparition du contrat à durée indéterminée (C.D.I.) tel qu’il existe aujourd’hui est une sour- ce de précarité pour les jeunes en par- ticulier. Par exemple, le C.D.I. est un gage de crédibilité lorsqu’on se pré- sente à la banque pour un prêt. L.P.P. : Malheureusement, la création d’em- ploi ne se décrète pas… J.-M.F. : La bande frontalière est un bon exemple. Ce n’est pas parce que le droit du travail est plus souple en Suisse que les entreprises embauchent des frontaliers. Elles embauchent parce qu’elles ont du travail, comme elles en avaient à Pontarlier lorsque la ville était industrielle. Ceci étant, le fait que les licenciements soient faciles en Suisse fragilise l’éco- nomie transfrontalière. Les premiers concernés par les suppressions de postes sont les frontaliers. L.P.P. : On cite souvent l’Allemagne comme exemple de la flexibilité. Qu’en pensez-vous ? J.-M.F. : Il y a en assez de dire que les autres pays font mieux que nous ! On connaît enAllemagne les emplois pré- caires, les sous-emplois.

L.P.P. : Que répondez-vous à ceux qui esti- ment que les syndicats en France sont plus critiques que constructifs ? J.-M.F. : Cessons de dire aux gens que les syndicats refusent toutes négocia- tions. Peut-être que les syndicats doi- vent évoluer. D’ailleurs, nous avons des idées pour l’emploi, pour faire évo- luer le travail, son organisation, en y ajoutant la dimension “santé au tra- vail”. Il faut savoir que les experts éva- luent actuellement le coût du “mal- travail” qui engendre des pathologies à 4 à 5 % du P.I.B. Le gouvernement est parfaitement informé de cela. Et pourtant, les lois Macron et El Khom- ri ignorent ce paramètre essentiel. Il y a des pistes à creuser dans cette direc- tion pour améliorer les choses et qui ne le sont pas actuellement ou mal, même si 40 % des entreprises ont mis en place un plan d’action d’améliora- tion de la santé et de la sécurité au travail. En Allemagne par exemple, la flexibi- lité est négociée, ce qui signifie que l’on reconnaît la légitimité des orga- nisations syndicales, ce qui n’est pas le cas dans notre pays. L.P.P. : Pourquoi les salariés n’ont plus la cul- ture syndicale dans les entreprises ? J.-M.F. : Les gens ne se syndiquent pas en France parce qu’ils ont peur de le faire. Ils ont peur que cela leur crée des problèmes pendant leur carrière professionnelle. Ils peuvent redouter aussi l’investissement personnel qu’im- plique une responsabilité syndicale. Fin 2016, il y aura des élections syn- dicales pour tous les salariés des T.P.E. qui pourront voter pour des listes syn- dicales. Cela va nous permettre de créer du lien avec eux, car pour l’ins- tant, les organisations syndicales n’exis- tent que dans 10 % des entreprises.

“Peut-être que les syndicats doivent évoluer.”

outils de formation. Je ne suis pas par- tisan de l’interdiction de licencier,même si dans certains cas on pourrait en dis- cuter. Par exemple, lorsque la direc- tion américaine de l’entreprise Arm- strong où je travaillais à Pontarlier a décidé de délocaliser en Europe de l’Est le service commercial et le service infor- matique, supprimant ainsi une ving- taine d’emplois locaux, on a des rai- sons de s’insurger. L.P.P. : La même direction américaine a vali- dé l’automne dernier un plan d’investisse- ment de 20 millions d’euros à Pontarlier. N’est- ce pas là une preuve de reconnaissance de ce site de production ? J.-M.F. : Ces investissements sont tar- difs, mais ils sont une très bonne nou- velle. L.P.P. : Que répondez-vous à ceux qui esti- ment que les cotisations sociales sont trop lourdes en France ? J.-M.F. : Elles ne sont pas trop impor- tantes. Si elles l’étaient, le finance-

prise soit condamnée lourdement pour avoir licencié un salarié. En général, il y a toujours un compromis trouvé entre les parties. L.P.P. : Selon les représen- tants du patronat, il y a urgence à apporter de la flexibilité dans le droit du travail pour que les employeurs n’aient plus peur d’embaucher par crainte de ne pas pouvoir licencier. Cette souplesse devrait per- mettre de créer de l’emploi. Comment recevez-vous cet argument ? J.-M.F. : Il n’y a aucune preuve que la flexibili- té du droit du travail crée de l’emploi. Au

“Les licenciements en Suisse fragilisent l’économie transfronta- lière.”

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