La Presse Pontissalienne 171 - Janvier 2014

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La Presse Pontissalienne n° 171 - Janvier 2014

“La démocratie est intimement liée à la philosophie” Professeur de philosophie au lycée Xavier-Marmier, membre de l’association La Philosophie en pratique et auto-entrepreneuse, Laurence Bouchet anime aussi des Cafés Philo à Pontarlier et Besançon. Elle libère cette discipline des murs de l’école. RENCONTRE - LAURENCE BOUCHET

L a Presse Pontissalienne :Vous enseigner la philosophie au lycée Xavier-Marmier. Pour la deuxième année, vous animez un Café Philo. Qu’est ce qui vous a encouragé à sortir la philosophie des murs de l’école ? Laurence Bouchet : Je suis de plus en plus convaincue que la philosophie n’est pas une discipline faite pour passer le bac. Elle peut apporter beaucoup dans la vie, et à tout le monde. Elle est là pour donner du sens à notre existence et pas seulement pour servir de support de dissertation à des élèves de terminale. Ce sens, je le trouve dans l’organisation de ces Cafés Philo auxquels participent une quinzaine de personnes le premier mercredi de chaque mois à Pontarlier. L.P.P. : Comment se déroule un Café Philo ? L.B. : Il ne s’agit pas d’une conférence mais d’un échange. Je propose les sujets. Nous en débattons de telle manière à faire de la philosophie en construisant un argumentaire clair. C’est toute la difficulté de l’exercice pour les membres du groupe qui sont amenés à émettre un argument sans être confus. La per- sonne doit également apprendre à se défaire de sa subjectivité qui peut l’amener à se fâcher en réaction aux propos d’un autre membre du groupe. Nous sommes dans une réflexion col- lective qui va demander à une person- ne de travailler sur elle-même pour se défaire de tout l’affect que l’on met dans nos idées. Il y a quelque chose de socra- tique dans la démarche.

entreprises s’adressent aux dirigeants qui souhaitent développer leurs com- pétences managériales de façon inno- vante, aux salariés au sein d’équipes de travail qui veulent mieux se connaître pour mieux coopérer. Je m’adresse aus- si à des salariés qui dans le cadre du comité d’entreprise souhaitent déve- lopper des compétences dans la prise de parole et enrichir leur culture géné- rale. Le but est de sortir de la confu- sion, des mésententes, de l’irrésolution, d’apprendre à écouter, à argumenter, à prendre conscience des problèmes et à envisager des hypothèses de réponses. L.P.P. : Avez-vous un exemple concret ? L.B. : J’ai eu une proposition pour inter- venir dans une entreprise agroalimen- taire sur la question de la reconnais- sance au travail. Beaucoup de salariés ne se sentent pas reconnus dans les entreprises.Mais qu’est-ce que cela veut dire être reconnu ? La reconnaissance n’est pas seulement financière contrai- rement à ce que l’on croit souvent. Cer- tains attendent juste un bonjour de la part de leur supérieur hiérarchique. Pour d’autres, être reconnu signifie pou- voir monter dans la hiérarchie. La phi- losophie nous permet d’apporter des réponses argumentées à cette question. L.P.P. : A vous écouter, on se dit que la philo- sophie devrait être enseignée différemment et à un plus large public que les élèves de ter- minale des filières générales… L.B. : La philosophie a été enseignée à l’élite sous la Première République. Le

pour défendre une idée à laquelle on s’oppose. C’est une difficulté qui oblige une personne à écouter l’autre. C’est en s’écoutant que l’on parvient à étayer un argument et des objections. Lors- qu’on accepte de rire de ses propres confusions, il y a quelque chose de por- teur qui se produit. L.P.P. : Ceux participent au Café Philo ont-ils la parole facile ? L.B. : L’être humain est méfiant, mais j’observe aussi que l’école a fait des dégâts en ne libérant pas suffisamment la parole. Les élèves ont peur de par- ler car ils ont peur de dire des bêtises. On retrouve ce genre de comportement chez l’adulte. Nous travaillons beau- coup l’oral. Le problème une fois enco- re est que dans notre système scolaire, les élèves ne sont pas notés à l’oral, alors que certains d’entre eux seront très pertinents quelle que soit la matiè- re. La maîtrise de l’oral est essentielle dans la vie pour apprendre à défendre un point de vue, pour apprendre à argu- menter, à dépasser son émotion. L.P.P. : Dans une société qui fonctionne aussi avec l’émotion, la philosophie apparaît donc comme un garde-fou… L.B. : La télé et les médias en général jouent sur l’émotion. Notre société est dans l’émotion. C’est ce qui me semble dangereux car cela nous empêche de réfléchir. Les émotions nous enferment sur nous-mêmes. Le plus difficile dans ce contexte est d’être capable de prendre le recul nécessaire. La philosophie qui

apparaît malheureusement austère dans cet environnement nous y aide. Chacun a son propre système de pen- sée qui fait par exemple que l’on va s’offusquer d’un mot. Tout mon travail est d’amener mon interlocuteur à pen- ser l’impensable. Cela signifie qu’il doit être capable de mettre ses émotions de côté. L’outil de la philosophie est la rai- son. On est enmesure de raisonner lors- qu’on parvient à se détacher de nos émotions. L.P.P. : Vous êtes également auto-entrepre- neuse, et à ce titre vous êtes amenée à inter- venir dans les entreprises. Que peut apporter la philosophie dans lemanagement d’entreprise ? L.B. : La philosophie peut apporter dans les équipes une compréhension des pro- blèmes. Elle peut permettre de les iden- tifier, de les nommer. Par exemple, lorsque se pose la question de la recon-

L.B. : Il y a des retraités, des actifs, des personnes d’âges différents et de diverses catégories socio-professionnelles. Les gens qui viennent en curieux en géné- ral, je ne les revois pas. La plupart des participants sont des personnes qui souf- frent d’une frustration de parole.D’autres viennent car elles ont l’impression d’être passées à côté de quelque chose en n’ayant pas reçu d’enseignement phi- losophique. Je rencontre aussi des assis- tantes sociales qui estiment que ce tra- vail les aide au quotidien. J’ai très à cœur d’accueillir dans ce Café Philo des gens qui pensent ne pas avoir de cul- ture. Ils doivent savoir que lors de ces rencontres, tout est remis à plat. La seu- le obligation pour participer est de savoir parler. Le but de ces rendez-vous n’est pas de venir étaler sa science. Si cer- tains ne reviendront jamais, d’autres participent régulièrement car ils esti- ment que ces rencontres leur permet- tent de mieux structurer leur pensée. L.P.P. : Il n’est donc pas nécessaire de dispo- ser d’un solide bagage philosophique pour assister ? L.B. : Au contraire, les gens qui ont une grande culture philosophique sont par- fois les plus handicapés car ils estiment être là pour nous dire tout ce qu’ils savent. Une fois encore, ce n’est pas le but de ces rencontres. Dans ces cafés, nous cherchons à émettre des argu- ments qui puissent être partagés par tous. On peut ne pas être d’accord avec une idée qui pourtant fait sens. J’invite par exemple à trouver un argument

naissance au travail, qu’est- ce que cela signifie ? Grâce à la philosophie, on peut apporter des réponses à ces questions-là, et amener les collaborateurs à exprimer leur point de vue. Elle est un outil qui se rapproche du coaching . Il arrive que dans une société, les rapports hié- rarchiques soient d’une tel- le dureté qu’ils sont contre- productifs. Il faut être capable d’y réintroduire le dialogue, le sens, au bénéfi- ce de tout le monde. Les ate- liers que je propose aux

“L’école a fait des dégâts.”

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